vendredi 29 mars 2024

Pourquoi rallumer la radio quand Veil s’apprête à l’éteindre ?

Dans La Tribune Dimanche, ce 24 mars, Laurent Lafon et Quentin Bataillon (1) annoncent "L'heure est venue de réformer l'audiovisuel public." Hier devant le personnel de Radio France, sa Pédégère a présenté son projet stratégique 2024-2028. Je n'ai choisi pour écrire ce billet que deux "détails" qui n'en sont pas et qui en disent long sur le big-bang à venir. Ce dernier terme est lui-même employé par les signataires de la tribune.










Ces mêmes signataires affirment la nécessité de "regrouper les forces". "Nous préconisons plutôt la mise en place d'une structure commune qui pourrait s'appeler "France médias". Sans exclure la possibilité à terme d'une entreprise unique, cette option préserverait l'identité des différentes filiales : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA". Ça c'est pour le contexte, le détail c'est la conclusion de la tribune. "Rallumons nos radios et nos télévisions". J'y reviendrai.

Madame Veil a développé son projet stratégique, au titre limpide "Un service public audio pour tous". Voilà l'autre détail. De mémoire audiophile ou d'auditeur chevronné c'est la première fois de l'histoire de Radio France (débutée en janvier 1975) que l'audio est sanctuarisé dans un projet d'entreprise et surtout qu'il remplace le mot "radio" qui est l'objet même (et la fonction) de la société "Radio France" (2). De là à ce que la mue aille jusqu'à la création d'"Audio France" il n'y a qu'un pas qu'il est sans doute encore prématuré de franchir (3).

Au titre de cet audio-là il est affirmé : "Ces dernières années, notre stratégie d’élargissement de la radio à l’audio, par l’hybridation de la radio et du numérique à tous les niveaux (de la conception, à la diffusion, en passant par la production), a largement démontré sa pertinence." Madame Veil achève le long parcours qui, depuis 2014, n'a cessé de formaliser la mue jusqu'à la faire aboutir à une révolution sémantique. La radio intégrée (désintégrée ?) dans un grand mouvement audio généré et conditionné par un "tout numérique" tendance dévastateur des procédés (élaboration des émissions), des savoirs faire (des métiers : producteur, réalisateur, technicien du son) et de la chaîne de fabrication (attachés de production, chargés de programme, équipe de réalisation) de la radio elle-même depuis ses origines. Et sûrement de l'art radiophonique fait d’émotion, de sensibilité, et d’humain.

Alors quand, demain, on se croisera à la machine à café la seule question existentielle sera "Toi t'es plutôt hybride ou radio-radio ?".

Dans ce projet stratégique il est écrit : "Nous disons souvent qu’il ne s’agit plus d’une « guerre » de position mais d’une « guerre » de mouvement. Radio France est devenu un média de conquête." Il n'y a plus seulement un Président de la république va-t-en guerre, la doctrine belliciste a infusé jusque dans les couloirs de la Maison de la radio. Au mot "conquête" on peut ajouter "de nouveaux marchés" (des jeunes) et installer le service public de radiodiffusion dans une démarche de branding (image de marque) industrielle. Le privé, les radios privées n'ont qu'à bien se tenir !!!!!

Les podcasts sont le plus formidable faux-nez inventé par les ingénieurs (et quelques geeks acharnés) pour casser la radio et faire entrer dans la tête des auditrices et des auditeurs que toute la production Radio France qu'ils entendent dans un récepteur radio, sur l'appli Radio France et sur les plateformes provient d'un podcast. Le mot "émission" a disparu, demain ce sera au tour du mot "programme" et après-demain du mot "chaîne". Une mue exemplaire qui va s'accompagner d'une méga recomposition d'organisation, de métiers, de compétences et d'une coupe drastique dans la masse salariale ce que les tutelles et la Cour des Comptes attendent depuis vingt-cinq ans.

Pas sûr que MM. Lafon et Bataillon lisent cette chronique. Pourtant je leur suggérerai bien de questionner la Pédégère de Radio France lors d'une prochaine audition à l'Assemblée ou au Sénat. "Madame Veil pourquoi rallumer nos radios alors que l'audio sera audible sur tous les supports numériques et même sur votre plateforme ?"

