mardi 21 janvier 2025

Colin, El Hadj, Creïs : trois compagnons dans un bateau…

D'abord se prendre en plein cœur une immense gerbe d'humanité… En 1988, les Nuits magnétiques (France Culture) nous offraient "Les mariniers", quatre émissions produites par Josette Colin, réalisées par Medhi El Hadj et à la prise de son Michel Creïs. Que du beau monde. Josette Colin est décédée en 2005. Que j'aurais aimé lui dire le bien que ça fait ,vingt ans plus tard, de réécouter les témoignages des mariniers, des marinières, des éclusiers et de tout ceux qui ont pris par au mouvement de la batellerie française. Des gens calmes, passionnés par leur vie sur l'eau, à la mesure des fleuves et des canaux.

Péniches sur la Seine devant le pont Marie à Paris,
1960 ©Getty - Paul Pougnet/Gamma-Rapho









Comme souvent pour les Nuits magnétiques, c'est une page d'histoire que les trois compères inscrivent dans la mémoire radiophonique. On ne peut qu'être tout ouïe aux témoignages sincères et émouvants de Julienne Grimaud, bateau "Saint-Louis", de Martial Chantre, bateau "Destrier" , de la famille Laure, bateau "Villa des Laure", de la famille Leclerc, bateau "Pils", de Madame Mayet, bateau "Phalène"  et de Jean-Paul Dupuis, écluse d'Épineau. On finit par être avec eux à bord ou sur l'écluse. Ils et elles disent si bien ce qui a fait leur vie, longtemps à l'écart de la fureur du monde.

Puis doucement on apprend que le métier évolue, que les bateaux se modernisent, que les moteurs sont de plus en plus puissants et que, petit à petit, ce même métier de marinier court à sa disparition. Pendant que le traffic routier lui se démultiplie. Marginaux, quelquefois comparés aux gens du voyage, marinières et mariniers constatent avec un peu d'amertume que personne ne bougera pour les sauver. Et surtout pas les pouvoirs publics. La mécanique du progrès est en marche. La rentabilité un credo suprême. La lenteur une façon de travailler à bannir. 

À la parution de son livre La vie des mariniers (1), Alain Veinstein, créateur des Nuits magnétiques, découvre ici dans Du jour au lendemain (2) que Josette, qui collabore régulièrement aux Nuits, est fille de mariniers. Elle est née, à quai, sur L’aléa la péniche de ses parents. Comme quoi la Maison de la radio a beau être une grande famille, chacun peut y protéger son histoire et son vécu. Veinstein ouvre la rencontre avec la valse lente composée par Maurice Jaubert pour le film l’Atalante de Jean Vigo. À la réécoute, on n’a pas envie d’interrompre ce genre de musique tellement les images et l’ambiance dépeintes par le cinéaste sont indissociables du monde marinier. La valse lente allant au rythme de la péniche précise Josette Colin. 

Bateau pousseur et barges de sable, le 29 juillet 1984
©Getty - Claude Abron/Gamma-Rapho








Voilà bien des croisements merveilleux avec Les mariniers qui ont abordé par plusieurs facettes cette vie fluviale que Josette a fréquenté de près et, qui ont rendu ses documentaires aussi vivants et justes. Au fil de l’eau, on attrape cette belle expression ceux d’à terre qui distinguent ceux qui ne naviguent pas sur les canaux. Et Josette d’évoquer la langue marinière qu’elle a du essayer de traduire dans la publication qui a suivi le documentaire, comme de la difficulté de passer d’histoires orales aux histoires écrites. 

Alors, comme cela a souvent été le cas pour assouvir ma quête radiophonique j’ai cherché à en savoir plus sur Josette car il est quand même assez rare que des réalisatrices (ou réalisateurs) tentent la production. Comme il n’est pas beaucoup plus fréquent que la radio s’intéresse à ceux qui la font. J’ai pu échanger longuement avec Mehdi El Hadj, réalisateur, qui a beaucoup collaboré avec Josette Colin. Et trente-quatre ans après Les mariniers (3) sa mémoire est intacte. Après le décès de Josette en 2005, Mehdi écrit dans Tonalités le journal d’entreprise de Radio France, 

  • «Musicienne et voyageuse, Josette fut de toutes les expériences radiophoniques novatrices et exigeantes et sy donna sans compter. Elle sut offrir ses diverses compétences personnelles et professionnelles non seulement à ses collaborateursmais aussi à une conception humaniste voire philanthropique de la radio de service public. Il nous reste des émissions, et des livres pour reconnaître toute la sincérité de son engagement auprès des générations successives quelle a enrichies de ses multiples talents.» 

Mehdi partage avec moi une anecdote savoureuse «Josette enfant dans la cale de la péniche, promenait sa poule sur le guidon de son vélo». La réalisatrice a conscience d’avoir vécu une enfance privilégiée comme aussi d’avoir été souvent montré du doigt par les enfants d’à terre, moqueurs et jaloux d’une forme de liberté dont les enfants de mariniers bénéficiaient. Mehdi reconnaît surtout les qualités de sa collègue qui transpirent ici dans son documentaire. Sincérité, humilité, humanité. Elle dit «La lenteur et la douceur du milieu aquatique retentit sur la personnalité des mariniers… » et sur celle de Josette Colin assurément.

Une partie de ce billet est extrait de Fañch Langoët, "60 ans au poste. Journal de bord d'un auditeur", chapitre 62, page 137.

(1) Plon, 1990

(2) 6 décembre 1990, rediffusé en 2005 à loccasion de son décès 

(3) Prix Paul Gilson documentaire (Communauté des Radios Publiques de Langue Française), 1988.

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