Alors que fin décembre 1974 les feux de l'ORTF sont prêts à rendre l'âme, il aura fallu dix ans aux pouvoirs publics pour méthodiquement saborder le navire audiovisuel. Dès 1964, le Rapport Peyrefitte vise la "remise en ordre" de la radio et de la télévision. C'est une manie. Ces années-là, les Ministres entendent que l'audiovisuel public soit géré comme EDF ou la SNCF. Aux ordres ! En 1968, le Rapport Dilligent, du nom du Sénateur du Nord examine l'ensemble des problèmes posés par l'O.R.T.F. Juin 1970, c'est le rapport Paye (1). Le 3 juillet 1972 le statut de l'ORTF est modifié. La réforme vise à mettre en place une "décentralisation" (2). C'est pas fini ! Le 27 février 1974 le Plan Marceau Long est adopté. Le 7 août 1974 l'éclatement de l'ORTF est acté par la loi. En dix ans les gouvernements de droite se seront ingéniés à "régenter/contrôler" l'audiovisuel public jusqu'à lui faire rendre l'âme.
Devant la maison de la radio, 9 octobre 1974 Photo by Michel ARTAULT/ Gamma-Rapho via Getty Images |
Un serpent de mer qui ne meurt jamais
Dans cette administration audiovisuelle gouvernée par des directeurs généraux, des sous-directeurs généraux, des directeurs de cabinet, des chefs de service, des chefs du bureau, des chefs de rayon, des sous-chefs de rayon, des garçons d’étage, des coursiers, des plantons, des administrateurs et quelques laquais serviles, on se demande bien comment la culture peut y trouver sa place et au prix de quel épuisement des hiérarchies toutes plus… hiérarchisées les unes que les autres ? L’État est incapable de gérer l’audiovisuel public autrement qu'avec des méthodes étatiques. Il faut voir l'allure du CA de l’ORTF pour se dire qu’on doit être à une réunion des pompes funèbres qui enterre la culture et le divertissement.
L'État n'aime rien tant qu'étatiser, contrôler, structurer, hiérarchiser, démultiplier en cascade les sous-directions des sous-directions, créer des pieuvres administratives, bureaucratiser jusqu'à asphyxier l'initiative et la liberté. En 1972, avant que Malaud présente, en Conseil des Ministres, son projet de décentralisation, la création d'un secrétariat d'État à l'audio-visuel est d'ores et déjà envisagée. Au-secours, fuyons !
24 juillet 1964, Conseil d'Administration de l'ORTF |
En 2015, les sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux préconisent de regrouper l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public au sein d’une nouvelle entité qui pourrait être dénommée “France Médias“ et qui serait constituée au 1er janvier 2020. L’état ne peut pas, ne doit pas gérer la création artistique. Heureusement qu’aux débuts de la radiodiffusion il y a eu pour la radio des créatifs libres : Agathe Mella, François Billetdoux, Alain Trutat, Alain Veinstein, Roland Dhordain, Guy Erismann, Jean-Marie Borzeix, Pierre Wiehn, Pierre Billard, Pierre Schaeffer, Jean Garretto, Pierre Codou Jean Tardieu,… Dès 2014 on les remplace par des 0 et des 1, des geeks du numérique, du chiffre médiamétrique et des calculettes d’audience greffées dans le cerveau.
Les nouveaux Pdg Veil (Radio France), Ernotte (France Télévisions), Valet (Ina) rendent à l’État ce qu’il attend, des chiffres et toujours plus de chiffres de résultats d'audience. L'État attend lui les chiffres qui feraient apparaître une diminution de la masse salariale. Peu importe les contenus, les savoir-faire, la chaîne de fabrication en équipe, du moment que les vedettes s'affichent en têtes de gondole, sur les culs de bus et que l’auto-satisfaction et la promotion saturent la communication.
La loi du sénateur Lafon (votée par le Sénat en 2023) sera examinée et soumise aux votes à l'Assemblée nationale le 24 juin prochain. La fusion des audiovisuels publics est en marche (forcée). The dream is over, place aux plateformes dématérialisées, aux multi-clics et aux grandes claques (dans la gueule).
The dream is over, vidéo kill the radio star. For ever.
FIN (le début est ici)
(1) Au terme d’une étude de sept mois, commandée par le 1er Ministre Jacques Chaban-Delmas, le rapport Paye préconise, en juin 1970, une réorganisation complète de l’office sous forme d’une société holding qui contrôlera les filiales majoritaires ou minoritaires correspondant aux grandes unités fonctionnelles de l’office, - diffusion programmation production -” (cité par Sophie Bachmann, La suppression de l'ORTF en 1974. La réforme de la "délivrance", Vingtième Siècle, Revue d'histoire,1988,),
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