(1) Laurent Lafon, Sénateur (UC), président de la Commission Culture du Sénat. Quentin Bataillon, Député Renaissance, rapporteur de la mission sur l'audiovisuel public. Et quatre co-signataires : Isabelle Rauch, députée (Horizons), présidente de la commission des Affaires Culturelles, Jean-Raymond Hugonet, sénateur (LR), rapporteur de la proposition de loi, Jean-Jacques Gaultier, député, président de la mission sur l'audiovisuel public, auteur de la proposition de loi organique. Cédric Vial, sénateur (LR), rapporteur budgétaire de l'audiovisuel public,

(2) Qui, rappelons-le, n'est pas un groupe mais une société ! Radio France est une société anonyme détenue par l'État français, créée le 6 janvier 1975, qui gère les stations de radio publiques en France métropolitaine et plusieurs formations musicales.
(3) Prochaine campagne de pub au cul des bus ? "Si t'es audio t'es hybride… Si t'es radio t'es bridé ! "

mardi 26 mars 2024

Monsieur Giovannetti…

Ça alors ! C'est un joli titre de billet. C'est l'occasion à travers les chemins escarpés du Cap-Corse de rendre hommage à Claude Giovannetti, chargé de réalisation à Radio France qui toute en discrétion, effacement et pudeur a accompagné Paranthoën dans sa longue quête radiophonique. Pour la radio publique et pour ses créations personnelles. Mais là "pour une fois" sur son terrain - la Corse -, loin des granits de l'Île Grande, Claude va trouver sa juste place à côté du tailleur de son dans le très subtil documentaire de Bastien Lambert "Carte postale de Centuri" (1)

Yann revenant de la pêche
Fonds privé, collection personnelle
de Claude Giovannetti













Lambert tisse, tricote et détricote avec les enregistrements (réalisés en Corse) et les bandes magnétiques personnelles de Paranthoën qu'il a pu écouter en Corse auprès de Claude Giovannetti, première oreille du breton, là, hors de ses terres, hors de "sa" cellule de la Maison de la radio. Nagra chevillé au corps avec lequel de ses doigts agiles il attrapait la vie dans tous les sons du terme ! Gravant sans relâche la mémoire.Toutes les mémoires. Allant même jusqu'à imaginer, vous l'entendrez, que son Nagra - quand il interviewe des personnes âgées - pourrait s'apparenter à l'Ankou (la représentation de la mort en breton). Bigre ! Mais Yann le dit si simplement que ça enlève sa part de tragique à la mort, si présente en Corse comme en Bretagne.

Merci à Claude Giovannetti de nous raconter par le menu l'amour de Yann pour les pommes de terre. "Garder la trace d'anciennes semences" c'est exactement comme garder la trace d'anciennes voix, d'anciennes histoires pour remettre tout au présent. En vie. Jusqu'à la création d'un "Jardin de Yann" (avec ses semences de pommes de terre) dans le laboratoire de recherche de Catherine Château en Bretagne. Et pourquoi pas tenter un feuilleton bucolique "En quête d'Arly Rose ?". Toujours est-il qu'il aurait été intéressant que Van Gogh, Agnes Varda et Paranthoën se rencontrent (2)

Ces moments "arrachés" à la vie ordinaire donnent une autre façon de rencontrer Yann et Claude. Et comme celle-ci le dit si joliment "Yann et la Corse c'est vraiment pich'nette dans sa vie". En corse, ce Yann-là était M.Giovannetti. Juste reconnaissance pour Claude sa compagne… 

(1) L'expérience, Bastien Lambert et Gilles Mardirossian, 23 mars 2024,
(2) Van Gogh "Les mangeurs de pomme de terre", Agnès Varda "Les glaneurs et la glaneuse".

lundi 25 mars 2024

Jean-Marie Borzeix : un homme de radio.

Il est des femmes et des hommes de radio. Par leurs voix, leurs réalisations. Il est aussi des femmes et des hommes de radio, hors micros. Jean-Marie Borzeix est de ceux-là. Vendredi dernier, à Paris, sa famille, ses amis et nombre de ceux qui ont travaillé avec lui à France Culture, dans l'édition et dans la Presse étaient réunis pour un hommage à cet homme tranquille et brillant.

Jean-Marie Borzeix










Au couvent Saint-Jacques chez les dominicains du Saulchoir, un lieu sobre, propice au recueillement, nous a permis d'entendre les témoignages, émus et émouvants, au cours d'une cérémonie religieuse où le fil de sa vie s'est calmement déroulé. De son enfance à Bugeat (Corrèze) jusqu'à ses différentes aventures professionnelles toutes empreintes d'humanité et de culture. Pour ce que je connais le mieux, son parcours à France Culture, il était bon de voir (et aussi d'entendre) celles et ceux à qui il avait fait confiance pour créer ensemble une équipe de radio d'exception culturelle et d'exception tout court.

