mardi 25 juin 2024

On va se détendre un peu…

Samedi, fin de journée. Avant l'heure fatidique de 7 heures (du soir) sur Fip, j'ai la joie d'entendre “Amphétamine Annie” des Canned Heat. De quoi faire swinguer un régiment d'ânes morts. Et bing mon petit film “blues, boogie, rock" se projette sur le mur de ma carrée du bout du monde. Je serais capable, si j'avais une émission de radio, de faire toute une soirée avec le deuxième album des Canned Heat sorti en 68 "Boogie with Canned heat".



C'est parti. D'abord je proposerai à une amie de co-produire. Elle saurait trouver les histoires qui iraient bien (elle parle couramment anglais, si !) pour les raconter à l'antenne et… y'a de quoi faire. Histoire d'être synchro, on aurait choisi pour indicatif “Going up the country” façon pop de se mettre en jambes et de faire un clin d'œil au festival de Woodstock, dont le film commence par ce morceau d'une “chaleur bien conservée”. Notre émission s'appellerait "Boogie" autre clin d'œil à Pierre Lattès qui animait cette émission sur Inter (1973-1975).

Et histoire d'empêcher les auditeurs de migrer vers des stations de radio improbables, on attaquerait cash avec “Fried hockey boogie”. 11' 08" dans la calebasse, de quoi définitivement refuser de rester assis. Après un tel “remue-ménage”, au micro elle nous transporte “en Californie en 1965 où le groupe de blues-rock s'est formé à Los Angeles participant activement à la vague du blues revival. Il fut un des groupes les plus populaires des années hippie”. On enchaîne avec "Evil woman” qui ne laisse aucun doute sur l'estampille blues qu'on double sans transition avec "My crime”.

Il faut une voix pour dire ça. Et elle l'a. “Le nom du groupe vient du Canned Heat Blues, un vieux blues de Tommy Johnson, écrit en 1928, dont les paroles évoquent un alcoolique qui se met à consommer du Sterno Canned Heat, un alcool dénaturé et gélifié mis en conserve afin d'y être allumé pour cuisiner (par exemple pour les fondues ou en camping). En pleine Prohibition, les plus démunis en tiraient une boisson hautement toxique.”


On passera les sept morceaux restant du 33 tours, avec une petite mention pour “Marie Laveau”. Concluant avec “On the road again” histoire de pas rester manchot. De prendre la route pour la joie et une certaine légèreté de vivre. Sans jamais renier nos utopies… 


lundi 24 juin 2024

Radio France : les invisibles de la fabrique de la radio…

Radio France n'en peut plus de se repaître de ses idoles (qu'elle a fabriquées ou qu'elle est allée chercher dans les têtes de gondoles de la TV) qu'elle expose à tout va sur les frontons de la Maison de la radio, sur les réseaux sociaux, dans les émissions de télévision du service public. Toujours les mêmes, pour lesquels les dirigeants n'hésitent jamais à mettre en avant leurs préféré.e.s au risque de désespérer celles et ceux qui font le job sans jamais être mis en avant. Mais pire encore, ceux qui dans l'ombre, attaché.e.s de production (AttaPro) et chargé.e.s de programmes préparent assidument le "terrain" et mieux encore apportent sur un plateau ce qui permettra à la productrice ou au producteur et à la réalisatrice ou réalisateur de s'appuyer sur une construction solide avant d'aller en "tournage" ou de rentrer en studio. Et ce travail de fourmi, invisible et invisibilisé, n'apparaît que quelques micro-secondes lors des désannonces du générique d'une émission. De quoi souvent laisser de l'amertume à ces actrices et acteurs indispensables à la fabrique de la radio.




Toutes les émissions n'ont pas les mêmes exigences de travail de recherche en amont. Pour autant ces "petites mains" sont le noyau dur du réacteur. Si l'on remonte aux origines de la radio, on peut considérer, sans trop de craintes d'être démenti, que l'administration des PTT qui gérait la radiodiffusion, utilisait des sténos-dactylos et des secrétaires pour accompagner les balbutiements de la diffusion hertzienne. Après guerre (39-45) les secrétaires totalement invisibles devaient accomplir de nombreuses tâches qui échappaient aux animateurs des émissions. Puis petit à petit, dès le début des années soixante, l'assistante est apparue sans jamais être désannoncée à l'issue d'une émission.

