Monica Vitti est décédée ce 2 février 2022 à 90 ans… Comme toujours les médias rivalisent d'articles, de photos ou de reportages pour fixer "une dernière fois" celle qui a enchanté le cinéma italien et l'Italie toute entière. Et le reste du monde. France Culture n'est pas en reste. Elle ressort de ses archives ce long documentaire de 3h "Le bon plaisir" de Francesca Piolot et Monique Veilletet, réalisatrice. Quelle chance de pouvoir réécouter cette archive de 1996. Ça ne sera jamais assez long pour mieux connaître la Vitti et l'entendre encore et encore de son bel accent italien…
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Trastevere, Rome, Nov 2021 © Anaïs Ginori |
Pourtant une telle émission, inventée en 1984, par François Maspero et soutenue par le Directeur de la chaîne Jean Marie Borzeix (1984-1997), n'aurait jamais existé sans la volonté de ces deux hommes. En 13 ans, France Culture a produit plus de 500 "Bon plaisir" et occupé les samedis après-midi jusqu'à 3h30 consécutives. Ce temps long, en arrivant à France Culture, Patrice Gélinet commencera par en raboter 1h30. Laure Adler (1999-2005) dès sa première grille, à la rentrée 1999, aura passé "Le bon plaisir" par pertes et profits.
On ne rappelle pas assez souvent à Madame Adler la casse qu'elle a opéré sur cette chaîne en déclarant, de façon péremptoire, que dorénavant elle souhaitait plus de direct et d'émissions moins longues. Si l'on n'était pas désespéré d'un tel postulat on se taperait sur les cuisses. Des émissions moins longues alors que pendant plusieurs années "Les nuits magnétiques" l'avaient fait vivre. Ce programme, inventé par Alain Veinstein (1978), c'était souvent quatre émissions consécutives d'environ 80' chacune.
Quant au direct, sa décision est aussi pathétique ! Alors que depuis sa "création" en 1963 (1), France Culture enregistrait documentaires, dramatiques et autres émissions "élaborées". On pourrait dire que Madame Adler a la mémoire courte. C'est plus subtil que ça. À peine nommée à ce poste (février 1999) Adler trouve sur son bureau le rapport Ténèze (2), intitulé " France Culture. Mission de réflexion. Janvier à avril 1997". Nous verrons que Gélinet et Adler ont été de zélés petits soldats en appliquant, presque à la lettre, les modalités de ce rapport dont les attendus étaient ni plus ni moins que de banaliser la chaîne au point de la presque faire se ressembler à France Inter.
Qui est donc Ténèze, ce "cadre destructeur" et comment à lui tout seul peut-il décider d'orienter et ici de désingulariser France Culture ? Mais ce n'était pas la première fois que le bourreau était à la manœuvre ! C'est Roland Dhordain qui, dans son "Roman de la radio" nous apprend (3) "Vers 1973, la réforme de France Culture mise en chantier avant mon départ (4) avec Arnaud Ténèze entre peu à peu en application. La station se met en direct et à l'improvisation (sic)…"
Tenèze est tenace pour ne pas dire acharné. Pour autant il semble bien qu'avant 1999 le direct ne soit pas la forme de diffusion principale choisie par France Culture. Et si Ténèze avait sévit avant 1984 il n'y aurait jamais eu de "Bon plaisir". Et s'il n'avait pas trouvé l'oreille d'Adler les changements de 1999 auraient - peut-être - été moins brutaux !
Je crois pouvoir dire que Ténèze a non seulement fait un rapport à charge non sans tenir compte de la prédétermination de la commande de la Présidence, mais qu'il y a ajouté quelques bonnes pelletées d'a-priori et d'intuitions non fondées sur des études rigoureuses. Sa phrase de fin d'introduction vaut son pesant de carottes "Il a donc été exclu que ces caractères fondamentaux ne soient pas conservés" (5). "Exclu", "ne soient pas" trahissent bien la volonté du rédacteur d'exclure et de ne pas conserver, comme le prouveront les quatre-vingt-seize pages de son rapport à charge ! Juste pitoyable !
Merci à François Maspero, Jean-Marie Borzeix,
Francesca Piolot, Monique Veilletet pour ce "Bon plaisir, Monica Vitti".
(1) Fin des années 40 : Programme national, 1957 : France III-National, Octobre 63 : RTF-Promotion, Novembre 1963 : France Culture,
(2) Chargé de mission par la Présidence de Radio France. Ancien membre de l'équipe Dhordain. En 1971, "Chef des Services artistiques" à l'ORTF,
(3) "Le roman de la radio", La table ronde, 1983,
(4) En 1962, au sein de la RTF, il est en charge de la réforme de la radio. Novembre 1963, Paris-Inter devient France Inter et crée France Musique et France Culture. Il est ensuite nommé directeur des programmes de la RTF, puis directeur de France Inter. Il quittera l'ORTF en mars 1967. En juin 1968, il devient directeur de la radio-diffusion de l’ORTF.
(5) "Les orientations et les méthodes préconisées découlent du postulat que France Culture est à plusieurs titres, un produit radiophonique unique en Europe, un distributeur exceptionnel de la connaissance et des courants de pensée, un générateur permanent de la mémoire sonore de notre époque", in rapport Ténèze, avril 1997,