Laurence Bloch, Emmanuel Laurentin (1), Jean-Noël Jeanneney (ce dernier quand il était Pdg, 1982-1986, l'avait nommé directeur de la chaîne) ont chacun leur tour reconnu l'homme qu'a décrit lundi dernier Nicolas Demorand dans son billet de la matinale d'Inter "Jean-Marie Borzeix était ce qu’on appelait au 17e siècle un honnête homme, engagé dans son époque avec scrupule, curiosité et enthousiasme."Ailleurs dans une revue interne de Radio France, plusieurs productrices ou producteurs ont écrit. 

Laurence Bloch (2) : "Grâce à vous, il y eut tant de ces moments exaltants et nécessaires car vous souhaitiez par-dessus tout établir des ponts, ouvrir des portes pour que la parole circule et que le dialogue s’établisse envers et contre tout. Et nous qui commencions tout juste notre vie professionnelle nous étions si fiers de suivre cet homme engagé, intrépide et courageux qui défendait sa chaîne et fabriquait avec nous cette alchimie miraculeuse d’une radio en prise avec son époque mais à la bonne distance, sans crainte du temps long, avec pour seul repère le scrupule que l’on doit aux auditeurs et aux citoyens.

Emmanuel Laurentin : "France Culture accueillit dans les années 1980 et 1990 de grandes séries documentaires sur la parole ouvrière, les transformations du monde de la pêche ou une France agricole à la peine. Passionné par les mouvements profonds qui transformaient la société, il initia aussi, après la parution de « la misère du monde » de Pierre Bourdieu une grande opération entre Dunkerque et Pau, « la France en souffrance ».



Marion Thiba : "Les «producteurs tournants» :  les couloirs du sixième étage, ceux de France Culture, entre les ascenseurs A, B et F, étaient remplis des éclats de voix des uns, des histoires rocambolesques des autres, des fulminations des agacés et du charme discret des étourdis, solitaires ou autres introvertis…. Tout cela formait des « pleins » et des « déliés », un beau désordre, haut en couleur, qui concourait finalement à la réalisation d’émissions plus variées les unes que les autres. On ne s’ennuyait pas. Les producteurs, eux-mêmes auditeurs passionnés, se demandaient comment untel avait trouvé son interlocuteur, pourquoi cet autre avait eu cette idée d’émission, se délectaient de l’angle d’attaque choisi, de la question posée, etc… Il n’y avait pas une manière de faire de la radio, mais cent ! Le foisonnement des timbres et des couleurs de voix, la liberté de ton, le décalage de certains sujets tout à fait en dehors de l’actualité, c’est ce qui séduisait à l’écoute de France Culture. Cette radio souvent étonnait, parfois agaçait, mais ne laissait pas indifférent. Ce qu’on entendait ici, on ne l’entendait pas ailleurs. La pub officielle, montrant l’auditeur de France Culture –une auditrice en l’occurrence- pour qui la radio était un « signe intérieur de richesse » résumait bien cet état d’esprit et exprimait le lien intime ressenti par ceux qui se trouvaient de chaque côté du « poste ».

Philippe Garbit (3) "[Pour Jean-Marie Borzeix] pas d'autoglorification, donc, pas de trémolos, pas de superlatifs incongrus, mais de l'humour, de l'élégance, de la modestie...Et puis, sous-jacent, un étonnement manifeste : ces 24 heures de richesses radiophoniques, comment diable les faire connaitre, comment réussir à les faire partager à des femmes et des hommes qui, par ailleurs, et heureusement, ont une vie familiale, professionnelle, qui sont également des lecteurs de journaux, de romans, d'essais, qui vont au théâtre, au cinéma, etc...? Bref, comment espérer leur voler une partie de cet emploi du temps privé au profit de l'écoute de France Culture ?"

Blandine Masson (4) : "La radio de Jean-Marie Borzeix était une radio des grands espaces et des temps longs… L’intellectuel qu’il était aimait passionnément les arts, le récit, la fiction, la littérature. Son regard aigu sous des sourcils broussailleux me faisait un peu peur lorsque j’étais jeune productrice mais l’humour de Jean-Marie emportait tout. Un humour si malicieux, et presqu’insolent chez un homme d’une grande élégance. Etrangement, c’est longtemps après sa direction de France Culture que j’ai vraiment rencontré Jean-Marie. Et j’ai ainsi pu percevoir son souci et sa préoccupation de la transmission. Il travaillait alors la BNF et œuvra pour la création d’un Fonds consacré à Alain Trutat dont il aimait se souvenir comme d’un franc-tireur. J’ai mesuré alors combien Jean-Marie Borzeix, inventeur de tant d’émissions nouvelles pour France Culture, était aussi attaché à la mémoire et à la continuation de cette mémoire. Le journaliste écrivain avait le sens de l’histoire et la conscience forte de l’inscription des humains dans un temps qui les dépasse."