Je me souviens d'avoir interviewé Jacques Pradel, l'homme de radio, qui reconnaissait que pour ses longues après-midi d'animation sur France-Inter de 14h à 17h (1975-1978) il ne disposait que d'une… secrétaire. Bigre ! Aujourd'hui une attachée de production ou une chargée de programmes s'engage dans le parti pris de l'émission, de son écriture et peut être considérée comme autrice de ladite émission (c'est valable bien évidemment pour les hommes qui exercent ces fonctions). En plus de la recherche de textes il y a la recherche de sons qui poussent ces “préparateurs-préparatrices” à développer leur caractère intuitif, à choisir ce qui va au mieux illustrer, étayer, abonder le/les sujets de l'émission.

Et si à l'origine ces personnels étaient formés sur la tas, on est passé à des employé-e-s ultra qualifiés et diplômés, capables d’aller jusqu’à écrire une émission littéraire entière ou de monter des émissions de reportage, où ce sont les Atta pro qui montent. Le réal s’occupant de l’habillage et du mix. Et puis surtout ces fonctions spécialisées sont majoritairement occupées par des femmes et, donc aussi plus souvent invisibilisées. 

Et, s'il est facile pour les productrices et producteurs, d'associer à la création radiophonique les réalisatrices ou réalisateurs, c'est sûrement assez difficile à vivre pour les attapro et les chargés de programme de ne se voir désannoncés qu'avec un nom et un prénom, qui avec leur titre ne veut strictement rien dire aux auditeurs et auditrices. Mais la place qu'ils-elles occupent n'est-elle pas dans une zone de forte contiguité ? Il y a là une association très forte de compétences, de complémentarités et de… frottements. Le producteur est au micro et brille de tous les feux. il a beau s'appuyer sur tout le travail laborieux effectué en amont, c'est lui (ou elle) que l'on entend, dont on retient le nom et dont on vante les mérites, quand ceux-ci devraient largement être partagés.

Les filles de France_Inter, 1979
Cette photo "souvenir" accompagnait un billet ici












Ce travail des Attapro et des Chargé.e.s de programme se joue aussi avec les chargé.e.s de la réalisation. Elles-ils interviennent aussi pour le montage, pour les choix de contenus, pour l'éditorial même, ce qui montre leur engagement formel et incontournable, qui dès lors mériterait mieux qu'une citation désincarnée à l'issue d'une émission. Particulièrement si l'on considère que leur travail pourrait être facilement assimilé à une co-direction artistique et, de fait, à une coproduction.

Seulement voilà, depuis les débuts de l'ORTF (1964) et en cela influencée par la télévision, la radio publique s'est prêtée, de plus en plus, au jeu de la starisation au détriment de la chaîne de fabrication qui implique une équipe de réalisation. Influencée par la TV certes mais aussi par la radio privée qui n'a eu de cesse de fabriquer des vedettes sans que ne soient jamais nommées les équipes qui permettaient à la vedette de briller, comme si de ses seuls petits bras vaillants elle était capable de “faire de la radio”. “Être vu“ ajoute à la discrimination de la radio filmée et de la radio… sans image. Dans les deux cas Attapro, chargé.e.s de programme, réalisatrices  ou réalisateurs ne sont pas en studio et totalement invisibles.

Pourtant il aurait été juste que productrices et producteurs impliquent plus, dans le déroulé des émissions à l'antenne, ces "petites mains" - grosses têtes -, véritables chevilles ouvrières de la fabrique de la radio. Pour redonner au "faire ensemble” tout son sens et envoyer aussi un message clair aux auditrices et auditeurs pour qu'ils n'attribuent plus la seule réussite d'une émission à sa "figure visible”. 

mercredi 19 juin 2024

DAB+ : la messe est dite…

Je devrai même dire la grand-messe ! Hier, l'Arcom réunissait le ban et l'arrière-ban de la radio pour présenter au cours de ce qu'ils appellent “Les assises de la radio", le Livre blanc qui détaille et propose la mise sur orbite du DAB+ à l'horizon 2033. Le Président de l'Arcom, Roch-Olivier Maistre, a dans son discours d'introduction posé les enjeux de l'affaire "La bascule de la radio en tout numérique”. Cela a le mérite d'être annoncé clairement. Mais la bascule a le pouvoir de balancer dans un sens ou dans un autre et, en ces temps d'absolu invisibilité sur l'avenir de l'audiovisuel public, l'engagement de l'Arcom pour le DAB+ laisse une épée de Damoclès au-dessus de tous les acteurs de la filière qu'ils soient publics, privés ou associatifs.









