mercredi 14 février 2024

Gaby & Léo…

Longueur d'Ondes. Brest. Dimanche 11 février. Café du Quartz. 10h30. David Christoffel m'interviewe sur mon petit bouc "60 ans au poste". Constatant que de nombreux extraits de chansons émaillent la rédaction de mes souvenirs radio, il a la bonne idée de m'interroger sur la place de la chanson dans ce long séjour au poste ! Hier comme une impulsion après avoir longtemps échangé avec un documentariste, j'ai eu besoin de plonger dans Ferré…



J'ai choisi Gaby pour toutes les images que les mots de Ferré percutent à ma mémoire. Avec sa part de nostalg' et sa part de mélancolie. Je traîne à Saint-Germain, je passe devant  le cinéma l'Arlequin (Rue de Rennes). L'Arlequin télescope le cabaret du même nom dans les années 50 (131 bis boulevard Saint-Germain, à l’angle rue du Four). Au dessus y'avait le bar "La Pergola" et Gaby qui le tenait.

Hé ! Gaby
Gaby Pergola, je te voyais
Ah la la...
Tes comptes, ta machine, ton crayon
Tu notais tout
Peut-être aussi le temps
Qu'il ferait demain ?
Pour ta bière, tant !
Pour ton whisky, tant !

J'y entre. Même si ce bar n'existe plus. Je m'assieds et dans un juke-box Wurlitzer je sélectionne "C'est extra". Léo vient s'asseoir, sourit et pose son paquet de Celtiques sur le formica. Il tapote le tempo de sa chanson. J'ose même pas chanter. Je fredonne dans ma tête. Léo a commandé deux bières. On trinque.

Et tu notais
Et je chantais
Pour... heu...
Pour quoi ?
Pour trois fois rien
Ha, Gaby, Gaby !
Ce Saint-Germain-des-Prés
Défait, soumis

Pour trois fois rien Léo, Gaby te payait. Comme pour trois fois rien les documentaristes sont payés. Tu trouves Saint-Germain-Des-Prés défait. J'ose pas te dire que tant de choses se défont. Tu murmures. Tu savoures ta bière à petites gorgées et tire sur ta Celtique. Tu plisses des yeux comme Pépé. Tu harangues Pergola qui note tes bières…

Ce pays défait, soumis
Depuis des siècles, triste
Avec tous ces Polonais debout
Je ne sais plus s'ils dansent
Ils ont peut-être envie

Tu récites ta chanson. Plus besoin de juxe-box ! Je t'écoute en boucle. J'ai besoin d'entendre tes mots. Ceux qui scandent ta chanson. "Ah, près du métro Mabillon" me rappelle Perec "Tentative de description de choses vues au Carrefour Mabillon le 19 mai 1978". je me souviens de son documentaire radio. Réalisé par Marie-Dominique Arrighi, Michel Creïs et Nicole Pascot.

Est-ce que tu veux que je te raconte ?
T'es mort, un jour, je l'ai appris
T'es mort, un jour, tu m'avais dit
Qu'il fallait que je m'en aille
De l'Arlequin
Ah, je portais bien ce nom-là
Ce nom-là

Voilà si je savais faire un documentaire… C'est ça que j'aurais envie de faire. Marcher sur les pas de Ferré, mettre en tapis sa chanson, rentrer au Pergola (ambiance), faire jouer le juke-box (le son de la pièce de monnaie, le son de la recherche du morceau…), le bruit des bocks sur le Formica, du briquet de Ferré, ses murmures et l'harangue vers Gaby. Si je savais…

Dans les draps que l'amour
Referme sur la nuit,
Tous les amis de monde
Ont droit qu'à leur cercueil
La foule vienne et prie,



mardi 13 février 2024

Le documentaire radiophonique… À terre ou à taire ?

Vendredi dernier, dans le cadre du Festival Longueur d'Ondes à Brest, la Société des Documentaristes de la Radio Publique (SDRP) proposait aux festivaliers de découvrir le métier de documentariste. Et comprendre les arcanes permettant "en bout de chaîne" aux auditrices et aux auditeurs d'écouter des créations radiophoniques élaborées. Créations pour lesquelles les documentaristes se dépensent "sans compter" et qui depuis plus d'un an exigent que Radio France refasse les comptes car… le compte n'y est pas, justement !

