lundi 7 novembre 2022

Arthur Conte (ORTF) : la statue du Commandeur…

La stature du commandeur même, tant ce Catalan (1920-2013) d'origine paysanne en imposait. Si je fais un retour en arrière sur l'histoire de la radio et de la télévision publique, c'est parce que bientôt l'Arcom auditionnera trois prétendants au poste de Pdg de Radio France (19 décembre). Suite à mon billet du 17 octobre sur les gazouillis de Madame Veil (Pdgère de Radio France) et citant Arthur Conte, je me suis plongé dans son histoire à l'ORTF (1972-1973), l'ai écouté à la radio et l'ai vu à la télé. Bigre, il y a beaucoup de choses à en dire et les trois postulants aux responsabilités de la radio publique seraient inspirés d'en connaître les péripéties.

Au premier plan A. Conte, à droite J. Baudrier,
derrière elle à droite, J. Sallebert,
et à l'extrême droite P. Sabbagh










D'abord une évidence s'impose : pour  le pouvoir, pour les politiques, pour la presse l'Office de Radio Télévision Française (1964-1974) c'est surtout la Télévision. Télévision qui depuis 1968 accapare, mobilise et inquiète un peu plus le pouvoir, au moins autant que l'impact et le pouvoir des réseaux sociaux au troisième millénaire. C'est phénoménal ! Le président de la République (Georges Pompidou), les premiers Ministres (Chaban-Delmas, Messmer), le Ministre de l'Information (Malaud) entendent bien maîtriser/influencer cet objet nouveau de communication qui n'a pas fini d'être au service du pouvoir bien avant d'être le quatrième pouvoir !

Il aurait mieux valu prévoir un feuilleton d'été pour rendre compte de l'époque (fin des trente glorieuses, premier choc pétrolier) tant le renvoi d'Arthur Conte (en octobre 1973) signe la fin d'un cycle et les prémices du démantèlement de l'Ortf en 1974. Comment en est-on arrivé là ?

La choix même du premier Pdg de l'Ortf par le Président Pompidou est déjà un signe fort, même si on le verra Conte n'accepte le poste qu'"à la condition d'être libre". À l'Office (1) le feu couvait dès sa création et, en 1969, la décentralisation est évoquée par Chaban (2). Le 3 juillet 1972 les changements vont pouvoir être actés par la loi (3). Feu d'artifice, le 14 juillet 1972, Arthur Conte est nommé Pdg. Il tiendra seize mois. Pas évident malgré la rage d'être libre - et libéral - de faire oublier le député (1968/1973) UDR (Union des Démocrates pour la République, en soutien à de Gaulle). Nommé Pdg en plein mandat électoral. Et même s'il se défend, puisqu'il n'est pas fonctionnaire, de ne pas être un exécutant aux ordres de l'État, c'est au pouvoir qu'il rend des comptes et ses visites très régulières au Premier ministre (Messmer, 1972-1974) en témoignent.









Ceux qui le nomment Pdg (Le Conseil des Ministres, sur proposition de Pompidou) imaginent le serviteur d'une mécanique qui a pour objet de démanteler de l'intérieur la télévision en créant des unités autonomes. Si Conte n'est pas contre il veut se donner le temps d'en voir les modalités (et les finalités) et agace d'autant les instigateurs du coup d'État, décontenancés de sa lenteur à réformer. L'ORTF c'est l'État. Un État dans l'État. C'est Le sujet permanent de politique intérieure qui mobilise ministres, hauts fonctionnaires, l'opposition, artistes, syndicats et plus si affinités…

Une chose est sûre Conte regarde la TV. Autant par conscience professionnelle que par intérêt personnel ou familial. Et si, grâce à son livre (4), on découvre ses goûts, ses choix et ses propres projets de création télévisuelles, on ne saura RIEN de ses goûts et de ses pratiques radiophoniques. D'ailleurs à part quelques remarques sur Sallebert (directeur de la radio à l'ORTF), Mella (directrice de France Culture) et Chancel (Inter) soit, en tout, moins de deux pages sur les trois-cent-vingt-six du livre, on peut écrire sans crainte d'exagérer qu'à l'époque l'ORTF c'est surtout la TV et rien que la TV. 

Sallebert est tranquille. Il mène la radio à sa guise sans être épié/contrôlé par le gotha. Le Pdg a d'autres chats à fouetter. Les politiques sont persuadés que cet instrument de pouvoir (la TV) doit être LEUR instrument de pouvoir et être dirigé comme une administration hiérarchisée (très verticalement), très fonctionnarisée, aux ordres et surtout peu libre de ses créations, de ses reportages et encore moins de ses journaux d'information.

P. Desgraupes (dir. 1ère chaîne, 1972) et A. Conte
Photo © AGIP / Bridgeman Images

















Comme nous le verrons demain dans le prochain épisode (sic) tout se met en place insidieusement pour préparer le grand soir, le schisme d'août 1974 qui verra la dissolution de l'Office…
(À demain si vous le voulez bien…)

(1) À ses débuts, l'ORTF a eu comme particularité de gérer directement la redevance audiovisuelle sans passer par l'État en reprenant le modèle de la BBC ! En voilà une idée qu'elle est bonne, alors que le flou intégral pèse aujourd'hui sur les finances de l'audiovisuel public depuis la fin de la perception de la CAP en 2022,

(2) "Pour que cette « nouvelle société » puisse naître, il faut que les hommes soient informés, totalement, c'est-à-dire contradictoirement. L'O.R.T.F. doit conserver son caractère de service public, garant de la qualité de l'ensemble des programmes. Mais, pour qu'il puisse répondre pleinement à sa vocation, son autonomie doit être assurée, une compétition véritable doit être organisée en son sein et il doit être ouvert à tous. Il faut qu'une large décentralisation améliore le fonctionnement de l'Office et permette qu'une véritable compétition soit organisée en son sein, grâce, notamment, à l'existence de deux chaînes et, plus tard, d'une troisième…" (Extrait du Discours de Jacques Chaban-Delmas à l'Assemblée nationale,16 septembre 1969),

(3) Le monopole d'État est maintenu, mais l'office est décentralisé et plusieurs changements sont à mettre en œuvre par la création : d'un poste de Pdg (nommé par le Conseil des ministres), de huit unités autonomes pour huit fonctions principales de l'Office, d'un service minimum pour les périodes de grève,

(4) "Hommes libres", Plon, Novembre 1973.

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