Hervé Godechot, membre de l'Arcom, président du groupe de travail "Radio et audio numérique" a donc présenté en un long exposé, clair et précis, les enjeux - et les nécessités - de ce basculement qu'on peut qualifier de civilisationnel. Les plus passionnés d'entre vous iront écouter l'ensemble des interventions qui ont quand même duré 3h44. Sachant que le DAB+ garantit la souveraineté de la radio et la non-dépendance à un accès Internet ce qui est le cas aujourd'hui avec l'IP (Internet protocole) via les ordinateurs, les tablettes et les smartphones.

La trajectoire que fixe l'Arcom est : la préparation (au basculement), d'aujourd'hui à 2027 puis, de 2028 à 2033, une migration vers une bascule totale. Pour ce qui est de la préparation il s'agit de créer un environnement économique, réglementaire et législatif favorable. C'est aussi mettre fin à la recherche de nouvelles fréquences hertziennes. Et surtout inciter le législateur à défendre une loi pour autoriser l'Arcom à geler les fréquences hertziennes qu'un opérateur aurait abandonné pour basculer en DAB+. (Pour ne pas donner l'occasion, s'il y avait rachat de fréquences, à ce nouvel opérateur de concurrencer celui dont il a pris la fréquence hertzienne). (1). L'Arcom propose, via l'Association "Ensemble pour le DAB+", qu'un pilote pour la transition s'associe aux acteurs de la filière, à l'exécutif et au régulateur (l'Arcom).

Pour l'étape 2028/2033, l'Arcom considère que le parc de récepteurs devra être de 70% avant 2033 et 50% en DAB+ et IP avant cette date “butoir”. L'Arcom s'interroge sur l'extinction de la FM avant 2033, en 2033 ou après, considérant prématuré de fixer une date de fin. Avec une extinction totale ou partielle, Godechot rappelant qu'en Norvège subsistent des "poches" de diffusion FM (2). Mais personne n'a rien dit sur le déclic et/ou la nécessité qui va inciter les consommateurs à l'achat de nouveaux récepteurs. Si c'est acquis pour les véhicules c'est très loin de l'être pour ce qui concerne les radios actuellement en fonctionnement au sein de chaque foyer français.

On me pardonnera cette attention particulière aux silencieux ou aux absents à ce raout professionnel. Si Madame Veil, Pédégère de Radio France, était bien présente à cette présentation du Livre blanc elle n'a pas dit un mot. Quand on aurait pu penser qu'a minima elle remercie l'Arcom pour la qualité de son travail et l'engagement de Radio France dans le processus (3). Silence pesant et inquiétant. De la même façon le tambour-major du numérique à Radio France, Laurent Frisch, était lui absent. Comment le chantre de la mutation pouvait-il manquer une si belle occasion de rappeler l'engagement (forcené) de Radio France pour le numérique (4) ? Ni Hervé Rony, ni personne de la Scam ne semblaient non plus être présents.

J'ai téléchargé les cent-cinquante-deux pages du Livre blanc que je ne désespère pas de lire pendant mes longues nuits d'insomnie ! Alea jacta est

(1) Par exemple si FIP devait migrer en DAB+, aucune de ses fréquences ne seraient pas réattribuables, 
(2) Comme l'a rappelé Emmanuelle Le Goff, Mediametrie, "La moitié du volume d'écoute de la radio se fait à l'extérieur du foyer. Les matinales et les vespérales ont encore de beaux jours devant elles,
(3) Même si le Secrétaire général de Radio France, Charles-Emmanuel Bon, a pris part à l'une des tables rondes, 
(4) Même si, Justine Gheeraert, responsable des partenariats stratégiques à la direction du numérique de Radio France participait elle aussi à une des tables rondes, 

lundi 17 juin 2024

France Inter : jusqu'ici tout va bien… mal !

Les trois font la paire ! Marie Misset (journaliste ex-radio Nova), Marine Baousson (humoriste, comédienne, autrice, podcasteuse et metteure en scène), Maïa Mazaurette (autrice, chroniqueuse, et peintre française). À la rentrée 2023 sur France Inter, il fallait bien combler le vide laissé par la bande à Charline Vanhoenacker (journaliste et humoriste belge) qui officiait depuis 10 ans dans la "belle case" de 17h, partie animer l'hebdomadaire "Le grand dimanche soir".. Adèle Van Reeth, directrice de la chaîne, avait proposé à Mathieu Noël (transfuge d'Europe 1) de s'y installer. Celui-ci “beau joueur” fit remarquer qu'il "remplaçait” déjà depuis un an Charline dans ses billets d'humeur du lundi au mercredi (7h55) et qu'il n'allait pas en plus la remplacer à 17h. On fit donc venir trois ovnis féminins pour combler le vide.