Bugeat (19)









Régis Morelon, le prêtre dominicain officiant a donné la parole à qui la voulait. Michèle Perrot, historienne, a dit sa joie à l'appel d'Arlette Farge de participer aux "Lundis de l'histoire". Ma voisine de banc ,Sophie Roekeghem, habitante de Bugeat et Présidente de l'association des "Amis du Pays de Bugeat", association de laquelle Borzeix était proche a pu évoquer leur prochain festival. C'est dans cette commune de Haute-Corrèze que l'enterrement aura lieu aujourd'hui (6).

Parmi ce bel aréopage de gens de radio, j'étais content d'être là. Pour entendre évoquées des émissions, des opérations spéciales (à Bucarest en 1991), un esprit d'équipe, une liberté éditoriale vécue et forgée de 1984 à 1997 dont Jean-Marie Borzeix a été un formidable artisan. Avec cette noble idée de toujours remettre sur le métier, en cherchant, à défaut de la perfection, le bien faire et le bien partagé. Tant pis si cet âge d'or de ces années-là n'a pas existé. Pourtant, comme l'a écrit Jean Lebrun (5): "Je sais bien qu'à nulle période, dans aucun milieu, l'âge d'or n'a eu de réalité. Je n'oublie pas les luttes d'influence qui se livraient dans le France Culture des années 1990 entre vieux barons inquiets et jeunes chevaliers gourmands. Il reste que c'est à cette époque que j'ai entendu plus d'une fois mon équipe assurer : "Nous nous souviendrons de ces années comme des meilleures de notre vie". À cette époque, Jean-Marie vous recevait dans son bureau, ouvrait le tiroir en vous disant : "L'audience est bonne". Il n'avait pas besoin d'en dire davantage.".

Merci Jean-Marie Borzeix pour tout cela. Fasse que là où vous êtes maintenant de bonnes ondes continuent à vous parvenir.

Vendredi dernier, Couvent Saint-Jacques, Paris












Ayant joint Francesca Isidori (productrice à Radio France), ce lundi, voilà ce qu'elle m'a dit : « Je garde le souvenir d’un homme affable, d’un esprit ouvert qu’annonçaient à chaque rencontre son visage et son sourire, d’un homme d’une grande urbanité, avec lequel en 14 ans, le temps où il a été la tête de France Culture, il n’y a jamais eu la moindre tension, la moindre mésentente. »

(1) Bloch, Productrice, puis adjointe de Jean-Marie Borzeix. Laurentin, producteur de "La fabrique de l'histoire", puis aujourd'hui "Le temps du débat" sur France Culture,
(2) Et a dit vendredi dernier,
(3) Producteur des "Nuits de France Culture", 2001-2021,

(4) Directrice des fictions,
(5) Producteur à France Culture et France Inter,
(6) À cette occasion Sophie Roekeghem rappellera : "Il était né à Bugeat au début de la guerre et a raconté avec brio dans son ouvrage "Jeudi Saint", les événements qui se sont déroulés sur notre commune et le Plateau de Millevaches durant ces années terribles. Il a ainsi su faire resurgir des souvenirs enfouis et contribué à maintenir nos consciences éveillées."

Lire aussi le billet de blog (Mediapart) d'Antoine Perraud, producteur de "Tire ta langue et "Jeux d'archives" sur France Culture. Je n'oublierai jamais le Jeu d'Archive de JMB et l'accroche de Perraud "Jean-Marie Borzeix, ça se prononce Borzé… Pourquoi vous dites Borzé ? Vous n'êtes pas à ma connaissance du Pays Limousin et au nord de la Loire on prononce Borzeix ! Bam ! Perraud l'amoureux de la langue avait ici voulu faire un peu trop de zèle !

lundi 18 mars 2024

Jean-Marie Borzeix (1941-2024)

Il y a des choses plus difficiles que d'autres à écrire. Surtout quand Jean-Marie Borzeix est décédé samedi dernier. De 1984 à 1997 il avait dirigé, comme personne, la radio culturelle publique qui pouvait se targuer de l'être. Et avec quel brio ! J'ai eu la chance de pouvoir converser avec lui à plusieurs reprises. Simple, délicat et pertinent il savait parler de sa période de direction sans jamais se mettre en avant, tout en annonçant ses convictions profondes pour la radio. «La radio se fait comme on structure un livre, un film, un journal ou une revue. C'est un travail d'équipe. Techniciens, auteurs, réalisateurs et producteurs apportent tous leur pierre à l'édifice. Pour eux, la radio ce n'est pas seulement ouvrir un micro devant un invité.» (1) 











