lundi 18 mars 2024

Jean-Marie Borzeix (1941-2024)

Il y a des choses plus difficiles que d'autres à écrire. Surtout quand Jean-Marie Borzeix est décédé samedi dernier. De 1984 à 1997 il avait dirigé, comme personne, la radio culturelle publique qui pouvait se targuer de l'être. Et avec quel brio ! J'ai eu la chance de pouvoir converser avec lui à plusieurs reprises. Simple, délicat et pertinent il savait parler de sa période de direction sans jamais se mettre en avant, tout en annonçant ses convictions profondes pour la radio. «La radio se fait comme on structure un livre, un film, un journal ou une revue. C'est un travail d'équipe. Techniciens, auteurs, réalisateurs et producteurs apportent tous leur pierre à l'édifice. Pour eux, la radio ce n'est pas seulement ouvrir un micro devant un invité.» (1) 











Venu de la Presse, Combat (1968-1973), Le Quotidein de Paris et Les Nouvelles littéraires, puis directeur littéraire aux Éditions du Seuil (1979-1984) ses treize ans de direction auront marqué profondément France Culture pour laquelle il a installé des émissions, on pourrait oser des émissions de patrimoine. Culture matin, de Jean Lebrun, Le Pays d'ici (Laurence Bloch), Les Nuits de France Culture (2), L'Histoire en direct (Patrice Gélinet), Le bon plaisir (François Maspero),… Des Papous dans la tête (Bertrand Jérôme, Françoise Treussard),…

Pour le Pays d'ici il précise : "À la fois provincial [Corrézien née à Bugeat] et parisien. Je voulais que la France et ses pays aient toute leur place à France Culture. Je voulais que cette émission soit un repère qui, sur place, rassemble tous les terrains, sociaux, culturels, politiques. Une émission compliquée qui nécessitait beaucoup de moyens financiers et techniques. Elle imposait des repérages. Elle a pu s’appuyer sur les meilleurs producteurs de la chaîne qui, sans barguigner - ils étaient tous jeunes - ont passé beau-coup de temps pour réaliser leurs documentaires, en dépassant les contraintes d’un service public… Le Pays d’ici a été une grande école de la radio culturelle. Tous les jours de la semaine, sur le terrain, elle a permis de mêler les angles : archives, témoignages, actualité de la Recherche. Une émission d’actualité. Curieuse de la modernité pour mettre en perspective et bien mesurer notre temps." (3).

"Cette formation (de Borzeix, ndlr) qui remonte à la plus haute Antiquité, ne va pas être sans influence sur le style que tu as donné à France Culture. Car au fond tu as laissé parfois le désordre et la cacophonie sans trop t'en préoccuper. Mais surtout moi j'ai beaucoup appris à cette école-là, car tu acceptais des opinions extrêmement diverses et tu détestais le monolithisme. Ça c'est la définition du Service Public, puisque les auditeurs étant de sensibilités différentes, il faut qu'ils entendent les uns et les autres ce qu'ils ont envie d'entendre. Il faut aussi qu'ils entendent ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre et il faut absolument sortir les producteurs de leur volonté d'apporter leur message. Et tu disais sans cesse aux producteurs et ça c'était l'esprit de Combat "Soyez dans la controverse, soyez dans le débat". (4)

Borzeix acquiesce. "Je me suis beaucoup battu pour ça. À quoi ça sert un directeur dans une radio ? C'est constamment (et ce n'est pas très glorieux comme rôle) de rappeler à l'ordre. C'est ouvrir au maximum l'éventail des opinions, des sujets, la diversité des formes, et c'est un travail qu'il faut mener constamment. Il faut se battre dans une radio comme France Culture contre des dangers qui sont récurrents et permanents : le parisianisme. Et je me suis beaucoup battu contre le parisianisme et la mondanité. C'est pourquoi dès en arrivant en 1984 j'ai voulu créer une émission quotidienne "Le Pays d'ici" qui coûtait cher et qui se promenait toute l'année dans toutes les régions de France, qui faisait du reportage, du direct. C'était pour moi important, et plus que symboliquement, d'entendre ces voix loin du quartier latin, loin de la Maison de la radio." (4).