Combler le vide (absolu) par un vide sidéral ne pouvait vraiment rien donner de bon. Pas vraiment à son affaire, Mazaurette quitta le frêle esquif en mars. Fallait-il vraiment qu'Inter soit en mal d'inspiration et de création pour nous laisser croire que du blabla insipide ajouté à du blabla superfétatoire pouvaient faire une émission de radio ? La "belle case" de 17h n'a plus aucune valeur à l'ère du délinéarisé. L'important c'est la matinale XXL (pour parler à la mode Inter) de 5h à 10h, les deux premières émissions de l'après-midi (“La terre au carré” et “Affaires sensibles”), puis la soirée de 18h à 21h (avec encore deux heures de set d'infos avec Fabienne Sintès).

Alors le creux de 16h à 18h, c'est du comblage, de la parlotte, de l'entre-soi du Kleenex à jeter. Misset et Baousson n'étant pas reconduites à la rentrée prochaine, c'est… c'est Mathieu Noël qui officiera une heure de plus de son Zoom Zoom Zen qu'on pourrait qualifier de Zin Zin Zen. Il n'aura pas remplacé Charline mais celles qui ont (furtivement) remplacé Charline. Autant dire qu'il fera bon à la rentrée se balader ailleurs pendant ces heures-là.

Rallonger une émission d'une heure montre une fois de plus la pauvreté éditoriale qu'assigne Adèle Van Reeth aux "heures creuses" de la chaîne. Avant la délinéarisation aucun directeur de programmes n'aurait laissé s'affadir la case de 17h. On rappellera la désolation de Mermet, puni, (“Là-bas si j'y suis”, 1989-2014) quand il était passé de 17h à 15h les dernières années de son émission. Van Reeth ayant inventé le 8ème jour on comprend aisément que le flux soit devenu pour elle, accessoire. Enfin, pour elle, surtout pour le tambour-major de la plateforme, Laurent Frisch, qui doit faire muter la radio de flux en une myriade de “collections” et autres "thématiques” toutes chaînes confondues.

Jusqu'ici tout va très mal pour France Inter qui, derrière des chiffres rutilants, cache une grande misère éditoriale, quand le nouveau principe est surtout de jouer à tout-va rediffusions sur rediffusions, au point qu'à la rentrée les émissions "fraîches” pourraient s'arrêter à 21h.

mardi 11 juin 2024

C'est arrivé demain…

Pour la deuxième fois, en quatre ans, la loi audiovisuelle est suspendue à l'histoire. Quand l'histoire elle-même est suspendue à demain. Un demain de trois semaines dont les vingt jours qui nous en séparent ressemblent à vingt secondes.Vingt secondes qui peuvent changer la France, qui peuvent changer la vie. Pourtant la vie est à nous. "La vie est à nous" comme Renoir l'a écrit et filmé en 1936. En plein Front populaire. Et puis, le 12 mai 1981, Robert Escarpit, dans son billet du Monde, C'est arrivé demain écritJ'ai sous les yeux un journal daté du lundi 11 mai. Un titre le barre : "Le parti socialiste revendique la direction du gouvernement. " Il tire les conséquences de la victoire électorale que vient de remporter la gauche. Ce journal est jaune et poussiéreux, car si le jour est bien le lundi 11 mai, l'année est 1936.”











C'est arrivé demain et il faudra bien que ça arrive le 30 juin et le 7 juillet. Il n'y a plus d'autre alternative. Pour des lendemains qui chantent et qui devront réenchanter la vie. Faire Front populaire absolument. Définitivement.

lundi 10 juin 2024

Plus belle la radio ?

Moins belle la vie… de la radio ! M. Jeanneney n'a pas relevé, le 13 avril dernier dans sa "Tribune" au Monde : «La fusion de l’audiovisuel public nous ramènerait au temps antédiluvien du gargantuesque ORTF» la propension “soudaine” de Radio France de nommer, sans sourciller, des dirigeants qui viennent de la télévision. Au moins du temps de l'ORTF, les vaches étaient bien gardées. Des professionnels de radio à la radio, des professionnels de télé à la télé. Mais tout ça c'était avant le drame !

La radio va finir par tomber…
dans les pommes !









Le drame ? Celui qui voit le zèle exceptionnel de la Pédégère de Radio France à préparer les équipes à la fusion de la radio dans la TV et non le contraire. Sinon pourquoi faire appel à des professionnels du visuel quand Radio France ne manque pas de ressources humaines ? Quel symbole ! Sept jours après l'annonce du départ en retraite de Laurence Bloch, directrice éditoriale des sept chaînes publiques qui a fait toute sa carrière à Radio France, Mme Veil recrute Vincent Meslet, pur produit de la télévision ! Surprenant non ?