Venu de la Presse, Combat (1968-1973), Le Quotidein de Paris et Les Nouvelles littéraires, puis directeur littéraire aux Éditions du Seuil (1979-1984) ses treize ans de direction auront marqué profondément France Culture pour laquelle il a installé des émissions, on pourrait oser des émissions de patrimoine. Culture matin, de Jean Lebrun, Le Pays d'ici (Laurence Bloch), Les Nuits de France Culture (2), L'Histoire en direct (Patrice Gélinet), Le bon plaisir (François Maspero),… Des Papous dans la tête (Bertrand Jérôme, Françoise Treussard),…

Pour le Pays d'ici il précise : "À la fois provincial [Corrézien née à Bugeat] et parisien. Je voulais que la France et ses pays aient toute leur place à France Culture. Je voulais que cette émission soit un repère qui, sur place, rassemble tous les terrains, sociaux, culturels, politiques. Une émission compliquée qui nécessitait beaucoup de moyens financiers et techniques. Elle imposait des repérages. Elle a pu s’appuyer sur les meilleurs producteurs de la chaîne qui, sans barguigner - ils étaient tous jeunes - ont passé beau-coup de temps pour réaliser leurs documentaires, en dépassant les contraintes d’un service public… Le Pays d’ici a été une grande école de la radio culturelle. Tous les jours de la semaine, sur le terrain, elle a permis de mêler les angles : archives, témoignages, actualité de la Recherche. Une émission d’actualité. Curieuse de la modernité pour mettre en perspective et bien mesurer notre temps." (3).

"Cette formation (de Borzeix, ndlr) qui remonte à la plus haute Antiquité, ne va pas être sans influence sur le style que tu as donné à France Culture. Car au fond tu as laissé parfois le désordre et la cacophonie sans trop t'en préoccuper. Mais surtout moi j'ai beaucoup appris à cette école-là, car tu acceptais des opinions extrêmement diverses et tu détestais le monolithisme. Ça c'est la définition du Service Public, puisque les auditeurs étant de sensibilités différentes, il faut qu'ils entendent les uns et les autres ce qu'ils ont envie d'entendre. Il faut aussi qu'ils entendent ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre et il faut absolument sortir les producteurs de leur volonté d'apporter leur message. Et tu disais sans cesse aux producteurs et ça c'était l'esprit de Combat "Soyez dans la controverse, soyez dans le débat". (4)

Borzeix acquiesce. "Je me suis beaucoup battu pour ça. À quoi ça sert un directeur dans une radio ? C'est constamment (et ce n'est pas très glorieux comme rôle) de rappeler à l'ordre. C'est ouvrir au maximum l'éventail des opinions, des sujets, la diversité des formes, et c'est un travail qu'il faut mener constamment. Il faut se battre dans une radio comme France Culture contre des dangers qui sont récurrents et permanents : le parisianisme. Et je me suis beaucoup battu contre le parisianisme et la mondanité. C'est pourquoi dès en arrivant en 1984 j'ai voulu créer une émission quotidienne "Le Pays d'ici" qui coûtait cher et qui se promenait toute l'année dans toutes les régions de France, qui faisait du reportage, du direct. C'était pour moi important, et plus que symboliquement, d'entendre ces voix loin du quartier latin, loin de la Maison de la radio." (4).

Lors d'un de nos entretiens, surpris par ma recherche (compulsive) sur la radio il a très vite évoqué de très grands sujets d'histoire (Chute du mur de Berlin, Ceaucescu, la Pologne,…) pour lesquels la chaîne était allée sur place. Il me rappela aussi que le "Pays d'ici" pouvait à de nombreuses occasions, toute l'année, être sur les lieux de grands ou plus petits événements culturels et/ou sociaux. Mais, et c'est ce qui fera le sel de cet échange, Jean-Marie Borzeix, me fit remarquer que la chaîne pouvait aussi se rendre dans des lieux où il ne se passait "rien". Et de me citer deux producteurs, Jean Couturier et Irène Omélianenko, qui dans une roulotte recueillaient "la parole qui passe".(5) Et ce moment savoureux sur France Inter quand Philippe Caloni interviewe Jean-Marie Borzeix le 15 octobre 1984.

Souhaitant que France Culture soit digne de cet héritage et consacre à Jean-Marie Borzeix l'hommage qu'il mérite.