Lors d'un de nos entretiens, surpris par ma recherche (compulsive) sur la radio il a très vite évoqué de très grands sujets d'histoire (Chute du mur de Berlin, Ceaucescu, la Pologne,…) pour lesquels la chaîne était allée sur place. Il me rappela aussi que le "Pays d'ici" pouvait à de nombreuses occasions, toute l'année, être sur les lieux de grands ou plus petits événements culturels et/ou sociaux. Mais, et c'est ce qui fera le sel de cet échange, Jean-Marie Borzeix, me fit remarquer que la chaîne pouvait aussi se rendre dans des lieux où il ne se passait "rien". Et de me citer deux producteurs, Jean Couturier et Irène Omélianenko, qui dans une roulotte recueillaient "la parole qui passe".(5) Et ce moment savoureux sur France Inter quand Philippe Caloni interviewe Jean-Marie Borzeix le 15 octobre 1984.

Souhaitant que France Culture soit digne de cet héritage et consacre à Jean-Marie Borzeix l'hommage qu'il mérite.

(1) in Radio Exception, Le débat, n° 95, mai-août 1997,
(2) Créée en janvier 1985. Jacques Fayet en était le producteur. A suivi Geneviève Ladouès, en 1998. Philippe Garbit a pris la suite en décembre 2001 jusque fin 2021,
(3) Entretien avec l'auteur de ce blog,

(4) Jean Lebrun interviewe J.M. Borzeix au Festival Longueur d'ONdes à Brest en décembre 2010, 
(5) En 1993, pour le "24 heures du livre du Mans", Couturier et Omélianenko installent dans un jardin de la ville, la fameuse roulotte. Avec une table, quelques chaises et deux micros. Irène approche quelques personnes et petit à petit "les gens" viennent parler car "ici, on raconte sa vie". 

Trois femmes dans un bateau : qui saute à l'O… RTF ?

Après les déclarations affirmées de Mmes Dati et Ernotte, respectivement Ministre de la Culture et Présidente Directrice Générale de France Télévisions, sur le devenir de l'audiovisuel public la semaine dernière, "on" était très inquiet de l'insondable silence de Mme Veil, Pédégère de Radio France. Avait-elle dans un moment de grand trouble rejoint en hélicoptère Baden-Baden pour rencontrer quelque générale de la communication de crise, à l'instar d'un autre général qui en 1968 en fit de même pour sonder auprès d'un camarade de combat s'il y avait lieu d'envoyer les chars sur Paris enjaillé ? Que nenni, Madame Veil s'apprêtait juste à confier "en exclu" à La Tribune Dimanche le B-A-BA de ses convictions sur les méfaits de la fusion des audiovisuels publics. Montrant par là les risques d'"effacement" de la radio qu'elle appelle le plus souvent "l'audio". À cette posture risquée d'isolationnisme Madame Veil joue son va-tout comme le Général d'autrefois avait failli jouer le va-t-en-guerre.

À l'époque (2017), je n'avais pas encore
inventé l'acronyme HO.R.T.F.














La ministre a annoncé vouloir "rassembler les forces" de l'audiovisuel public souhaitant une gouvernance unique" et "avancer sans aucun tabou""De pouvoir avoir une gouvernance unique, de fusionner, de pousser à la coopération, aux synergies – j'allais dire à la fusion –, en tous les cas qu'il y ait une efficacité dans la gouvernance et le fonctionnement, c'est un objectif qu'on doit tous avoir". La messe est dite… ou presque.

Mme Ernotte, devant les salariés de France Télévisions, a enfoncé le clou : "Je soutiens le projet de la ministre. C'est une surprise pour personne, cela fait cinq ans que je rabats les oreilles de tout le monde avec cette histoire de fusion. Je suis pour qu'on y arrive… Dans un univers numérique foisonnant, je le répète, seule l'union fait la force. On doit s'unir" (1).

Il ne restait plus à Mme Veil qu'à porter l'estocade. "En matière de gouvernance commune il ya plusieurs options possibles. Je rencontre la Ministre dans quelques jours à ce sujet, sur lequel je suis constante depuis plusieurs années… Une fusion de l'audiovisuel public affaiblirait la radio. Et ce n'est pas le moment d'affaiblir l'audio quand on voit les ravages du trop d'écrans  sur la santé publique en général et le bien être des jeunes en particulier. Sans compter qu'une fusion très consommatrice en temps et en énergie managériale pourrait aboutir à un grand ensemble bureaucratique (2)".