Vous voulez faire de la radio… commencez par la télé !
Tout avait commencé “discrètement" avec l'arrivée d'Emelie de Jonq d'Arte, à la direction de France Culture, il y a juste un an. Après le départ de Yann Chouquet, directeur des programmes de France Inter, Jonathan Curiel (qui travaillait au sein du groupe M6 où il était directeur général adjoint des programmes M6, W9, 6ter en charge des magazines et documentaires depuis 2019), est choisi pour le remplacer comme Directeur des contenus, en charge des programmes et du numérique à France Inter. Et de deux !

Jeudi 6 juin alors que la (dé)fête de la radio “bat son plein” (de vide !) Sibyle Veil nomme Vincent Meslet. “…producteur des feuilletons à succès Plus belle la vie et Ici tout commence, il dirige la branche française de la puissante société de production Newen – filiale du groupe TF1 – depuis janvier 2021. Pour autant, cet homme de contenus, considéré comme l’un des meilleurs patrons de programmes français, connaît bien le service public” (1). Le service public (et le privé !) sans doute. Mais la radio pas du tout. Et de trois !

Ça commence à faire beaucoup et ça commence à se voir ! Mme Veil a beau claironner qu'elle est pour la holding et contre la fusion pourquoi ces nominations qui, pour le moins, ne donnent vraiment pas un signe clair et franc de son engagement pour la radio ? Sinon nous persuader qu'en coulisses les grandes manœuvres sont à l'œuvre pour qu'une fois fusionnée la radio ne vienne pas chouiner de l'incompatibilité (d'humeur et de travail) avec la TV. Je reprends toujours cet exemple car il est parlant. En juin 1968, Yves Guéna, nouveau Ministre de l'information n'est pas allé chercher un-une énarque pour reprendre en mains la radio devenue atone. En choisissant Roland Dhordain (le père de la réforme de la radio au sein de l'ORTF) il savait qu'il pouvait compter sur un professionnel qui avait fait ses preuves.

Pas sûr que la TV renvoie l'ascenseur à Mme Veil qui ne doit pas trop compter sur son embauche prochaine à Arte, M6 ou TF1. La radio se mélange mal dans la TV !

(1) Brice Laemle, Le Monde, 6 juin. 

vendredi 7 juin 2024

ORTF : 74, année cata…strophique. 10/10

Alors que fin décembre 1974 les feux de l'ORTF sont prêts à rendre l'âme, il aura fallu dix ans aux pouvoirs publics pour méthodiquement saborder le navire audiovisuel. Dès 1964, le Rapport Peyrefitte vise la "remise en ordre" de la radio et de la télévision. C'est une manie. Ces années-là, les Ministres entendent que l'audiovisuel public soit géré comme EDF ou la SNCF. Aux ordres ! En 1968, le Rapport Dilligent, du nom du Sénateur du Nord examine l'ensemble des problèmes posés par l'O.R.T.F. Juin 1970, c'est le rapport Paye (1). Le 3 juillet 1972 le statut de l'ORTF est modifié. La réforme vise à mettre en place une "décentralisation" (2). C'est pas fini ! Le 27 février 1974 le Plan Marceau Long est adopté. Le 7 août 1974 l'éclatement de l'ORTF est acté par la loi. En dix ans les gouvernements de droite se seront ingéniés à "régenter/contrôler" l'audiovisuel public jusqu'à lui faire rendre l'âme.


 Devant la maison de la radio, 9 octobre 1974
Photo by Michel ARTAULT/
Gamma-Rapho via Getty Images



















Un serpent de mer qui ne meurt jamais

Dans cette administration audiovisuelle gouvernée par des directeurs généraux, des sous-directeurs généraux, des directeurs de cabinet, des chefs de service, des chefs du bureau, des chefs de rayon, des sous-chefs de rayon, des garçons d’étage, des coursiers, des plantons, des administrateurs et quelques laquais serviles, on se demande bien comment la culture peut y trouver sa place et au prix de quel épuisement des hiérarchies toutes plus… hiérarchisées les unes que les autres ? L’État est incapable de gérer l’audiovisuel public autrement qu'avec des méthodes étatiques. Il faut voir l'allure du CA de l’ORTF pour se dire qu’on doit être à une réunion des pompes funèbres qui enterre la culture et le divertissement. 