Photo de famille avec Salvador Allende en 1972
à Santiago du Chili © Rodrigo Gomez Rovira










Ces documentaristes (beaucoup plus de femmes que d'hommes) vont régulièrement, c'est leur métier, poser leurs micros dans les villages, les hameaux, dans les quartiers des villes, dans des fermes ou dans des institutions, dans les ports ou sur des bateaux, dans des îles ou juste au coin de la rue, sous un réverbère ou dans un refuge de montagne. Elles et ils le font avec passion, professionnalisme et conviction. Elles et ils le font bien au delà des jours qui leur sont alloués pour réaliser/produire ces documentaires qui nous prennent par l'oreille et qui bien souvent ne nous lâchent plus.

Alors, pour une fois, à Brest, ils et elles ont voulu nous faire entendre, à nous auditrices et auditeurs, "la fabrique du documentaire". Tout ce qui depuis l'idée jusqu'à la diffusion antenne additionne des petits bouts de temps émiettés, des gros bouts de temps consécutifs, et les dernières minutes essentielles à la finalisation. Avec la certitude, à chaque fois, d'avoir explosé le compteur-temps et l'amertume que tout ce temps en plus ne sera jamais rémunéré à sa juste valeur.

Vendredi, de façon très calme et très professionnelle, Jeanne, Roger, Anne, Geneviève et Kevin (*) ont déroulé à partir de situations et d'exemples vécus ce qui, avant même le tournage (enregistrements), demande une somme considérable de recherches (biblio, sources, contacts, …), d'écoutes d'archives, de premiers échanges avec les intervenants souhaités (soit au téléphone, soit sur place), d'écriture, de repérages, d'établissement des modalités de déplacement, d'hébergement et du tournage lui-même. Cette liste de choses à faire n'est pas exhaustive.

Au fur et à mesure que les cinq intervenants témoignaient de leur vécu bien réel, je mesurais encore plus la masse de travail préalable et indispensable à la partie, sans doute la plus agréable du documentaire, du tournage lui-même. Ce travail préalable insuffisamment reconnu en terme d'heures et de rémunération a fait écrire aux membres de la SDRP une tribune dans Libération le 6 janvier 2023. "ll n’est plus supportable pour nous que la première société de radiodiffusion de France, disposant d’une dotation de 623 millions d’euros de l’Etat et donc des contribuables, dissimule une bonne partie du travail que nous effectuons, dès lors que l’on œuvre dans des écritures radiophoniques élaborées." 











Ils affirmaient aussi dans la même tribune : "A titre d’exemple, un format documentaire d’environ une heure, pour France Culture, nous est payé 1 250 euros brut, soit environ 900 euros net pour dix jours de travail maximum déclarés (80 heures), là où nous ne mettons jamais moins de vingt jours en réalité (160 heures). Nous gagnons moins que le smic : 1 250 euros /160 h réellement travaillées = 7,81 euros brut, soit 5,62 euros net de l’heure !" Récemment Radio France a annoncé aux auteurs et autrices documentaristes une augmentation de 20% en juin 2024 soit la prise en considération de 12 jours pour réaliser un documentaire d'environ une heure. 

À quel prix ? À budget constant verra-t-on, dans les programmes, à la prochaine rentrée radiophonique, diminuer la part des documentaires de 20% ? Trois jours par semaine de La Série Documentaire au lieu de quatre ? Trois jours des Pieds sur terre ? La fin d'Une histoire particulière ? Le documentaire radiophonique (1) servant habilement de variable d'ajustement au risque d'effacer, petit à petit, un pan entier de l'histoire même de France Culture.

Alors nous, auditrices et auditeurs, on ne peut pas/plus se contenter et continuer jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, années après années de fermer les yeux alors qu’on a les oreilles grandes ouvertes à l'écoute du documentaire radiophonique. Paysannes et paysans réclament le prix juste. Comme les professionnels de santé et ceux de l'Éducation nationale. Les documentaristes donnent souvent la parole à celles et ceux qui ne l'ont jamais comme un juste retour de la démédiatisation qu'ils subissent. Il serait temps à notre tour d'écouter et de soutenir les documentaristes et d'en relayer leur juste combat. C'est vital pour la survie de leur métier et pour le documentaire lui-même.

Il ne faudrait pas qu'une politique budgétaire de plus en plus contrainte incite à mettre à terre le documentaire ou de façon plus insidieuse à définitivement le faire taire.