Déjà en 1980 !







L'affaire est posée. On va voir avec quel sens du "tout et son contraire" Mme Veil essaye de tenir un équilibre précaire pour ne pas dire pathétique. Si comme elle l'affirme une fusion est  "très consommatrice en temps et en énergie managériale" elle le sera donc formellement pour la fusion de France Bleu et France 3. "ICI est un projet de coopération entre France Bleu et France 3 pour créer le grand média public de proximité. Mais aujourd'hui quand on regarde nos matinales communes, on voit trois logos, France 3, France Bleu et ICI, c'est incompréhensible. (2). Un petit ensemble bureaucratique ?

Cette démonstration ne peut qu'aller dans le sens de ce que la Ministre évoquait il y a quelques jours sur France Culture "Il est important de garder un audiovisuel puissant et pour qu'il reste puissant il faut rassembler ses forces et arrêter de travailler en silo."  Si la holding France Médias (3) continue de distinguer les quatre partenaires - France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l'Institut National de l'Audiovisuel -, les entités de chacune (pour Radio France ses sept chaînes) pourraient être fondues sous le seul chapeau de leur maison-mère. Exit les "silos"

Sous la marque générique Radio France resterait quelques boutons à cliquer pour distinguer les antennes par leurs noms ou seulement des logos de couleur pour reconnaître ce qui autrefois s'appelait France Inter, France Culture et plus si affinités ! Ou moins puisque la loi pourrait aussi inciter les acteurs audiovisuels à des regroupements propices aux… économies d'échelle !!!! 

Les Shadoks









À cette Mécano de la Générale en pleine ébullition on peut dire sans se tromper que Mme Veil joue plutôt corpo que la défense de la radio dont elle s'applique à gommer le sens et la fabrique en se gargarisant à longueur de propos du terme générique et non distinctif d'audio. Il en faudrait plus à Mme Dati pour freiner son projet et se convaincre que la solution d'un retour à l'HO.R.T.F. (Holding de Radio et Télévision Française), quitte à renier M. Giscard d'Estaing, ne serait pas le bon choix du moment et de l'époque ! Faire et défaire…

(1) La Correspondance de la Presse, 14 mars 2024,
(2) La Tribune Dimanche, 17 mars 2024, avec en accroche de une : Big bang dans l'audiovisuel public : la mise en garde de la Présidente de Radio France,
(3) Le nom avancé pour le futur regroupement des audiovisuels publics,

vendredi 15 mars 2024

Le cinéma quelque fois de la guimauve dégoulinante ou du mélo de pacotille…

Je ne jetterai ni l'eau propre, ni l'eau sale sur le film diffusé mercredi 13 mars sur Arte "Les passagers de la nuit". J'essayerai juste de montrer comment l'utilisation de symboles - ici la Maison de la radio - est juste superfétatoire et pathétique. L'adage "on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre" vaut pour ce film qui, s'il s'était appelé "La simple vie d'Élisabeth" ou "Les limites des trente glorieuses" n'aurait peut-être pas eu l'impact du titre choisi par le réalisateur, Mikaël Hers. Ce titre qui, pour les amateurs de radio, s'appropriait celui d'une émission quotidienne de France Culture produite par Thomas Baumgartner (1).









J'aurai pu m'abstenir de rédiger ce billet à charge si, après avoir vu deux films récents, ni porteurs d'imaginaire et encore moins d'enthousiasme (2), je n'avais eu besoin de me détendre un peu. J'avais toutefois un a-priori assez défavorable pour ce que j'avais pu lire sur "Les passagers de la nuit" à sa sortie. Me doutant bien que la dithyrambe de Télérama s'ingénierait à ne surtout pas tenter la moindre critique négative, preuve en osant l'enflure de son titre Les Passagers de la nuit” sur Arte : comment Mikhaël Hers a sublimé le Paris futuriste de 1981". Pas moins. On pouffe, on s'étrangle en se demandant comment ce film sublimant n'avait alors reçu ni César, ni Oscars et encore moins d'Ours d'Or !!!