L'État n'aime rien tant qu'étatiser, contrôler, structurer, hiérarchiser, démultiplier en cascade les sous-directions des sous-directions, créer des pieuvres administratives, bureaucratiser jusqu'à asphyxier l'initiative et la liberté. En 1972, avant que Malaud présente, en Conseil des Ministres, son projet de décentralisation, la création d'un secrétariat d'État à l'audio-visuel est d'ores et déjà envisagée. Au-secours, fuyons !


24 juillet 1964,
Conseil d'Administration de l'ORTF

















Depuis 2015

En 2015, les sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux préconisent de regrouper l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public au sein d’une nouvelle entité qui pourrait être dénommée “France Médias“ et qui serait constituée au 1er janvier 2020. L’état ne peut pas, ne doit pas gérer la création artistique. Heureusement qu’aux débuts de la radiodiffusion il y a eu pour la radio des créatifs libres : Agathe Mella, François Billetdoux, Alain Trutat, Alain Veinstein, Roland Dhordain, Guy Erismann, Jean-Marie Borzeix, Pierre Wiehn, Pierre Billard, Pierre Schaeffer, Jean Garretto, Pierre Codou Jean Tardieu,… Dès 2014 on les remplace par des 0 et des 1, des geeks du numérique, du chiffre médiamétrique et des calculettes d’audience greffées dans le cerveau.


Les nouveaux Pdg Veil (Radio France), Ernotte (France Télévisions), Valet (Ina) rendent à l’État ce qu’il attend, des chiffres et toujours plus de chiffres de résultats d'audience. L'État attend lui les chiffres qui feraient apparaître une diminution de la masse salariale. Peu importe les contenus, les savoir-faire, la chaîne de fabrication en équipe, du moment que les vedettes s'affichent en têtes de gondole, sur les culs de bus et que l’auto-satisfaction et la promotion saturent la communication.


La loi du sénateur Lafon (votée par le Sénat en 2023) sera examinée et soumise aux votes à l'Assemblée nationale le 24 juin prochain. La fusion des audiovisuels publics est en marche (forcée). The dream is over, place aux plateformes dématérialisées, aux multi-clics et aux grandes claques (dans la gueule). 


The dream is over, vidéo kill the radio star. For ever. 

FIN (le début est ici)

(1) Au terme d’une étude de sept mois, commandée par le 1er Ministre Jacques Chaban-Delmas, le rapport Paye préconise, en juin 1970, une réorganisation complète de l’office sous forme d’une société holding qui contrôlera les filiales majoritaires ou minoritaires correspondant aux grandes unités fonctionnelles de l’office, - diffusion programmation production -” (cité par Sophie Bachmann, La suppression de l'ORTF en 1974. La réforme de la "délivrance", Vingtième Siècle, Revue d'histoire,1988,),

(2) La Documentation française. Ce document de 300 pages comporte l'analyse des objectifs et principes de l'O.R.T.F. et l'exposé des réformes proposées. 

jeudi 6 juin 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 9/10

Moins de trois mois avant la fin de l’Office, le personnel de l’ORTF négocie pour savoir à quelle sauce il va être mangé et dans quelle société il va pouvoir poursuivre son métier ? Combien d’années faudra-t-il à France Médias pour ré-harmoniser statuts, savoirs-faire et spécialités ? Faire et défaire, ce sont des milliers d’heures en jeu avec des coûts phénoménaux que le pouvoir se refuse à chiffrer.

Photo © Michel ARTAULT
Gamma-Rapho
via Getty Images























Novembre

(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)


30. “Tandis que le programme minimum est appliqué après l'intervention des forces de l'ordre, le fossé s'élargit entre la présidence de l'ORTF et les syndicats. Les nouvelles sociétés, qui se débattent dès maintenant dans les problèmes budgétaires, s'apprêtent à recueillir un personnel usé par les grèves, désenchanté par le mépris dans lequel on l'a tenu depuis le vote de la loi. Ces dernières semaines de l'Office sont marquées de nombreux soubresauts. Mais, face à une présidence murée dans son silence, les syndicats semblent parfois divisés. Ils cherchent encore une tactique susceptible de répliquer à la politique gouvernementale, une politique dont l'ORTF ressent les conséquences de façon dramatique... Lourde hypothèque pour les nouvelles sociétés, qui hériteront de l'Office défunt plus de blessures que de raisons d’espérer.”


Cela ressemble à “Pendant les travaux, le magasin reste ouvert”. Ce bouleversement absolu de transformation a de quoi mettre les professionnels K.O. et de les impliquer dans un changement de société (c’est le cas de le dire) dont ils sont loin de maîtriser les codes, les enjeux et la pérennité. Il en ira de même pour France Médias si la holding puis la fusion sont actées par la loi. La radio et son personnel a de quoi s’inquiéter pour sa reconnaissance et sa visibilité face à la télévision qui, grâce à l’image, a pu imposer sa domination auprès du public.























