Raconter : une sorte d'hypnose…

Trois conteurs dans un bateau.
Des trois matelots, dont un au moins est "quartier-maître", un seul, Christian Clères était en mer ce jour -là (1). En bon conteur, Jean Lebrun accueille Pierre Bellemare (2), en l'apostrophant sur ce fameux Clères, qui a la bonne anecdote pour faire entrer Bellemare dans le jeu des "confessions". Mais, quand un conteur rencontre un autre conteur, ils savent pouvoir compter sur eux pour nous en conter. Lebrun sait qu'il aura fort à faire pour tenir le professionnel de radio dans le fil…

C'est parti ! Les évocations de Bellemare sont savoureuses, précises et CON-TEX-TUA-LI-SÉES. Par exemple, il pourrait se contenter de situer ses ex-bureaux de Tecipress sur les Champs-Élysées, mais il a besoin de préciser que c'était au-dessus du cinéma "Normandie" (3). Au passage, Lebrun de préciser que, pour la rencontre, aucune archive n'a été prévue. Le bateleur des ondes étant particulièrement l'homme de la situation "pour dire la messe et la répondre en même temps".

Il est bon d'entendre rappeler que les programmes de Radio Luxembourg (ex-RTL), dirigés par Louis Merlin, étaient ceux des annonceurs qui s'incrustaient (c'est le moins que l'on puisse dire) dans des programmes qui pouvaient le mieux servir leur image et leur produit. Et Bellemare de fabriquer avec ses équipes, et à tour de bras, collection de programmes riches et variés, dont il n'a rien oublié des messages publicitaires qu'il chante, ravi, devant des spectateurs sûrement éblouis que le bateleur, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, se change en troubadour de la "Brillantine Roja".

Sur le chapitre de Jacques Prévert, les deux gaillards redoublent d'anecdotes. On regrettera de ne pas en savoir plus sur le projet avorté Prévert/Carné autour de la colonie pénitentiaire de Belle-Île. Les évocations sensibles de chacun donnent envie de se replonger dans "Paroles" (4), et de remettre Prévert au goût de nos jours ou de nos nuits.
Si Bellemare ne se révèle pas trop sur son enfance, c'est Lebrun qui par un joli mot fixe cet état dont Ferrat a dit qu'on n'en guérit pas (5). Évoquant les bourdes que les animateurs radio peuvent commettre au cours d'une longue carrière professionnelle, Lebrun de dire "C'est notre marelle à nous". Très belle image d'insouciance et d'imaginaire pour, à cloche-pied, rejoindre un ciel dessiné à la craie.

Si Bellemare pour répondre à un spectateur n'a pas beaucoup d'anecdotes avec la classe politique, Lebrun évoque Fabius (6), puis Pisani (Edgar), reçu plusieurs fois dans ses émissions, qui évoquant le-dit Fabius dira "il n'a rien entre la tête et les jambes". Bam ! Au titre des amabilités on retiendra que, bien des années après que Jacques Chancel ait écrit des "vacheries" sur Bellemare (7), ce dernier reconnaîtra que c'est le seul de la profession audiovisuelle avec lequel il soit fâché !

Voilà, mes chers auditeurs, une séance à laquelle je n'avais pu assister mais qui, pour la faconde de son personnage, peut tout à fait figurer au titre de "Petite madeleine radio". Car, Monsieur Bellemare, c'est indéniable, "Vous êtes formidables" !
 
(1) Festival Longueur d'Ondes, 10 février, Auditorium du Musée des Beaux-Arts, Brest,
(2) Homme de radio (et de télé), RTL, Europe1, des années 50 aux années 2000, 
(3) Pour ceux qui ont connu l'établissement parisien, les souvenirs peuvent affluer en masse,
(4) Jacques Prévert, poésies, Nrf,1946,
(5) "Nul ne guérit de son enfance", 1991,
(6) Époque émission de télé "La tête et les jambes",
(7) Paris Jour,