(*) Les prénoms ont été changés. Douze documentaristes étaient à la tribune de cette session de Longueur d'Ondes.
(1) Un temps où dans "La fabrique de l'histoire" il y avait une fois par semaine un documentaire, d'une heure. Ici celui d'Aurélie Luneau et Véronique Lamendour , "Les Jeux Olympiques de Munich en 1972".

La première photo de ce billet est une de celles qui illustrait le documentaire d'Alain Devalpo pour son documentaire "Chili, l'autre 11 septembre", diffusé en trois épisodes les 9,10 et 11 septembre 2013 sur France Culture dans le programme "Sur les docks",

mardi 6 février 2024

Une heure de plus de nuit… le jour !

Accrochez-vous , petits bolides, la mise en abîme va démarrer !  En janvier 1985, Jean-Marie Borzeix, directeur de France Culture (1984-1997) initie la création des… Nuits de France Culture. Il confie l'émission à Jacques Fayet et "donne ainsi, entre mémoire et découverte, la possibilité aux auditeurs d'entendre et réentendre des programmes très anciens ou plus ou moins récents". Et surtout la mise en valeur d'un patrimoine radiophonique qui permettra de redécouvrir non seulement les archives de la chaîne mais aussi, quelques fois, celles de la Chaîne parisienne ou de Paris-Inter. En presque quarante ans l'occasion a été donnée aux insomniaques d'écouter des choses extraordinaires toutes les nuits.





En 2014 sous l'égide de Philippe Garbit, producteur de l'émission, Les nuits deviendront réécoutables sur le site de France Culture et/ou podcastables ce qui permettra à de nombreuses auditrices et auditeurs de les écouter… le jour ! Fin 2021 après vingt ans de bons et loyaux services à la production de cette émission Garbit prend sa retraite. Albane Penaranda qui travaillait déjà avec lui lui succède.

Petit à petit "Les nuits rêvées…", véritables créations autour d'une personnalité qui se raconte, la nuit de samedi à dimanche, contextualise des archives et nous permettent souvent une nuit de rêve, vont disparaître. Elles seront plus ou moins régulièrement rediffusées sur la chaîne la nuit. Jusqu'à ce que je découvre dimanche dernier la rediffusion des Nuits le jour et plus précisément le dimanche à 16h, une rediffusion de la nuit précédente. On notera la pirouette du titre digne de l'Almanach Vermot "Les nuits le jour"            

Vous suivez toujours ? Fallait oser ! Donc le Directeur des programmes, Florian Delorme, (re-re)recycle un programme créé pour la nuit, initialement diffusé dans la nuit du samedi au dimanche, rediffusé quelques années après les mêmes nuits de la semaine et dont une heure sera extraite pour être (re-re-re)rediffusée le dimanche de jour. 











Les grands manitous de la détemporalisation ont fini par réaliser leurs basses œuvres ! À ce rythme-là pourquoi ne pas pousser le bouchon encore plus loin ? Diffuser "Les matins" (7/9) de 19 à 21h, Les nuits de midi à 16h (1), de minuit à 4h "Les midis de Culture" suivis de "Les pieds sur terre" puis "Entendez-vous l'éco" pour "finir" de 15h à 16h par "Le book club" (en français dans le texte). Trop cool, trop fun, trop d'la boule, non ?

Chacun picorant, le jour ou la nuit dans des programmes de jour ou de nuit. Juste les derniers sursauts avant la plateformisation définitive ! Bien sûr animatrices/animateurs, journalistes et productrices/producteurs ne pourront plus ni dire bonjour ni bonsoir ! À moins que la nouvelle formule de politesse se décline en un "Bonjour/Bonsoir" lui même pouvant supporter la variante "Bonsoir/Bonjour".

De fait, nuits et jours ayant rallongé on vivra beaucoup plus longtemps de jour, de nuit. Allez… Bonjournuit et à demain si vous le voulez bien !!!!!

  • Ajout du mardi 6 février à 10h. Pour avoir échangé avec Albane Penaranda voilà ce qu'elle me précise : ""Les Nuits le jour" existent depuis la reprise début septembre et le principe n'est pas celui que vous décrivez. Vous êtes tombé sur une rediffusion, ce qui reste très exceptionnel. Dans cette case "les Nuits le jour" il y a essentiellement de nouvelles archives programmées en amont de la Nuit thématique du weekend suivant, pour l'annoncer. " Dont acte !

