lundi 6 juin 2016

Virale toi-même (la radio) !




Le 2 juin, InaGlobal nous proposait un très long et très intéressant papier : "Avec la vidéo la radio devient virale". Enthousiaste, l'article n'échappe pas à quelques lieux communs ou affirmations qui demanderaient à être étayés. De la même façon la citation de chiffres astronomiques d'audience laisse perplexe… À moins de définitivement se ranger dans la mesure du chiffre, qu'un Médiamétrie ne tardera pas à imposer (lire : vendre). Qu'en sera-t-il alors des émissions de radio… non filmées ? Mais avant de tenter quelques pronostics revenons sur quelques points de cet article.

Christophe Israël - ©RF/Claude Abramowitz

















"Christophe Israël, directeur délégué aux nouveaux médias de France Inter, "même les plus réfractaires consentent à penser que c’est un mal nécessaire [la radio filmée, ndlr] dans un univers numérique hautement concurrentiel où la vidéo est omniprésente."
Déjà je ne comprends pas la formule passe-partout "mal nécessaire". C'est un bien pour les audiences. C'est bon pour la renommée de la chaîne, de l'émission, des producteurs. C'est sanctifier "la petite phrase", le "bon mot", le lapsus, la faute de goût, l'absurdité, le ridicule. C'est entrer dans le bal de l'effet immédiat et du jetable. C'est l'incitation à, définitivement, tout le temps, "passer à autre chose". C'est le tonneau des Danaïdes versus 3.0. C'est utiliser ce "bruit" comme amplificateur au détriment souvent de l'analyse un peu plus poussée et dont personne n'a plus envie. Pas plus l'émetteur que le récepteur d'ailleurs. (1)

"Pour le directeur du numérique à la Maison de la Radio [Laurent Frisch], il n'y a pas de réelle opportunité pour France Culture, hormis lors de la matinale, quand un invité de renom s’exprime."
On peut mesurer très vite les effets éditoriaux d'une telle affirmation péremptoire. Si, donc, France Culture ne peut compter pour sa viralité que sur sa matinale, et seulement quand celle-ci accueille des invités de renom, ne sera t-elle pas alors incitée à ne plus recevoir que des renommés, les mêmes qui défilent déjà partout ? Voilà, par la formule définitive d'un cadre persuadé de détenir LA vérité, mis à terre, des années d'efforts de la chaîne culturelle pour se banaliser, ressembler vaille que vaille à France Inter (2), . 

Laurent Frisch © Claude Abramowitz/RF

























Deux exemples permettent de comprendre le "tâtonnement expérimental" à l'œuvre à Radio France. L'émission d'Augustin Trapenard, Boomerang, sur France Inter, n'est pas filmée. Quelques lives impromptus d'une chanteuse, d'un slameur, d'une comédienne ou d'un artiste sont extraits et postés sur Dailymotion ou You Tube. Cela participe de la viralité de l'émission sans imposer l'émission dans son entier. A contrario "L'instant M" de Sonia Devillers a aussi trouvé son audience en vidéo, à tel point que la semaine dernière, la journaliste a du prévenir ses auditeurs de ne pas s'acharner sur le player vidéo qui, ce matin-là, ne fonctionnait pas (3).

"L'instant M" par son actualité, ses invités "dans l'air du temps", ses sujets du moment a tous les ingrédients de la viralité. Voilà bien l'émission qu'il fallait filmer. Et qui, de fait, en moins de deux ans est entrée dans la grande cour des médias. La qualité de l'émission y est pour beaucoup. Là l'image "ne gâche rien" pour confirmer et asseoir l'audience de L'Instant M (4).

L'article de William Demuyter se conclut ainsi "La vidéo n’est donc pas un simple gadget radiophonique. Elle s’inscrit au contraire dans une stratégie de dissémination des contenus sur le web, à laquelle toute radio doit songer pour être en phase avec les nouveaux usages de consommation. Aspect essentiel de la convergence des médias, où chaque média produit à la fois de l’écrit, de l’audio, et de la vidéo, la radio filmée doit aller de pair avec une politique de contenus et une éditorialisation particulières."

Antoine Bayet


















Quid alors pour France Culture, France musique, France Bleu, Mouv' "pour être en phase avec les nouveaux usages de consommation" ? Il faudra sûrement dépasser les assertions de M. Frisch et, (re)penser ces nouveaux usages de consommation, au-delà de cette sacro-sainte image qui renforce l'influence du "téléspectateur", qu'il faudra maintenant distinguer du "radiospectateur", comme l'analyse très bien le point de vue de Jean-Claude Guillebaud, cité par InaGlobal.

Quant à la généralisation de la radio filmée voilà une affaire enterrée. Le filmage de la radio servira à faire l'évènement, l'amplifier, le décupler pour ce qui concerne l'"actualité". Que ce soit de l'information ou du divertissement. Bon nombre d'émissions de radio conserveront un statut audio, jusqu'à ce que, gagnées elles aussi par l'événement et l'actualité immédiate, l'image "à tout prix" leur fasse changer de statut. 

Qu'il sera drôle ce temps ou des enfants découvriront hagards qu'il existe des voix sans image et des émissions entières sans visuel. Un peu comme autrefois quand l'image du téléviseur pouvait disparaître plusieurs minutes, laissant un écran noir, inerte, les voix suggérant alors des images invisibles. Quand la radio, de tout temps, a, elle, suggéré et sublimé à l'écoute des seules voix, un imaginaire fantastique et incommensurable.

Lire aussi l'interview d'Antoine Bayet, de Frank Lanoux, de Christophe Israël.

(1) Sauf une poignée de Mohicans dont vous faites partie mes chers auditeurs !
(2) On comprend mieux pourquoi d'Arvor (Olivier Poivre), ancien directeur de France Culture, voulait absolument recruter le comique Stéphane de Groodt qui, chaque jour, aurait trouvé sa place sur les rézo zoziaux…
(3) Devillers a absolument intégré la captation vidéo par ses attitudes physiques et sa posture affirmée "face caméra", ce qui n'est pas le cas par exemple de sa remplaçante, Charline Roux,

(4) Et dépasser, depuis le dernier Médiamétrie (avril), l'audience à la même heure de "Le grand direct des médias" de Jean-Marc Morandini sur Europe 1.

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