Sublimé quoi ? L'euphorie festive jouée dans une petite rue de Paris le soir de la Présidentielle de mai 1981 (3) ? Le prétexte de la Maison de la radio, accessoire de décor, juste pour le décor ? La caution d'une émission emblématique des années 70 (et au-delà) sur France Inter, "Allô Macha !" qui donnait, en direct, la parole aux noctambules en mal d'affection ou de sens à leur vie ? La vie difficile d'une femme, mère de deux enfants, dont le mari l'a brutalement quittée ? Les stéréotypes de situations adolescentes (très bien jouées par les trois "ados") conformes au réel de l'époque ?

Dans ce film rien n'est sublimé. Mais rien du tout. On peut affirmer que n'ayant pas fait l'Actor studio ni Charlotte Gainsbourg en apprentie standardiste, ni Emmanuelle Béart en très insipide animatrice d'émission, n'ont du beaucoup prendre le temps de se mettre dans la peau des personnages. Macha Béranger, incarnait son émission. "Dans le micro" très proche de l'oreille de ses auditrices et de ses auditeurs, très à l'écoute, prête aux confidences. Les standardistes, elles et eux, devaient faire preuve de talent ou d'ingéniosité pour déceler celles et ceux qui pourraient rendre vivants leurs témoignages !

Le prétexte de la maison de la radio ne sert qu'à placer en situation de travail Charlotte/Elisabeth. Les très furtives images des lieux, grand hall, escaliers n'apportent rien in situ à une situation factice. Les studios ne sont pas ceux de Radio France (4). On est bien content d'apprendre grâce à Télérama que tourner à la Maison de la radio était un rêve pour le réalisateur. Sa réalisation montre que ce rêve manquait, a minima, d'ambition et a maxima d'être en prise avec la radio elle même. Des images (décoratives) et des clichés ne font pas une incarnation. Ce film n'est pas incarné. C'est du cinéma pour du cinéma. Aussi décevant que le vidéo-clip de Nicolas Philibert "La maison de la radio(5).

Nantes










On dirait bien, dans les deux cas, que le seul titre et décor "Maison de la radio" puisse garantir d'être dans la radio. On aurait pu mettre Charlotte Gainsbourg à la RATP (pour faire les annonces de service au micro), à l'Arc de Triomphe pour servir de guide, à la Tour Eiffel pour jouer une liftière, ça n'aurait rien changé au scénario. Elle aurait toujours essayé de travailler pour faire vivre sa famille. La maison de la radio est un prétexte et pire un prétexte sans âme ni conviction pour la fabrique de la radio.

Mes ami-es diront "Détends-toi Fañch c'est de la fiction !". Ils n'auront pas tord ! Mais mon attachement à la radio et à sa Maison m'interpellent sur l'utilisation qui peut en être faite ou qu'elle soit galvaudée. Et que, dans ce film, ce soit dégoulinant de guimauve, de mélo et de pathos. Alors côté fiction je vais aller au cinéma voir, "Il reste encore demain" de Paola Cortellesi, je sais d'avance que je ne serai pas déçu ! 

Ajout du 17 mars
Pour comprendre faire de la radio le réalisateur aurait pu s'inspirer de "Good morning Vietnam" de Barry Livinson, avec Robin Williams. D'autre part, comme me le fait remarquer un usager, tant qu'à filmer la bibliothèque de Beaugrenelle il aurait pu donner un peu plus de sens et de consistance à la scène ou Elisabeth tend un livre à un lecteur-dragueur. Preuve s'il en fallait que pour Hers le décor justifie tout jusqu'au vide des situations !

(1) De 2009 à 2011 en quotidienne. La première année de 11h à minuit. La seconde d'une demie-heure seulement, rabotée par le Directeur de l'époque, Olivier Poivre d'Arvor. Qui faisait intervenir une multitude de producteurs "tournants", 
(2) L'audition de Madame Dati au Sénat du 12 mars. L'audition de M. Bolloré à l'Assemblée le 13 mars,
(3) Pour le moins du didactisme : on contextualise avec un événement historique rendu riquiqui à l'image,

(4) Et en 1984, les studios n'étaient pas décorés des logos des chaînes !!!
(5) On pourra se reporter à mes trois billets sur Philibert : le premier, le deuxième, le troisième.



lundi 11 mars 2024

Un point de lumière flou… Fiction ou réalité en temps de guerre ?