Décembre

(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)


5. “Les femmes journalistes n'ont pas de chance. Elles n'étaient que quatre-vingt-seize à travailler pour l'ORTF (sur mille quatre-vingts statutaires) ; quarante d'entre elles sont menacées de licenciement : elles ont décidé d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur une preuve aussi flagrante de misogynie. Les journalistes en grève ont donc résolu en assemblée générale de faire une démarche auprès de Mme Françoise Giroud, secrétaire d'État à la condition féminine, pour protester contre cet aspect de la répartition dans les nouvelles sociétés.”


Si c’est juste pour les femmes journalistes dont il faudra attendre encore longtemps pour qu’elles présentent un journal, c’est un peu moins le cas d’animatrices d’émissions à Fip et à France Inter, de productrices à France Culture.


14. “France-Culture va perdre la moitié de ses auditeurs. C'est une conséquence imprévue de la réorganisation de la radiotélévision. Et déjà, Radio-France connaît ses premières incertitudes : "Tout le monde s'alarme des difficultés budgétaires des sociétés de télévision, alors que la situation de la radio n'est pas meilleure, loin de là." La part de la redevance qui revient à la société est très éloignée de ce qu'attendaient ses responsables. En effet les frais fixes sont très élevés : Radio-France a deux mille deux cent quinze employés à sa charge, des moyens techniques, et l'immeuble de la Maison de la radio... Le seul poste compressible est celui de la production, conclusion d'une certaine ironie, quand on se souvient que la "philosophie" de la réforme se réclamait de la qualité des programmes.


Oups ! Il y avait une philosophie de la réforme (1974), tiens donc ? Personne n’a osé en 2024 associé le mot philosophie à celui de la holding et de la fusion des audiovisuels publics. Car jusqu’à preuve du contraire, les mots “renforcer”, “ensemble”, “plus forts” sont des mots passe-partout, des rengaines faciles qui sont loin de porter une philosophie. La seule “philosophie” du Gouvernement et des tutelles c’est “moins de masse salariale” (que vont devenir les armées mexicaines de cadres à Radio France et France Télévisions ?) et, comme en 1974, “Le seul poste compressible [sera] celui de la production.” Cette évidence échappe absolument à la représentation nationale qui, par sa loi, aura cassé la diversité des voix, des angles et des créations audio et visuelles.


(Suite et fin, demain)

mercredi 5 juin 2024

Radio d'État : le retour (plus tôt que prévu !)

Avant-hier, 3 juin, le premier Ministre Gabriel Attal, s'est imposé et infiltré dans une émission de France Info, à l'auditorium de Radio France qui accueillait plusieurs candidat-e-s à l'élection européenne du 9 juin prochain, devant un public de jeunes. Sans y avoir été invité par Jean-Philippe Baille, directeur la chaîne et de l'info de Radio France, ni par les journalistes, il prit la parole sur le temps de Valérie Hayer (en pleine intervention pour la liste Renaissance). Cette façon grossière a, non seulement choqué les auditeurs présents dans l'auditorium, mais au moins autant les journalistes. Le premier Ministre, avec un tel sans-gêne, aurait-il eu la même attitude pour s'imposer dans les studios de RTL, d'Europe 1 ou de RMC ? Radio France serait-elle ouverte aux quatre vents, donnant la possibilité à quiconque de s'imposer à l'antenne ? Ou y-aurait-il, demain, des facilités pour permettre aux membres du Gouvernement de s'exprimer à leur guise à Radio France ? Mardi 4 juin, Madame Veil, Pédégère de la radio publique, si prompte à donner des leçons de civisme, de moralité, de bien vivre ensemble et de respect des institutions n'a pas réagi à cette intrusion du 1er Ministre, façon de procéder qui ne s'était pas vu depuis plus de cinquante ans, du temps de l'ORTF, aux ordres du pouvoir gaulliste et pompidolien.


15 décembre 1965, 1ère chaîne ORTF









Alors que des menaces sérieuses pèsent sur les audiovisuels publics qu'une loi voudrait fusionner, il est vraiment invraisemblable que le pouvoir exécutif donne un exemple de ce qui demain deviendrait une pratique d'ingérence, par-dessus les instances dirigeantes, par-dessus  l'indépendance des journalistes, par-dessus tout. On se pince ! En 1965, M. Michel Droit, journaliste au Figaro a reçu avant la première élection du Président de la République au suffrage universel, Charles de Gaulle, président en exercice depuis 1965. Obséquieux, Droit interpellait le Président, à grands renforts de "Mon Général" qui, pour l'occasion, les archives le montrent, était en civil. Mais qu'attendre du Figaro autre chose que cette obséquiosité ?

