mardi 21 mai 2024

France Médias : la grande lessive avant l'adoption de la loi !

Redoutable et épuisant ! On sort de deux sessions de la Commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale consacrées à l'audiovisuel public H.S., K.O. et lessivé (1). Et quand je dis "on sort”, je veux dire après le visionnage en direct, le 14 mai, de ces tribulations législatives. "Pourquoi t'infliges-tu ça Fañch ?” me demande-t-on souvent ? Ben parce que j'aime bien comprendre et évaluer le contexte dans lequel une telle loi va être soumise aux votes de la représentation nationale. Ci-après l'état de la situation à partir - à chaud -  de mes premiers commentaires… désabusés.

Radio France

J'aurais pu titrer ce billet “La grande lessiveuse ou rodéo-palace à l'Assemblée”  tant ce travail parlementaire ressemble à une foire d'empoigne, la résurgence de luttes intestines, une kyrielle de passes d’armes, la charge de la brigade légère et last but not least un/des jeux de dupes comme s’il en pleuvait… Car cette grosse mécanique structurelle, cette mécano de la générale, cette usine à gaz que présage t-elle ? Vous allez vite comprendre que cette loi va s'attacher à définir les "nouveaux acteurs de l'audiovisuel public réunis" et à borner le cadre de leurs attributions. Et, particulièrement à resserrer ses multiples acteurs (chaînes de radio, de TV, l'Ina) en une seule entité publique “France Médias” qui, en son sein, aura tout loisir à son tour de resserrer ses "filiales" (2). Combien de chaînes de radio et de TV restera-t-il au 1er janvier 2026 au démarrage de France Médias ?

Cet encadrement de l’Audiovisuel Public, son bornage très strict, ce verrouillage qui se donne des airs de regroupement des forces, d’équité et de garanties inquiète surtout pour ce qui n’est ni décrit (ou si peu) ni fonctionnellement précisé : faire travailler ensemble des métiers aussi différents que ceux de la radio (audio) et de la TV (visuel). Ce mariage “arrangé” de l’audio et du visuel vient après cinquante ans de pratiques autonomes, singulières et établies. 


Le 29 juillet 1967, Il était “facile” à Garretto et Codou au sein de l’Ortf de faire participer ensemble radio et TV  à une opération audiovisuelle spéciale “impossible n’est pas français”. Ces deux producteurs inventifs ont su relever le défi qui ne semble pas avoir été réitéré avant la fin de l'Ortf en 1975. Les usages, les “lois” métiers, les codes, les pratiques et les savoir-faire nécessiteront, dans des opérations groupées (deux acteurs, ou trois, ou quatre pour des projets de créations communs), un tâtonnement  (expérimental), un apprentissage du travail en commun, une nouvelle répartition des tâches… et plus si affinités ! Quant au chef ou à la cheffe d’orchestre il lui faudra a minima une bonne dose de pédagogie a maxima une plus grosse dose encore de créativité. Car si le rôle du Pédégé ou de la Pédégère n'était dévolu qu'au management autant dire que c'est l'ensemble de la création audio et visuelle qui passerait par “pertes et profits”.


France Télévisions

Car même si au quotidien chacune des "entités" sera dans sa production, il appartiendra au Grand timonier ou à la Grande timonière de rationaliser les services administratifs, les achats, les déplacements, de créer des pools, de ficeler une méta organisation, d'arbitrer des arbitrages complexes… La voilà donc l'usine à gaz de gestion où la part dévolue à la création et à ses moyens risque bien d’être le parent pauvre ou l’oublié de la réforme. Bien sûr et heureusement que ce n’est pas la loi qui pose les termes des contenus, mais cette nouvelle loi audiovisuelle ne va-t-elle pas créer les conditions très favorables à un “petit empire” du nouveau management et ses dégâts collatéraux, tels qu'on a pu les constater à France Telecom ou à la SNCF ?   


La perte formelle d’autonomie de chacun des “associés” peut vite stériliser l’initiative, l’invention et tout simplement la créativité, puisqu’en arrière-plan, cette grande mécanique servira à contraindre les budgets et à diminuer, de fait et de façon drastique le champ des possibles, les chants des possibles. Nous en saurons plus quand la loi sera votée. Pour autant le mouvement et la mue engagée, depuis le rapport Schwartz en mars 2015, auront en moins de dix ans été formalisés. 

  • "Face aux défis à venir, et aux contraintes croissantes pesant sur les finances publiques, il paraît nécessaire que l'État pèse davantage sur le dispositif des médias de service public. Si tel n'était pas le cas, il sera difficile d'écarter la tentation d'un rapprochement organique entre les sociétés ayant appartenu jadis à la même entité [l'ORTF, ndlr]. La structuration actuelle qui remonte à l'éclatement de l'ORTF, à une époque où radio et télévisions publiques disposaient d'un quasi monopole, peut en effet être interrogée, à l'âge de la convergence des médias, de la transition numérique et de l'élargissement de l'univers concurrentiel à des acteurs mondiaux venus d'Internet.” 


Ina


À terme on pourrait compter moins de chaînes de radio, moins de chaînes de TV avec, en ligne de mire, une méta plateforme ou le dernier quarteron de geeks tentera de résister aux reco de l’IA surpuissante. Las, la création audiovisuelle aura vécu. L’extinction de ses dinosaures, analysée et datée, l’extinction de ses voix qu’elles soient audio ou visuelles aussi. L’État est en train de créer un petit monstre qui risque très vite de s’auto-détruire pour, dans le paysage audiovisuel, ne plus occuper l’espace équivalent à un abri-bus ou à une tiny-house. L’espace ainsi libéré pourra servir les appétits avides et les intérêts du privé.


Alors il faudra bien constater que l’État - sans état… d’âme - aura renoncé à soutenir et à s’engager pour un grand service public audiovisuel pluridisciplinaire, quand il aura juste créé un artifice, un “machin”, de la poudre aux yeux, une officine de plus - France Médias - qui n’empêchera personne de dire “France Médias d’État”. 


Lire aussi : La radio, mais de quelle radio parle-t-on ? et Elles, ils ont tribuné… et puis après ?


(1) Une séance d'après-midi de 4h07, plus une du soir de 2h29, soit plus de 6h30 de débat, pour examiner les plus de 260 amendements des 15 articles de la loi devant être débattue  en séance plénière les 23 et 24 mai. À moins que pour “encombrement”, la date soir repoussée au 24 juin !


(2) Radio France, France Télévisions, Ina ensemble et France Médias Monde qui, depuis cette commission et suite à un amendement, ne ferait pour l'instant plus partie du regroupement, à moins qu'en séance plénière elle soit réintégrée.

2 commentaires:

  1. salut Fanch
    agréablement surpris par ton article et j'imagine bien le travail que ça peut représenter.
    il existe aujourd'hui des Groupes de plus de 16000 personnes qui sont parfaitement bien dirigé et managé et dont la créativité n'est pas freiné
    attention à rester bloquer sur des positions acquises et de vouloir toujours limiter les changements pour cause d'atteinte à des statuts

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    1. Le "Salut Fañch" me laisse penser que nous nous connaissons !!! Mais qui es-tu ? C'est mieux pour savoir à qui on a affaire ! ;-) Et répondre en connaissance de cause !

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