Alexandre Plank, réalisateur de fictions à Radio France a proposé dans Samedi fiction le 24 février dernier sur France Culture "Un point de lumière flou". Des textes poignants frappés au coin du réel (1). Mais, qui par le choix de l'écriture, des voix, du montage et du mixage donnent une autre approche à cette réalité de l'invasion russe en Ukraine le 24 février 2022. C'est un choc qu'on puisse encore écrire, parler, commenter dans cette folie guerrière.


©Evgénia Rudenko.









Ce travail de création mérite d'être reconnu et diffusé le plus largement possible au delà des sphères du divertissement et des rézosocio. Par exemple au collège ou au lycée pour sortir de la torpeur informationnelle dans lequel chaque citoyenne et citoyen est plongé 24/24. Ce choix de textes/lectures/commentaires interroge au moins autant que les reportages d'information qui laissent à peine le temps d'y penser, d'y repenser. Ce principe, appelons-le quelques instants documentaire, colle à ce qui animait avec conviction France Culture de 1975 à 1997. À savoir ne pas être une chaîne d'info (et du direct), mais s'appliquant à embrasser le monde et les idées par des angles variés de magazines, documentaires, fictions, feuilletons et débats. Et ce dans des approches pluri-disciplinaires qui ont fait la marque de fabrique de la chaîne culturelle. 

Depuis 20 ans, Blandine Masson, Directrice de la fiction à France Culture, creuse le sillon de ce genre radiophonique. Il aurait toute sa place en quotidienne pour faire un pas de côté salutaire et indispensable. Dans une grille de programmes de flux, pas dans un objet volant identifié comme un faux-nez, un "comme si c'était de la radio", un faux-semblant qui très vite sera rangé au rayon du stock, ce mot barbare hérité du management commercial.

Ce point de lumière un peu flou n'est-ce pas aussi cet îlot radiophonique de fictions qui dans la grande marée plateformicide résiste, vaille que vaille, à l'air du temps ? Se joue du tempo délinéarisé, détemporalisé.

(1) Ces textes sont écrits sous la forme de lettres, de récits, de poèmes et ont été rassemblés par une journaliste ukrainienne, Evgenia Rudenko, pour l’association Making Waves, cofondée par Alexandre Plank. Laquelle association a construit et envoyé du matériel radio en Ukraine dans un geste de solidarité.(source, le site de l'émission)

lundi 4 mars 2024

Loi audiovisuelle : le bout de la route est proche, le K.O. attendu !

2020. Alors que le projet de loi sur l'audiovisuel public devait sanctifier la “fusion“ (holding ?) des quatre sociétés France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'Audiovisuel après des mois de palabres à l'Assemblée et au Sénat, le projet fut stoppé en plein vol. Qui pouvait imaginer que le projet était définitivement enterré ? Personne. Au Gouvernement d'attendre le moment opportun. Il semble bien que la nomination de Mme Rachida Dati comme Ministre de la Culture, le 11 janvier dernier soit ce moment opportun.

Le canard enchainé, 14 fev 24












Depuis 2020, les Pédégères de Radio France et de France Télévisions, Mmes Veil et Ernotte, ont rivalisé de zèle pour assurer les tutelles (Finances et Culture) que les deux sociétés publiques se rapprochent ostensiblement. Mettant en avant le rapprochement de France Bleu et France 3 pour permettre aux auditeurs radio de suivre à la télé les matinales de France Bleu. Avec tambours et trompettes les Pédégères évoquant pour ce rapprochement a minima l'équivalent de la conquête spatiale par les États-Unis, a maxima la première fois où l'homme a marché sur la lune ! Pathétique et grotesque. Un faux-nez, un jeu de dupes qui n'a ému ni les tutelles, ni le CSA qui en attendent beaucoup plus de la part de ces deux sociétés publiques.