(1) in Radio Exception, Le débat, n° 95, mai-août 1997,
(2) Créée en janvier 1985. Jacques Fayet en était le producteur. A suivi Geneviève Ladouès, en 1998. Philippe Garbit a pris la suite en décembre 2001 jusque fin 2021,
(3) Entretien avec l'auteur de ce blog,

(4) Jean Lebrun interviewe J.M. Borzeix au Festival Longueur d'ONdes à Brest en décembre 2010, 
(5) En 1993, pour le "24 heures du livre du Mans", Couturier et Omélianenko installent dans un jardin de la ville, la fameuse roulotte. Avec une table, quelques chaises et deux micros. Irène approche quelques personnes et petit à petit "les gens" viennent parler car "ici, on raconte sa vie". 

Trois femmes dans un bateau : qui saute à l'O… RTF ?

Après les déclarations affirmées de Mmes Dati et Ernotte, respectivement Ministre de la Culture et Présidente Directrice Générale de France Télévisions, sur le devenir de l'audiovisuel public la semaine dernière, "on" était très inquiet de l'insondable silence de Mme Veil, Pédégère de Radio France. Avait-elle dans un moment de grand trouble rejoint en hélicoptère Baden-Baden pour rencontrer quelque générale de la communication de crise, à l'instar d'un autre général qui en 1968 en fit de même pour sonder auprès d'un camarade de combat s'il y avait lieu d'envoyer les chars sur Paris enjaillé ? Que nenni, Madame Veil s'apprêtait juste à confier "en exclu" à La Tribune Dimanche le B-A-BA de ses convictions sur les méfaits de la fusion des audiovisuels publics. Montrant par là les risques d'"effacement" de la radio qu'elle appelle le plus souvent "l'audio". À cette posture risquée d'isolationnisme Madame Veil joue son va-tout comme le Général d'autrefois avait failli jouer le va-t-en-guerre.

À l'époque (2017), je n'avais pas encore
inventé l'acronyme HO.R.T.F.














La ministre a annoncé vouloir "rassembler les forces" de l'audiovisuel public souhaitant une gouvernance unique" et "avancer sans aucun tabou""De pouvoir avoir une gouvernance unique, de fusionner, de pousser à la coopération, aux synergies – j'allais dire à la fusion –, en tous les cas qu'il y ait une efficacité dans la gouvernance et le fonctionnement, c'est un objectif qu'on doit tous avoir". La messe est dite… ou presque.

Mme Ernotte, devant les salariés de France Télévisions, a enfoncé le clou : "Je soutiens le projet de la ministre. C'est une surprise pour personne, cela fait cinq ans que je rabats les oreilles de tout le monde avec cette histoire de fusion. Je suis pour qu'on y arrive… Dans un univers numérique foisonnant, je le répète, seule l'union fait la force. On doit s'unir" (1).

Il ne restait plus à Mme Veil qu'à porter l'estocade. "En matière de gouvernance commune il ya plusieurs options possibles. Je rencontre la Ministre dans quelques jours à ce sujet, sur lequel je suis constante depuis plusieurs années… Une fusion de l'audiovisuel public affaiblirait la radio. Et ce n'est pas le moment d'affaiblir l'audio quand on voit les ravages du trop d'écrans  sur la santé publique en général et le bien être des jeunes en particulier. Sans compter qu'une fusion très consommatrice en temps et en énergie managériale pourrait aboutir à un grand ensemble bureaucratique (2)".

Déjà en 1980 !







L'affaire est posée. On va voir avec quel sens du "tout et son contraire" Mme Veil essaye de tenir un équilibre précaire pour ne pas dire pathétique. Si comme elle l'affirme une fusion est  "très consommatrice en temps et en énergie managériale" elle le sera donc formellement pour la fusion de France Bleu et France 3. "ICI est un projet de coopération entre France Bleu et France 3 pour créer le grand média public de proximité. Mais aujourd'hui quand on regarde nos matinales communes, on voit trois logos, France 3, France Bleu et ICI, c'est incompréhensible. (2). Un petit ensemble bureaucratique ?

Cette démonstration ne peut qu'aller dans le sens de ce que la Ministre évoquait il y a quelques jours sur France Culture "Il est important de garder un audiovisuel puissant et pour qu'il reste puissant il faut rassembler ses forces et arrêter de travailler en silo."  Si la holding France Médias (3) continue de distinguer les quatre partenaires - France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l'Institut National de l'Audiovisuel -, les entités de chacune (pour Radio France ses sept chaînes) pourraient être fondues sous le seul chapeau de leur maison-mère. Exit les "silos"

Sous la marque générique Radio France resterait quelques boutons à cliquer pour distinguer les antennes par leurs noms ou seulement des logos de couleur pour reconnaître ce qui autrefois s'appelait France Inter, France Culture et plus si affinités ! Ou moins puisque la loi pourrait aussi inciter les acteurs audiovisuels à des regroupements propices aux… économies d'échelle !!!! 