Et que dire d'une attitude, a minima sexiste, vis à vis de Mme Hayer qui n'a eu d'autre choix que de “laisser la parole” à M. Attal. Pathétique exercice du pouvoir et illustration des dangers d'un prompt retour à la "Radio d'État" que les radios privées n'ont pas manqué de fustiger, s'en faisant des gorges chaudes et multipliant les sarcasmes à tout va.

ORTF : 74 année cata…strophique ! 8/10

Françaises et Français sont déconnectés de la transformation annoncée de l’audiovisuel public en sept sociétés distinctes et autonomes. Tant qu’ils peuvent écouter la radio et regarder la télé, le projet politique de la droite, élaboré depuis 1968, leur échappe. Cette “Mécano de la Générale” satisfait des intérêts politiques partisans et surtout met à terre ce qui à l’ORTF effrayait le pouvoir politique, le pouvoir des artistes pour animer radio et télévision.


Réunion à l'ORTF contre des menaces
de licenciement de certains journalistes, 
23 octobre 1974, Photo © William Karel, Gettyimages



Septembre

(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)


6.La réforme de la radio-télévision exigera plus de vingt décrets.” Combien donc pour France Médias ? L’État adore complexifier, cadrer, contrôler. Comment dans ces conditions rendre sereins les personnels qui peuvent être persuadés qu’ils vont appartenir à une administration pléthorique, où chaque employé sera de fait éloigné du parcours interminable de décisions le concernant. Je ne parle pas ici des strates qui devront être franchies pour qu’un projet audio ou visuel (voir audio-visuel) soit validé et mis en œuvre. L’usine à gaz, à son apogée, pour concentrer de plus en plus de temps pour décider (multi-réunions, management en cascades à tous les étages, perte absolue de fluidité), au détriment de la création elle-même.


11. “M. Valéry Giscard d'Estaing a présidé, mardi matin 10 septembre à l'Élysée, une réunion de travail à laquelle participaient MM. Jacques Chirac, premier ministre, et André Rossi, secrétaire d'État chargé de la réforme de l'ORTF, réunion consacrée à la désignation des six présidents des futures sociétés nationales et établissements publics de radiotélévision. Cependant, il n'est pas exclu que ces désignations ne soient révélées qu'à la fin de la semaine seulement ou après le conseil du 18 septembre.” En ces temps immémoriaux chacun pouvait imaginer les perspectives de l’autonomie de chaque nouvelle société audiovisuelle. On allait passer de la “multinationale” à plusieurs PME spécialisées, avec des circuits de décision et d’action beaucoup plus courts, de fait plus efficients et plus fluides.


19. “Ce sont en tout cas des hommes nouveaux, puisque Mme Jacqueline Baudrier, la seule femme, est également la seule survivante de l'ancienne direction. Les nouveaux présidents sont, presque tous, des personnalités dont la réussite professionnelle est unanimement reconnue. C'est le sociologue Jean Cazeneuve qui présidera la première chaîne ; l'écrivain-éditeur Marcel Jullian, la seconde ; l'ancien directeur-général adjoint de l'O.R.T.F. (1964-1968), M. Claude Contamine, la troisième. Mme Jacqueline Baudrier revient à la radio, ses premières amours ; M. Pierre Emmanuel, de l'Académie française, présidera l'institut de l’audiovisuel”.


Intéressant de constater que ce n'est ni un manager, ni une énarque mais une professionnelle, journaliste, qui prendra les rênes de la radio publique. Ceux qui l’ont nommé imaginent qu’il s'agit de bien connaître un secteur pour le diriger. Ce qui, 40 ans plus tard, en 2014, se révèlera caduque et participera, particulièrement à la radio, à l’impérieuse volonté de gérer Radio France d’un point de vue comptable (et médiamétrique), au détriment de la création et des moyens de production.


19. “Femme de caractère dans un univers d'hommes, prompte à s'enflammer, mais travailleuse infatigable d'une bonne foi totale, portée aux plus hauts rangs par la force de ses convictions, professionnelles et politiques, Mme Jacqueline Baudrier marquera vite ses nouvelles fonctions de son empreinte.” L’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) choisira-t-elle une femme de caractère, dans un univers encore dominé par les hommes, pour prendre les rênes de la holding et de la nouvelle société fusionnée ? Wait and see.  


(À suivre, demain)