Sans doute n'ont encore moins ému les équipes audiovisuelles qui ont pu y voir un grand coup de com', avec si peu d'effets sur les audiences. L'Élysée se frottant les mains, imaginant que le moment venu la fusion serait une formalité ! Ah ce mot "fusion" qui dérange et inquiète ! Mme Veil ne veut pas en entendre parler. Mme Ernotte n'étant pas farouchement contre et peut-être même plutôt pour. Bas les masques ! La répétition France Bleu/France 3 est un épiphénomène face aux effets attendus de la dite “fusion”. À savoir des effets sociaux et plus particulièrement des effets sonnant et trébuchant sur la masse salariale et son corolaire "comment mettre tout ça en musique ?". Future usine à gaz ? That is the question ?? The big question assurément.

J'aurais beaucoup aimé que Mme Dati rencontre le fossoyeur de l'ORTF (loi du 7 août 1974) M. Valery Giscard d'Estaing, jeune Président de la République, fraîchement élu la même année. Las, la chose est impossible. Quelqu'un au fond de la salle serait capable de dire "Faire et défaire c'est toujours travailler" ! Oui, mais à quel prix, Johnny ? Depuis sa nomination comme Ministre, Mme Dati avance ses pions et, les milieux autorisés - comme disait Coluche - ont bien compris que Mme Dati était bien décidé rapidement à vite passer à l'acte pour qu'une loi soit promulguée dans les meilleurs délais. Décembre 2024 ? Janvier 2025 ? L'image illustrant ce billet est sans ambiguité. 

Cette volonté "d'associer formellement les compétences de l'audiovisuel public" va aussi dans le sens de la rationalisation, de la fin des doublons et des triplons. Invité dans la Matinale de France Culture, jeudi dernier, Mme Dati a été très claire quand le matinalier Guillaume Erner, très zélé, a fait remarquer à la Ministre qu'elle venait pour la première fois à la radio !

Mme Dati "Je l'ai dit sur France Inter [son attachement à l'audiovisuel public]". Erner "Oui mais pas sur France Culture !“. La réponse a été brève et claire. "Justement. Vous faites bien de me dire ça, c'est tout le sujet de la réforme de l'audiovisuel public… Il est important de garder un audiovisuel puissant et pour qu'il reste puissant il faut rassembler ses forces et arrêter de travailler en silo !" Bam ! CQFD. M. “Je sais tout" a perdu une occasion de se taire. Il aurait pu aussi se retenir d'agiter l'étendard France Culture, bien corpo, bien mégalo ! La réponse de Dati est limpide. 

Dans les propos de Madame Dati doit-on entendre que le principe de créer une seule rédaction au sein de Radio France est acté (1) ? Et donc qu'à terme les membres du gouvernement, les politiques, les artistes ne se déplaceraient plus dans chacune des chaines de Radio France ? Et sur cette lancée, tant qu'on y est, va t-on vers la suppression de chaînes qui pour les tutelles seraient des doublons ou des triplons ? Difficile de ne pas interpréter dans ce sens les propos de la Ministre.

On est prévenu "il va y avoir du sport" même après les J.O. !

(1) Une préfiguration ? "L’annonce, lors du comité social et économique (CSE) de Radio France tenu mardi 27 février, d’un futur regroupement des services Sciences, santé et environnement des trois antennes a provoqué une levée de boucliers à France Inter." in Le Monde, 28 février 2024.

mercredi 14 février 2024

Gaby & Léo…

Longueur d'Ondes. Brest. Dimanche 11 février. Café du Quartz. 10h30. David Christoffel m'interviewe sur mon petit bouc "60 ans au poste". Constatant que de nombreux extraits de chansons émaillent la rédaction de mes souvenirs radio, il a la bonne idée de m'interroger sur la place de la chanson dans ce long séjour au poste ! Hier comme une impulsion après avoir longtemps échangé avec un documentariste, j'ai eu besoin de plonger dans Ferré…



J'ai choisi Gaby pour toutes les images que les mots de Ferré percutent à ma mémoire. Avec sa part de nostalg' et sa part de mélancolie. Je traîne à Saint-Germain, je passe devant  le cinéma l'Arlequin (Rue de Rennes). L'Arlequin télescope le cabaret du même nom dans les années 50 (131 bis boulevard Saint-Germain, à l’angle rue du Four). Au dessus y'avait le bar "La Pergola" et Gaby qui le tenait.