Les Shadoks









À cette Mécano de la Générale en pleine ébullition on peut dire sans se tromper que Mme Veil joue plutôt corpo que la défense de la radio dont elle s'applique à gommer le sens et la fabrique en se gargarisant à longueur de propos du terme générique et non distinctif d'audio. Il en faudrait plus à Mme Dati pour freiner son projet et se convaincre que la solution d'un retour à l'HO.R.T.F. (Holding de Radio et Télévision Française), quitte à renier M. Giscard d'Estaing, ne serait pas le bon choix du moment et de l'époque ! Faire et défaire…

(1) La Correspondance de la Presse, 14 mars 2024,
(2) La Tribune Dimanche, 17 mars 2024, avec en accroche de une : Big bang dans l'audiovisuel public : la mise en garde de la Présidente de Radio France,
(3) Le nom avancé pour le futur regroupement des audiovisuels publics,

vendredi 15 mars 2024

Le cinéma quelque fois de la guimauve dégoulinante ou du mélo de pacotille…

Je ne jetterai ni l'eau propre, ni l'eau sale sur le film diffusé mercredi 13 mars sur Arte "Les passagers de la nuit". J'essayerai juste de montrer comment l'utilisation de symboles - ici la Maison de la radio - est juste superfétatoire et pathétique. L'adage "on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre" vaut pour ce film qui, s'il s'était appelé "La simple vie d'Élisabeth" ou "Les limites des trente glorieuses" n'aurait peut-être pas eu l'impact du titre choisi par le réalisateur, Mikaël Hers. Ce titre qui, pour les amateurs de radio, s'appropriait celui d'une émission quotidienne de France Culture produite par Thomas Baumgartner (1).









J'aurai pu m'abstenir de rédiger ce billet à charge si, après avoir vu deux films récents, ni porteurs d'imaginaire et encore moins d'enthousiasme (2), je n'avais eu besoin de me détendre un peu. J'avais toutefois un a-priori assez défavorable pour ce que j'avais pu lire sur "Les passagers de la nuit" à sa sortie. Me doutant bien que la dithyrambe de Télérama s'ingénierait à ne surtout pas tenter la moindre critique négative, preuve en osant l'enflure de son titre Les Passagers de la nuit” sur Arte : comment Mikhaël Hers a sublimé le Paris futuriste de 1981". Pas moins. On pouffe, on s'étrangle en se demandant comment ce film sublimant n'avait alors reçu ni César, ni Oscars et encore moins d'Ours d'Or !!!

Sublimé quoi ? L'euphorie festive jouée dans une petite rue de Paris le soir de la Présidentielle de mai 1981 (3) ? Le prétexte de la Maison de la radio, accessoire de décor, juste pour le décor ? La caution d'une émission emblématique des années 70 (et au-delà) sur France Inter, "Allô Macha !" qui donnait, en direct, la parole aux noctambules en mal d'affection ou de sens à leur vie ? La vie difficile d'une femme, mère de deux enfants, dont le mari l'a brutalement quittée ? Les stéréotypes de situations adolescentes (très bien jouées par les trois "ados") conformes au réel de l'époque ?

Dans ce film rien n'est sublimé. Mais rien du tout. On peut affirmer que n'ayant pas fait l'Actor studio ni Charlotte Gainsbourg en apprentie standardiste, ni Emmanuelle Béart en très insipide animatrice d'émission, n'ont du beaucoup prendre le temps de se mettre dans la peau des personnages. Macha Béranger, incarnait son émission. "Dans le micro" très proche de l'oreille de ses auditrices et de ses auditeurs, très à l'écoute, prête aux confidences. Les standardistes, elles et eux, devaient faire preuve de talent ou d'ingéniosité pour déceler celles et ceux qui pourraient rendre vivants leurs témoignages !

Le prétexte de la maison de la radio ne sert qu'à placer en situation de travail Charlotte/Elisabeth. Les très furtives images des lieux, grand hall, escaliers n'apportent rien in situ à une situation factice. Les studios ne sont pas ceux de Radio France (4). On est bien content d'apprendre grâce à Télérama que tourner à la Maison de la radio était un rêve pour le réalisateur. Sa réalisation montre que ce rêve manquait, a minima, d'ambition et a maxima d'être en prise avec la radio elle même. Des images (décoratives) et des clichés ne font pas une incarnation. Ce film n'est pas incarné. C'est du cinéma pour du cinéma. Aussi décevant que le vidéo-clip de Nicolas Philibert "La maison de la radio(5).

