Vendredi dernier, dans le cadre du Festival Longueur d'Ondes à Brest, la Société des Documentaristes de la Radio Publique (SDRP) proposait aux festivaliers de découvrir le métier de documentariste. Et comprendre les arcanes permettant "en bout de chaîne" aux auditrices et aux auditeurs d'écouter des créations radiophoniques élaborées. Créations pour lesquelles les documentaristes se dépensent "sans compter" et qui depuis plus d'un an exigent que Radio France refasse les comptes car… le compte n'y est pas, justement !
Photo de famille avec Salvador Allende en 1972 à Santiago du Chili © Rodrigo Gomez Rovira |
Ces documentaristes (beaucoup plus de femmes que d'hommes) vont régulièrement, c'est leur métier, poser leurs micros dans les villages, les hameaux, dans les quartiers des villes, dans des fermes ou dans des institutions, dans les ports ou sur des bateaux, dans des îles ou juste au coin de la rue, sous un réverbère ou dans un refuge de montagne. Elles et ils le font avec passion, professionnalisme et conviction. Elles et ils le font bien au delà des jours qui leur sont alloués pour réaliser/produire ces documentaires qui nous prennent par l'oreille et qui bien souvent ne nous lâchent plus.
Alors, pour une fois, à Brest, ils et elles ont voulu nous faire entendre, à nous auditrices et auditeurs, "la fabrique du documentaire". Tout ce qui depuis l'idée jusqu'à la diffusion antenne additionne des petits bouts de temps émiettés, des gros bouts de temps consécutifs, et les dernières minutes essentielles à la finalisation. Avec la certitude, à chaque fois, d'avoir explosé le compteur-temps et l'amertume que tout ce temps en plus ne sera jamais rémunéré à sa juste valeur.
Vendredi, de façon très calme et très professionnelle, Jeanne, Roger, Anne, Geneviève et Kevin (*) ont déroulé à partir de situations et d'exemples vécus ce qui, avant même le tournage (enregistrements), demande une somme considérable de recherches (biblio, sources, contacts, …), d'écoutes d'archives, de premiers échanges avec les intervenants souhaités (soit au téléphone, soit sur place), d'écriture, de repérages, d'établissement des modalités de déplacement, d'hébergement et du tournage lui-même. Cette liste de choses à faire n'est pas exhaustive.
Au fur et à mesure que les cinq intervenants témoignaient de leur vécu bien réel, je mesurais encore plus la masse de travail préalable et indispensable à la partie, sans doute la plus agréable du documentaire, du tournage lui-même. Ce travail préalable insuffisamment reconnu en terme d'heures et de rémunération a fait écrire aux membres de la SDRP une tribune dans Libération le 6 janvier 2023. "ll n’est plus supportable pour nous que la première société de radiodiffusion de France, disposant d’une dotation de 623 millions d’euros de l’Etat et donc des contribuables, dissimule une bonne partie du travail que nous effectuons, dès lors que l’on œuvre dans des écritures radiophoniques élaborées."
Ils affirmaient aussi dans la même tribune : "A titre d’exemple, un format documentaire d’environ une heure, pour France Culture, nous est payé 1 250 euros brut, soit environ 900 euros net pour dix jours de travail maximum déclarés (80 heures), là où nous ne mettons jamais moins de vingt jours en réalité (160 heures). Nous gagnons moins que le smic : 1 250 euros /160 h réellement travaillées = 7,81 euros brut, soit 5,62 euros net de l’heure !" Récemment Radio France a annoncé aux auteurs et autrices documentaristes une augmentation de 20% en juin 2024 soit la prise en considération de 12 jours pour réaliser un documentaire d'environ une heure.
À quel prix ? À budget constant verra-t-on, dans les programmes, à la prochaine rentrée radiophonique, diminuer la part des documentaires de 20% ? Trois jours par semaine de La Série Documentaire au lieu de quatre ? Trois jours des Pieds sur terre ? La fin d'Une histoire particulière ? Le documentaire radiophonique (1) servant habilement de variable d'ajustement au risque d'effacer, petit à petit, un pan entier de l'histoire même de France Culture.
Alors nous, auditrices et auditeurs, on ne peut pas/plus se contenter et continuer jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, années après années de fermer les yeux alors qu’on a les oreilles grandes ouvertes à l'écoute du documentaire radiophonique. Paysannes et paysans réclament le prix juste. Comme les professionnels de santé et ceux de l'Éducation nationale. Les documentaristes donnent souvent la parole à celles et ceux qui ne l'ont jamais comme un juste retour de la démédiatisation qu'ils subissent. Il serait temps à notre tour d'écouter et de soutenir les documentaristes et d'en relayer leur juste combat. C'est vital pour la survie de leur métier et pour le documentaire lui-même.
Il ne faudrait pas qu'une politique budgétaire de plus en plus contrainte incite à mettre à terre le documentaire ou de façon plus insidieuse à définitivement le faire taire.
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