(1) Notons au passage que les Nuits ont perdu deux heures de rediffusion…

lundi 5 février 2024

On aura beau mettre trois personnes devant un micro…

Ça ne fera jamais une émission de radio. Particulièrement si celle-ci n'est ni pensée ni écrite. Or jusqu'ici "tout va mal" pour la directrice d'Inter, Adèle van Reeth qui voit au moins un de ses choix éditorial se prendre le mur. En proposant à trois femmes : Marie Misset, Maïa Mazaurette et Marine Baousson d'occuper la case de 17h du lundi au vendredi sur France Inter on se demande encore quel pouvait bien être le "concept" de cette émission ? À part celui du, de la sempiternelle invité-e, du bavardage intempestif, de la chronicroquette pour "meubler" le vide et d'un titre fastoche et tendance pipole "Jusqu'ici tout va bien" auquel peut s'ajouter "mal" . 












Une fois prise la décision en juin 2023 de ne pas reconduire les belges - Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek - et leur comparses pour l'émission "C'est encore nous", qui avec des titres différents occupait la case de 17h de la généraliste de Radio France, se posait la question cruciale "quoi mettre à la place ?". 17 h : la belle case. Occupée longtemps par Jacques Chancel et sa "radioscopie" et quelques belles années par Daniel Mermet "Là-bas si j'y suis". 

Matthieu Noël, animateur de "Zoom Zoom Zen" à 16h fait vite savoir qu'ayant déjà remplacé Charline pour sa chronique quotidienne de 7h57 (1) il n'était pas question de la remplacer à 17h. Le jeu des chaises musicales n'a pas pris ! Alors que faire ? Si Madame Van Reeth a fait longtemps de la radio sur France Culture (2) cela lui donne t-il les compétences pour élaborer une grille de programmes ? Particulièrement après la longue direction de Laurence Bloch de 2014 à la rentrée 2022 (3) Professionnelle de la radio qui connait très bien toutes les arcanes de la radio publique.

Van Reeth va tenter l'improbable trio et l'alchimie tout aussi improbable d'une journaliste (Misset, ex Nova), d'une autrice (Mazaurette, chroniqueuse à Quotidien/TMC) et d'une humoriste (Baousson). Ben voyons Léon, s'il suffisait de mettre des gens devant un micro pour réussir une émission ça se saurait depuis cent trois ans que la radio existe ! Et je crois bien que c'est à Pierre Bouteiller que l'on doit cette sentence pour une pratique que je reprends en titre de ce billet.

Qui a d'abord été un 
feuilleton sur France Inter











Tout ça c'était avant le drame. Le 23 janvier, Mazaurette annonce quitter début mars le navire (l'esquif !) regrettant de ne pas avoir été cantonnée à son travail d'écriture et de chronique et que lui soient imposés des interviews. Nous en remettrons nous ? La diagonale du vide ayant été franchie laisser aux commandes un duo, y ajouter une tierce personne ou tenter un quarteron de parleuses en goguette ne changera pas grand chose à ce qui peut aujourd'hui être considéré comme un immense rien du tout ou un mépris absolu pour donner du sens à cette heure particulière en radio.

L'amateurisme attire et produit de l'amateurisme. France Inter fait le choix de ne plus s'intéresser au flux du direct et au rythme qui doit guider une grille du petit matin au grand soir à défaut de se poursuivre la nuit. Une seule chose compte la délinéarisation et la détemporalisation qui s'exécute dans le divin podcast. Alors que ce soit à 17h ou à 10 h le dimanche matin (le nouvel horaire du Masque et la Plume, rediffusé à 20h), le cadre horaire est devenu secondaire et sa progressive disparition pour structurer une grille participe de la mise en place de la plateformisation des antennes de Radio France. 

Les managères (de moins de cinquante ans) et autres gourous du numérique veulent gérer du stock, du stock et encore du stock (4). Alors les soubresauts des programmes n'ont plus beaucoup d'importance tant que les matinales à rallonge (5/10 sur Inter) et les fins de journées (18/20) font l'audience. Entre il s'agit de combler. Au risque des catacombles !!!!

(1) Charline a gardé le jeudi !
(2) Les chemins de la philosophie,
(3) Qui depuis cette date a en charge l'éditorial des sept chaînes de Radio France et un œil très attentif sur l'évolution d'Inter,
(4) Dont une masse phénoménale d'archives bientôt reformatées en "collection" et autres séries tendance "du moment".