Nantes










On dirait bien, dans les deux cas, que le seul titre et décor "Maison de la radio" puisse garantir d'être dans la radio. On aurait pu mettre Charlotte Gainsbourg à la RATP (pour faire les annonces de service au micro), à l'Arc de Triomphe pour servir de guide, à la Tour Eiffel pour jouer une liftière, ça n'aurait rien changé au scénario. Elle aurait toujours essayé de travailler pour faire vivre sa famille. La maison de la radio est un prétexte et pire un prétexte sans âme ni conviction pour la fabrique de la radio.

Mes ami-es diront "Détends-toi Fañch c'est de la fiction !". Ils n'auront pas tord ! Mais mon attachement à la radio et à sa Maison m'interpellent sur l'utilisation qui peut en être faite ou qu'elle soit galvaudée. Et que, dans ce film, ce soit dégoulinant de guimauve, de mélo et de pathos. Alors côté fiction je vais aller au cinéma voir, "Il reste encore demain" de Paola Cortellesi, je sais d'avance que je ne serai pas déçu ! 

Ajout du 17 mars
Pour comprendre faire de la radio le réalisateur aurait pu s'inspirer de "Good morning Vietnam" de Barry Livinson, avec Robin Williams. D'autre part, comme me le fait remarquer un usager, tant qu'à filmer la bibliothèque de Beaugrenelle il aurait pu donner un peu plus de sens et de consistance à la scène ou Elisabeth tend un livre à un lecteur-dragueur. Preuve s'il en fallait que pour Hers le décor justifie tout jusqu'au vide des situations !

(1) De 2009 à 2011 en quotidienne. La première année de 11h à minuit. La seconde d'une demie-heure seulement, rabotée par le Directeur de l'époque, Olivier Poivre d'Arvor. Qui faisait intervenir une multitude de producteurs "tournants", 
(2) L'audition de Madame Dati au Sénat du 12 mars. L'audition de M. Bolloré à l'Assemblée le 13 mars,
(3) Pour le moins du didactisme : on contextualise avec un événement historique rendu riquiqui à l'image,

(4) Et en 1984, les studios n'étaient pas décorés des logos des chaînes !!!
(5) On pourra se reporter à mes trois billets sur Philibert : le premier, le deuxième, le troisième.



lundi 11 mars 2024

Un point de lumière flou… Fiction ou réalité en temps de guerre ?

Alexandre Plank, réalisateur de fictions à Radio France a proposé dans Samedi fiction le 24 février dernier sur France Culture "Un point de lumière flou". Des textes poignants frappés au coin du réel (1). Mais, qui par le choix de l'écriture, des voix, du montage et du mixage donnent une autre approche à cette réalité de l'invasion russe en Ukraine le 24 février 2022. C'est un choc qu'on puisse encore écrire, parler, commenter dans cette folie guerrière.


©Evgénia Rudenko.









Ce travail de création mérite d'être reconnu et diffusé le plus largement possible au delà des sphères du divertissement et des rézosocio. Par exemple au collège ou au lycée pour sortir de la torpeur informationnelle dans lequel chaque citoyenne et citoyen est plongé 24/24. Ce choix de textes/lectures/commentaires interroge au moins autant que les reportages d'information qui laissent à peine le temps d'y penser, d'y repenser. Ce principe, appelons-le quelques instants documentaire, colle à ce qui animait avec conviction France Culture de 1975 à 1997. À savoir ne pas être une chaîne d'info (et du direct), mais s'appliquant à embrasser le monde et les idées par des angles variés de magazines, documentaires, fictions, feuilletons et débats. Et ce dans des approches pluri-disciplinaires qui ont fait la marque de fabrique de la chaîne culturelle. 

Depuis 20 ans, Blandine Masson, Directrice de la fiction à France Culture, creuse le sillon de ce genre radiophonique. Il aurait toute sa place en quotidienne pour faire un pas de côté salutaire et indispensable. Dans une grille de programmes de flux, pas dans un objet volant identifié comme un faux-nez, un "comme si c'était de la radio", un faux-semblant qui très vite sera rangé au rayon du stock, ce mot barbare hérité du management commercial.

Ce point de lumière un peu flou n'est-ce pas aussi cet îlot radiophonique de fictions qui dans la grande marée plateformicide résiste, vaille que vaille, à l'air du temps ? Se joue du tempo délinéarisé, détemporalisé.

(1) Ces textes sont écrits sous la forme de lettres, de récits, de poèmes et ont été rassemblés par une journaliste ukrainienne, Evgenia Rudenko, pour l’association Making Waves, cofondée par Alexandre Plank. Laquelle association a construit et envoyé du matériel radio en Ukraine dans un geste de solidarité.(source, le site de l'émission)