Hé ! Gaby
Gaby Pergola, je te voyais
Ah la la...
Tes comptes, ta machine, ton crayon
Tu notais tout
Peut-être aussi le temps
Qu'il ferait demain ?
Pour ta bière, tant !
Pour ton whisky, tant !

J'y entre. Même si ce bar n'existe plus. Je m'assieds et dans un juke-box Wurlitzer je sélectionne "C'est extra". Léo vient s'asseoir, sourit et pose son paquet de Celtiques sur le formica. Il tapote le tempo de sa chanson. J'ose même pas chanter. Je fredonne dans ma tête. Léo a commandé deux bières. On trinque.

Et tu notais
Et je chantais
Pour... heu...
Pour quoi ?
Pour trois fois rien
Ha, Gaby, Gaby !
Ce Saint-Germain-des-Prés
Défait, soumis

Pour trois fois rien Léo, Gaby te payait. Comme pour trois fois rien les documentaristes sont payés. Tu trouves Saint-Germain-Des-Prés défait. J'ose pas te dire que tant de choses se défont. Tu murmures. Tu savoures ta bière à petites gorgées et tire sur ta Celtique. Tu plisses des yeux comme Pépé. Tu harangues Pergola qui note tes bières…

Ce pays défait, soumis
Depuis des siècles, triste
Avec tous ces Polonais debout
Je ne sais plus s'ils dansent
Ils ont peut-être envie

Tu récites ta chanson. Plus besoin de juxe-box ! Je t'écoute en boucle. J'ai besoin d'entendre tes mots. Ceux qui scandent ta chanson. "Ah, près du métro Mabillon" me rappelle Perec "Tentative de description de choses vues au Carrefour Mabillon le 19 mai 1978". je me souviens de son documentaire radio. Réalisé par Marie-Dominique Arrighi, Michel Creïs et Nicole Pascot.

Est-ce que tu veux que je te raconte ?
T'es mort, un jour, je l'ai appris
T'es mort, un jour, tu m'avais dit
Qu'il fallait que je m'en aille
De l'Arlequin
Ah, je portais bien ce nom-là
Ce nom-là

Voilà si je savais faire un documentaire… C'est ça que j'aurais envie de faire. Marcher sur les pas de Ferré, mettre en tapis sa chanson, rentrer au Pergola (ambiance), faire jouer le juke-box (le son de la pièce de monnaie, le son de la recherche du morceau…), le bruit des bocks sur le Formica, du briquet de Ferré, ses murmures et l'harangue vers Gaby. Si je savais…

Dans les draps que l'amour
Referme sur la nuit,
Tous les amis de monde
Ont droit qu'à leur cercueil
La foule vienne et prie,



mardi 13 février 2024

Le documentaire radiophonique… À terre ou à taire ?

Vendredi dernier, dans le cadre du Festival Longueur d'Ondes à Brest, la Société des Documentaristes de la Radio Publique (SDRP) proposait aux festivaliers de découvrir le métier de documentariste. Et comprendre les arcanes permettant "en bout de chaîne" aux auditrices et aux auditeurs d'écouter des créations radiophoniques élaborées. Créations pour lesquelles les documentaristes se dépensent "sans compter" et qui depuis plus d'un an exigent que Radio France refasse les comptes car… le compte n'y est pas, justement !

Photo de famille avec Salvador Allende en 1972
à Santiago du Chili © Rodrigo Gomez Rovira










Ces documentaristes (beaucoup plus de femmes que d'hommes) vont régulièrement, c'est leur métier, poser leurs micros dans les villages, les hameaux, dans les quartiers des villes, dans des fermes ou dans des institutions, dans les ports ou sur des bateaux, dans des îles ou juste au coin de la rue, sous un réverbère ou dans un refuge de montagne. Elles et ils le font avec passion, professionnalisme et conviction. Elles et ils le font bien au delà des jours qui leur sont alloués pour réaliser/produire ces documentaires qui nous prennent par l'oreille et qui bien souvent ne nous lâchent plus.

