L’histoire repasserait-elle les plats ? Quelquefois sans doute. C'est ce que vous pourrez lire dans ce feuilleton en dix épisodes, dans une “concordance des temps” que ne renierait sûrement pas M. Jean-Noël Jeanneney, producteur avec ce titre de l'émission d'histoire, tous les samedis à 10h sur France Culture depuis 1999. C'est à partir de la consultation des archives du Monde de l'année 1974 sur le sujet ORTF que j'ai pu trouver des similitudes frappantes de procédure et de postures politiques. (Pour éviter les notes de bas de page, tous les citations sont extraites d’articles du journal Le Monde de janvier à décembre 1974).
Arthur Conte ©Afp |
Juste avant le début…
Claude Contamine en 1965 à la tête de la télévision publique déclare : “Il faut passer à l'ère industrielle: la télévision, ça a été très bien; mais l'artisanat, c'est terminé !”. Puis il y a eu 1968. “Après 1968, il faut [...] distraire du politique. De cette époque date le tournant qui fera passer d'une télévision de l'offre à une télévision de la demande, c'est-à-dire de l'audience, et dont le divertissement deviendra le moteur” (1).
La principale innovation de la loi du 3 juillet 72, sur l'audiovisuel public, consiste à fusionner - à l'ORTF - les fonctions du Président du Conseil d’Administration et du Directeur général au profit d’un Président-directeur général omnipotent, nommé, théoriquement pour trois ans. En juillet 1972, Arthur Conte (1920-2013), député UDR (Union des démocrates pour la République) est nommé à 53 ans, premier Pdg de l’ORTF. Et, comme il le rapporte lui-même (Hommes libres, Plon, 1973), il est significatif de voir qu’il avait en fait été choisi dès avant le vote de la loi .
Avec sa faconde catalane et son franc-parler il souhaite “faire chanter la France”, particulièrement pour tenter de rendre la télévision moins pessimiste. “La loi du 3 juillet 72 prévoit en outre de nouvelles dérogations au monopole, et surtout une réorganisation de l’Office en unités fonctionnelles qui prennent la forme de régie ou éventuellement d’établissement public en application de la loi. Artur Conte crée huit régies, une pour la radio, trois pour chacune des chaînes de télévision, une pour la diffusion, trois pour les moyens de production.” (2)
Las, il va lui-même très vite déchanter, le pouvoir estimant qu’en seize mois il n’a pas réussi après le désordre de 1968, à remettre en ordre la grosse machine ORTF et de ne pas avoir circonscrit dans certains services les frondeurs, hostiles au pouvoir gaulliste et pompidolien. Quant à la réforme, imposée par la loi du 3 juillet 1972 (n°72-553), elle tarde à se mettre en place. Cette décentralisation de l'Office “centralisateur” aboutirait à la création de régies autonomes. M. Philippe Malaud, secrétaire d'État à la fonction publique, avait présenté le 7 juin 1972, en conseil des ministres, le projet de reforme de l'ORTF qu'il avait reçu mission de préparer. Les nouvelles structures, qui feront l'objet d'un projet de loi, prévoient une décentralisation de l'ORTF, par la création de régies autonomes pour chaque chaîne de télévision, pour la radio, pour la fabrication et pour la diffusion. Ce qui ne lasse pas d'interroger Arthur Conte sur cette décentralisation qui passe mal en interne et qu'il a du mal à imposer.
Le Pdg est un fédérateur et un agrégateur de talents pas un coordinateur d'autonomies. Les injonctions du Ministre de l'Information, Philippe Malaud sont de plus en plus pressantes et le ministre de roucouler dans Le Figaro (19 octobre 1973) : "L'ORTF est un milieu difficile, constamment agité, événementiel, je dirai féminin [sic]… et qui a besoin effectivement d'un vrai patron." Le jugement est sans appel. Quatre jours plus tard Conte est démis de ses fonctions de Pdg.
Après la démission d'Arthur Conte, Marceau Long est nommé, en octobre 1973, PDG de l'ORTF “en raison de ses qualités de gestionnaire”, par le président Georges Pompidou. Dès 1974, il organisera progressivement le démantèlement de l'ORTF. Jean-Philippe Lecat (1935-2011), nouveau Ministre de l’Information assigne au Pdg la mission qu’il devra mener au sein de l’Office
- “Le nouveau président-directeur général mettra en œuvre la plus large décentralisation. Les responsables des différents établissements publics à créer doivent voir reconnue leur autonomie, et se doter des moyens techniques, administratifs et financiers pour l'assurer. L'émulation qui naîtra entre eux permettra, notamment, à leurs activités de se développer dans le cadre du service public, et sous le contrôle du conseil d'administration et du président, qui assumeront l'unité de l'Office. Ces objectifs définis par la loi n'ont jusqu'à présent pas encore été atteints. Le nouveau président devra proposer avant trois mois au conseil d'administration les mesures juridiques et administratives permettant de les atteindre. Seule la décentralisation permettra de remédier aux inconvénients et de garantir de façon satisfaisante et durable le maintien du monopole.“
Décentralisation ?
Il est pour le moins risible, pour ne pas dire affligeant, de constater que les jacobins les plus éminents de la Vè République usent du terme de “décentralisation” quand le mot déconcentration aurait été plus pertinent et surtout plus honnête. Cette décentralisation est-ce pour eux imposer aux sept ou huit sociétés autonomes de ne pas résider dans le même… quartier parisien ? Tout est bon pour ces grands commis de l’État pour falsifier leurs intentions de démantèlement en les maquillant sous un terme “positif” pour ne surtout pas effrayer l’opinion publique, les auditeurs et les spectateurs de l’audiovisuel public.
L’année 73 qui clôt le cycle des trente glorieuses va, en 1974, plonger la France dans un cruel désarroi.
(1) Guy Pineau, "L'expérience Chaban-Desgraupes" : l'improbable libéralisation de l'information à l'ORTF (1969-1972)", Quaderni, pages 33 à 51, 2007, in Persée,
(2) Sophie Bachmann, La suppression de l'ORTF en 1974. La réforme de la "délivrance", Vingtième Siècle, Revue d'histoire,1988,
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