mardi 18 février 2020

Le bureau des projets… Une légende ? (1)

C'est parti ! Je rassemble ici, pêle-mêle, la somme des entretiens que j'ai eus avec des autrices-auteurs, productrices-producteurs pour tenter de montrer l'évolution de la "décision pour validation d'un projet d'émission" à France Culture. La période couvre 1980-2020. Où l'on verra les évolutions de périodes où les artisans-artistes ou les artistes-artisans sont dans un rapport de confiance, de complicité créative et de "co-gestion" des projets. Mais tout ça c'était avant le drame. Avant que l'éditorial, sous forme de direction, vienne s'immiscer dans le cercle (des poètes en voie de disparition). Ou le début de la fin d'une forme artisanale de fabrique radiophonique. Et l'invention des formulaires à remplir en suivant une voie hiérarchique digne d'une administration sourcilleuse de la bonne circulation des Cerfa. Soit l'achèvement constaté de la mue de la radio publique.




Un jour d'octobre 2011, à la Gaité-Lyrique (Paris), Madame Treiner fut nommée directrice de l'éditorial de France Culture. Le sacre fut prononcé par Olivier Poivre-d'Arvor, directeur de la chaîne et Jean-Lux Hees, pédégé de Radio France (1). Les mots ont un sens. Les troupes n'avaient plus qu'à bien se tenir. L'éditorial dans une seule main (de fer), la besogne dans celles des productrices-producteurs, réalisatrices-réalisateurs, techniciennes et techniciens. Soit, ni plus ni moins que la dépossession formelle d'une part de la pensée et de l'élaboration d'une émission dans sa globalité. Une paille ! Une poutre dans l'édifice créatif d'une chaîne originale et singulière.

Pourtant la responsabilité d'Yves Jaigu, de Jean-Marie Borzeix, directeurs de la chaîne (2) était-elle moins engagée que celle de Treiner qui court après les chiffres quand les deux sus-nommés couraient après la culture. Toutes les cultures. Et faire prendre racine à la chaîne jusque dans les campagnes du "Pays d'Ici" ! Et puis avec ce coordonateur ou cette coordonatrice rencontré-e dans un couloir, échanger une idée, se reparler d'une aventure (3) qui commence à s'élaborer dans la tête (et déjà dans quelques formes de production) et avoir l'accord pour aller tourner. Sans autre forme de procédure lourde et fastidieuse.

Certaines-certains m'ont dit "On a commencé dans un bricolage joyeux, puis chemin faisant on s'est retrouvé dans une forme de compagnonnage. On était des artisans et des artistes. Il n'y avait pas de nomenclature à respecter. De l'échange informel, de la discussion orale individuelle ou collective, naissaient des projets. On fabriquait dans un mouvement d'entraînement collectif (le fameux compagnonnage). La direction, les responsables de programmes avaient confiance en nous, savaient qu'on engageait notre responsabilité d'auteur et celle de la chaîne. C'était un contrat moral tacite. Il n'y avait pas d'ingérence. On était libre de produire ce que nous avions, en équipe de réalisation, élaboré. C'était souple et simple. Stimulant pour la création."

Illustration pour le doc. de Sylvie Gasteau
"Âme te souvient-il ?" (2016), Fr. Culture

















Une autre atteinte à la création viendra de la diminution lente et progressive des producteurs tournants, que la directrice, Laure Adler (1999-2005) engagera sans modération. On tient mieux "ses" troupes si elles diminuent comme peau de chagrin. Plusieurs directeurs auront, à sa suite, la même inclination à "cerner de près" des producteurs qui, effet domino de leur diminution, aura pour conséquence la diminution de la diversité (de voix, d'angles, d'ouvertures, de sujets). Qu'il est loin (et oublié) le temps où J.M. Borzeix donnait "carte blanche" à Jean Couturier et Irène Omélianenko pour "Clair de nuit" (1985-1999, 1h, le samedi et le dimanche). Carte blanche ça veut dire sans le début du commencement d'une injonction éditoriale !

Et puis il ya eu ces rencontres fortuites, inattendues, surprenantes qui ont "spontanément" mis le pied à l'étrier à des autrices, des auteurs qui ont comme des écrivaines ou des écrivains produit des "essais" pour… essayer et, quelque fois, obtenir des prix prestigieux. C'était faire son expérience, sur la durée, soit l'exact contraire d'une émission au titre ambigu qui pourrait laisser croire à autre chose qu'un "one shot". Qu'un essai surtout pour tester la coproduction chère au directeur du numérique et de la production, Laurent Frisch !

Et puis aujourd'hui pour arriver à obtenir le "sésame" de la validation d'un sujet, les étapes pourraient ressembler à "Parcours Sup" que je traduirais ici par "Parcours supplémentaire pour justifier a priori d'une création radiophonique"… Avec un argumentaire écrit, le détail de la production et des modalités de réalisation. Un parcours "sans parole". Un comble à la radio !
(La suite, demain)

(1) On gravira une marche supplémentaire à la nomination par Mathieu Gallet, Pdg, de Frédéric Schlesinger (mai 2014), directeur éditorial des sept antennes de Radio France, 
(2) 1975-1984, 1984-1997,
(3) Qui pouvait même être aventureuse et donner de sacrés bons résultats…

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