Alors, pour une fois, à Brest, ils et elles ont voulu nous faire entendre, à nous auditrices et auditeurs, "la fabrique du documentaire". Tout ce qui depuis l'idée jusqu'à la diffusion antenne additionne des petits bouts de temps émiettés, des gros bouts de temps consécutifs, et les dernières minutes essentielles à la finalisation. Avec la certitude, à chaque fois, d'avoir explosé le compteur-temps et l'amertume que tout ce temps en plus ne sera jamais rémunéré à sa juste valeur.

Vendredi, de façon très calme et très professionnelle, Jeanne, Roger, Anne, Geneviève et Kevin (*) ont déroulé à partir de situations et d'exemples vécus ce qui, avant même le tournage (enregistrements), demande une somme considérable de recherches (biblio, sources, contacts, …), d'écoutes d'archives, de premiers échanges avec les intervenants souhaités (soit au téléphone, soit sur place), d'écriture, de repérages, d'établissement des modalités de déplacement, d'hébergement et du tournage lui-même. Cette liste de choses à faire n'est pas exhaustive.

Au fur et à mesure que les cinq intervenants témoignaient de leur vécu bien réel, je mesurais encore plus la masse de travail préalable et indispensable à la partie, sans doute la plus agréable du documentaire, du tournage lui-même. Ce travail préalable insuffisamment reconnu en terme d'heures et de rémunération a fait écrire aux membres de la SDRP une tribune dans Libération le 6 janvier 2023. "ll n’est plus supportable pour nous que la première société de radiodiffusion de France, disposant d’une dotation de 623 millions d’euros de l’Etat et donc des contribuables, dissimule une bonne partie du travail que nous effectuons, dès lors que l’on œuvre dans des écritures radiophoniques élaborées." 











Ils affirmaient aussi dans la même tribune : "A titre d’exemple, un format documentaire d’environ une heure, pour France Culture, nous est payé 1 250 euros brut, soit environ 900 euros net pour dix jours de travail maximum déclarés (80 heures), là où nous ne mettons jamais moins de vingt jours en réalité (160 heures). Nous gagnons moins que le smic : 1 250 euros /160 h réellement travaillées = 7,81 euros brut, soit 5,62 euros net de l’heure !" Récemment Radio France a annoncé aux auteurs et autrices documentaristes une augmentation de 20% en juin 2024 soit la prise en considération de 12 jours pour réaliser un documentaire d'environ une heure. 

À quel prix ? À budget constant verra-t-on, dans les programmes, à la prochaine rentrée radiophonique, diminuer la part des documentaires de 20% ? Trois jours par semaine de La Série Documentaire au lieu de quatre ? Trois jours des Pieds sur terre ? La fin d'Une histoire particulière ? Le documentaire radiophonique (1) servant habilement de variable d'ajustement au risque d'effacer, petit à petit, un pan entier de l'histoire même de France Culture.

Alors nous, auditrices et auditeurs, on ne peut pas/plus se contenter et continuer jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, années après années de fermer les yeux alors qu’on a les oreilles grandes ouvertes à l'écoute du documentaire radiophonique. Paysannes et paysans réclament le prix juste. Comme les professionnels de santé et ceux de l'Éducation nationale. Les documentaristes donnent souvent la parole à celles et ceux qui ne l'ont jamais comme un juste retour de la démédiatisation qu'ils subissent. Il serait temps à notre tour d'écouter et de soutenir les documentaristes et d'en relayer leur juste combat. C'est vital pour la survie de leur métier et pour le documentaire lui-même.

Il ne faudrait pas qu'une politique budgétaire de plus en plus contrainte incite à mettre à terre le documentaire ou de façon plus insidieuse à définitivement le faire taire.

(*) Les prénoms ont été changés. Douze documentaristes étaient à la tribune de cette session de Longueur d'Ondes.
(1) Un temps où dans "La fabrique de l'histoire" il y avait une fois par semaine un documentaire, d'une heure. Ici celui d'Aurélie Luneau et Véronique Lamendour , "Les Jeux Olympiques de Munich en 1972".

La première photo de ce billet est une de celles qui illustrait le documentaire d'Alain Devalpo pour son documentaire "Chili, l'autre 11 septembre", diffusé en trois épisodes les 9,10 et 11 septembre 2013 sur France Culture dans le programme "Sur les docks",