samedi 12 mai 2018

Sous les pavés : l'Ardèche… ou comment les hippies ont bloqué l'exode rural

J'ai rencontré Sarah Lefèvre, après le Festival Longueur d'Ondes de février dernier. Sarah avait eu la bonne idée de venir assister à notre séance hommage à "L'Oreille en coin". Nous avons beaucoup parlé radio et… Ardèche. Sarah, documentariste, finalisait la préparation de son voyage en Cévenne. Pour y avoir moi-même arpenté quelques chemins à l'écoute des castanéïcultrices et castanéïculteurs (1), je ne manquais pas de lui donner les adresses de personnages "à voir absolument". Bien sûr "mes" noms croisaient ceux qu'elle avait déjà repérés. Car, pour l'histoire récente du phénomène hippie en Ardèche et du retour à la terre, il y a les inévitables et Sarah vous l'entendrez ne les a pas évités.


Au creux d’une vallée sauvage, le Hameau de Bolze
où vivent Sandrine Taine et Pascal Waldschmidt,
installés en Ardèche depuis 1974. 

Crédit : Sarah Lefèvre /RFI. 

Le projet de Sarah était le suivant : "On entend parler depuis des mois du Paris gaulliste, de ses barricades, du Boulmich', de Saint-Germain des Prés. On aborde moins la question des conséquences de l'insurrection de 1968. Pourtant, certains se sont autorisés à rêver d'un autre avenir, loin des pavés, au plus prés de la terre. Ces jeunes citadins ont migré vers le Sud de la France, à la recherche de déserts, comme en Ardèche qui comptait le plus grand nombre de communautés au début des années 1970. Ces "bourrus" ou "barbus" - comme on les appelait - se sont autorisés à refaire le monde, de jour comme de nuit, à l'échelle d'un hameau abandonné et de quelques mètres carrés de terre abandonnées. Les plus déterminés sont restés. Les plus militants se sont battus avec les Cévenols contre des grands projets de barrage, de centrales nucléaires ou d'exploitation de gaz de schiste. Comment se sont-ils enracinés, là où les jeunes fuyaient depuis des années ? Comment ont-ils vécus de rien ou très peu et surtout, qu'ont-ils créé ? Ils nous ont raconté leurs cinquante dernières années." 

En 48'30 (2), Sarah Lefèvre réussit à raconter, avec la belle réalisation de Laure Allary, un bout du "mirage Ardéchois" sans tomber dans l'écueil de l'admiration "baba" ni dans celui de la caricature de "hippies-qui-laissent-mourir-les-chèvres-faute-de-les-traire". Forcément si vous pouvez visualiser ces vallées, ces paysages, ces situations racontées par les acteurs et actrices de l'époque vous y serez. Ça vous parlera aux tripes et au cœur et, fermant les yeux, vous accompagnerez Violaine, Noé, Sandrine, Pascal et Jean-François dans leurs parcours singuliers.

Si vous n'avez en tête que les clichés chromos que la rumeur et les médias ont voulu donner de ce retour à la terre, post-soixante-huitard, en Cévennes, voilà la bonne occasion pour changer de vision et vous donner envie d'y aller voir de plus près. Pas en touriste qui regarde de haut cette "région magnifique" mais plutôt en sachant sortir des sentiers battus et rebattus pour tenter de comprendre ce pays rebelle, tenace et séduisant. Sarah Lefèvre a su laisser parler ses témoins qui inlassablement ont retissé une histoire originale et inattendue qui a pu modifier le déclin attendu et l'exode rural inexorable auxquels pouvait s'attendre l'Ardèche à la fin des années 60.

Et même si, "chromo des chromos", La Montagne de Ferrat peut sembler désuète, il est bon de rappeler que le chanteur avait su capter cet inexorable qui ne demandait qu'à être démenti. Les "hippies" l'ont permis (3) quand, abandonnant frusques, bracelets et "Marie-Jeanne", ils ont croché dedans, remonté les murets et fait revivre le pays. 






(1) Pour le Parc Naturel Régional des Monts d'Ardèche et la création de "Paroles de Châtaigneux", collecte et créations graphiques, printemps et automne 2005,
(2) À 15h10, "Si loin, si proche", aujourd'hui sur RFI,


Après Mai 68, Noé Chat, Ardéchois de 96 ans, 
a vu ses terres cévenoles se repeupler avec les néo-ruraux
Crédit : Sarah Lefèvre /RFI. 



















(3) Sarah n'aura pu rencontrer Paul Leynaud, paysan cévenol magnifique, décédé il y a une dizaine d'année que j'avais pu rencontrer au cours de ma longue pérégrination "châtaigneuse". Son engagement l'avait poussé à imaginer la création du Parc Naturel Régional des Monts d'Ardèche. Paul lui aurait dit cela "À nous de mettre en œuvre notre projet de territoire, à partir de son patrimoine, en associant l’ensemble des acteurs : producteurs, artisans, gens de culture, élus, habitants des Mont d’Ardèche. Prenons l’utopie comme méthode." Cet utopiste-humaniste m'avait dit "C'est grâce aux hippies que les femmes ardéchoises sont restées au pays et ont interrompu la vague d'exode qui l'aurait définitivement fait mourir".

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