jeudi 8 avril 2021

Nuits magnétiques : un patrimoine radiophonique…

Contexte. Octobre 1993. Jean-Marie Borzeix est directeur de France Culture depuis neuf ans. "Les nuits magnétiques" inventées par Alain Veinstein, à l'antenne depuis 1978. Colette Fellous en assure la coordination depuis la rentrée 1990. Les producteurs délégués, tournant, donnent à entendre quatre soirs par semaine documentaires et/ou reportages sur tous les sujets qui interpellent la société. Ce laboratoire de créations radiophoniques sublime les nuits et crée une intimité très forte avec la chaîne, avec les voix, avec les lieux. Catherine Soullard, productrice et Isabelle Jeanneret, réalisatrice, nous plongent du 12 au 15 octobre, dans les Alpes de Haute-Provence, pour une série ethnographique "Les travaux et les jours".

"J'ai mon bûcher garni, la moitié d'un cochon au saloir, 
trois sacs de pommes de terre et neuf courges… 
Tu peux souffler mistral." 
Jean Giono

La Durance













Au cours de ces quatre épisodes, on prend le temps de vivre et de comprendre ce qui dans nos vies quotidiennes est en train de basculer pour s'effacer aux portes du troisième millénaire. En quatre éléments : le premier l'eau, le deuxième la terre, le troisième le vent et, le feu le quatrième, nous rencontrons les femmes et les hommes qui ont façonné cette terre de Provence. Leurs métiers, leurs coutumes, leurs habitudes. Et leur environnement sonore. 

Les Nuits de France Culture a rediffusé le 28 mars dernier, l'épisode 3 : Pierres des chemins, paysages" : la vie d'autrefois dans les Alpes de Haute-Provence. La nuit est propice à l'écoute de longs documentaires. Rien n'a remplacé Les Nuits magnétiques. À la même heure aujourd'hui c'est parlotte, parlotte et rediffs, soit juste l'inverse de la création radiophonique. Le calque de France Inter dans un ordre de diffusion différent. Les effets de manche de Sandrine Treiner, directrice, et ses incantations permanentes de chiffres d'audience ne trompent pas les auditeurs qui, de 1975 (Yves Jaigu, directeur) à 1997 (Borzeix) ont écouté une chaîne culturelle unique au monde.

J'ai réécouté les trois autres épisodes et Allegro le bel indicatif de René Aubry qui nous faisait pénétrer dans nos nuits magnétiques.

1) Sur l'eau et les choses premières, variations
Celles et ceux qui se souviennent du documentaire Monsieur Escarelle de Tourtour auront du plaisir à retrouver la voix de Catherine Soullard et son attention délicate à ses interlocuteurs, à leur écoute et à ses lectures de Giono. Ses petites touches d'émotions simples ou ses rires spontanés donnent une belle humanité à ses pérégrinations provençales.

Au-delà d'un formidable patrimoine radiophonique, ces documentaires témoigneront longtemps d'une civilisation inimaginable pour des millennials biberonnés aux écrans. La première moitié du XXème siècle a basculé dans une sorte de Moyen-Âge. En moins de cent ans les us et coutumes apparaissent désuets sinon dépassés. Raison de plus pour garder en mémoire ce passé… simple.

"Les odeurs coulaient, toutes fraîches, ça sentait  le sucre, la résine, la montagne, l'eau, la sève, le sirop de bouleau, la confiture de myrtilles, la gelée de framboise où on a laissé les feuilles, l'infusion de tilleul, la menuiserie neuve, la poix de cordonnier, le drap neuf…" (Giono)

La Tête de Louis XVI et la rivière Ubaye, vues de Barcelonnette
(Alpes-de-Haute-Provence),
août 2020.
Cédric Frémi - Radio France

















2) Les gestes et la terre
"Le blé, ça c'est de l'or. Ça c'est de l'or". Quelle belle idée d'illustrer en intro, un texte de Giono avec la musique de Pascal Comelade, Johnny Guitar. On dirait que ce morceau a été créé pour ce doc. On entend une clochette et on y est. "Les amandiers retrouvaient aussi à leur tour, par miracle, le rythme de l'amour. L'odeur des jours d'avant. Le temps de la terre." (Giono)

Au pas lent et à la mesure des jours et des saisons. Le temps des choses. Le temps du blé. Le temps du pain. À petits pas… "Alors on ouvre les portes des bergeries et on se prépare à la lente montée vers l'Alpe fraîche et bonne nourrice à herbe grasse. Ainsi, chaque printemps la Haute Provence est traversée par de longues caravanes de moutons." (Giono)

"On allait se rouler dans la lavande fraîche. Les beaux souvenirs d'enfance"

These childhood places bring sad reflections/Of happy times, spent so long ago/My girlhood friends and my own relations/Have all passed on, like the melting snow. Joan Baez (1)

3) Pierre des chemins, paysages. En écoute ici, (en attente que le player d'écoute soit disponible). "Les paysages sont personnels… Sur les chemins de Haute-Provence, il y a des cailloux, beaucoup de cailloux et des arbres que le vent étreint. On marche dans des odeurs de terre, de sauge et de vigne. Des oratoires, des calvaires, des croix marquent chaque carrefour. Une cloche sonne. Sa hotte sur le dos, le colporteur franchit les cols, le facteur marche d'une ferme à une autre, des almanachs dans sa sacoche. Tout arrive par les routes. Rempailleurs de chaises. Scieurs de long. Cordonniers, journaliers, rétameurs, ils traversent tous des paysages, passant d'une vallée à l'autre, leur biasse à l'épaule. Ce sont leurs routes, leurs paysages, leurs vies." (Giono)Et une belle occasion d'entendre le patois provençal (ou occitan ?).

4) Une forge, des feux"Il faudrait rouvrir les auberges, les fours, les forges et les villages, rallumer les feux, pétrir le pain, faire mijoter des ragoûts, enfourner des pâtés et faire bouillir de l'eau dans des marmites pendues aux crémaillères. Et puis on chanterait, on se raconterait des histoires, on se parlerait le soir à la nuit tombée et, peut-être aussi s'ennuierait-on beaucoup ? Alors on regarderait les flammes, on regarderait le feu brûler, on essaierait de brûler avec lui, on partagerait sa consomption, on essayerait de ne pas mourir…" (Giono) 


 














Et quelle joie quand cet interlocuteur dans sa forge veut tester la Parisienne qui, à son plus grand étonnement, va reconnaître un morceau de canon de la guerre. C'est le jeu de celui qui sait et va transmettre en cherchant à impliquer celui qui sait pas et, le jeu de ce dernier qui se pique d'être à la hauteur. Un joli moment de radio : "Oh la brute, elle m'a eu ! Bravo, vous êtes tombée pile !"

C'est aussi ça la radio. Des petits riens dont on fait son tout. Merci Isabelle Jeanneret et Catherine Soullard pour ces belles heures de vie. Ces bonnes ondes qui font du bien partout. Ces petits grelots qui carillonnent et qui nous rappellent que ça existe. Mille mercis à toutes deux et aux ingés-sons d'avoir tissé une belle pièce radiophonique qu'on va se garder longtemps dans notre grenier à mémoire.

Peut-être, chers auditeurs, pourriez-vous écrire à France Culture 
pour la rediffusion de ces trois épisodes ?

1) Ces lieux d'enfance apportent de tristes reflets/Des moments heureux, passés il y a si longtemps/Mes amis de petite enfance et mes propres relations/sont tous décédés, comme la neige fondante…

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