lundi 10 mai 2021

J'ai (fait) un rêve…

Je suis journaliste à la radio, je m'intéresse à l'histoire, à la politique et à la presse. Donc, le 10 mai 2021, je me dis que ça va être une formidable occasion d'évoquer la reparution le 13 mai 1981 de "Libération" (créé en 1973) qui, après trois mois de mise en sommeil allait prendre pied dans la "nouvelle société" que Mitterrand avait promis de changer. Ou plutôt promis de "changer la vie", la nouvelle société c'était Chaban-Delmas (Premier Ministre en 1969, avec, entre autres, la plume de Jacques Delors). Alors que Mitterrand est élu le 10 mai, il faudra attendre deux ou trois jours (1) pour découvrir ce nouveau Libé, qui ailleurs qu'à Paris n'a pas encore le losange rouge en fond de titre ou en logo, mais une trame bien grise !

Une du 11 mai 1981
Numéro Zéro Zéro















C'est un événement. Micro-événement sans doute mais à l'époque un événement, tant la presse quotidienne nationale sérieuse (Le Monde, Le Figaro) n'a pas beaucoup à craindre de la presse poussiéreuse traditionnelle pour ne pas dire traditionnaliste. Alors, comme j'ai un peu de mémoire, que j'ai vécu la chose en direct, j'ai envie d'en parler. Mais à l'heure où j'écris ces lignes je crois que je serai un peu seul, car ce ne sera pas le cas dans l'émission Média d'Inter et nous verrons bien si ça l'est dans celle de Vandel sur Europe 1.

Et pourtant Serge July (un des fondateurs du journal aux côtés de Jean-Paul Sartre) a des choses à raconter. "Nous nous arrêtons [en février 1981, ndlr] pour sortir le journal du gauchisme, pour rompre avec une conception disons purement expressionniste, pour revendiquer la complexité, pour apprendre à penser contre nous-mêmes, avec l’envie de faire parcourir le monde et de faire un journal qui permette de l’accompagner et d’en comprendre les méandres, tout ce que nous ne trouvions pas dans l’offre média d’alors. C’est comme cela que nous faisons le pari d’un renouveau de la presse." (2)

C'est ça ! Comment en sont-ils passés de l'agence de presse Libération, du soutien actif de Jean-Paul Sartre, à cet arrêt subit pour tout refonder dans une formule "proprette" et assagie ? Que s'est-il passé pendant ces trois mois ? "Je t'aime, moi non plus" titrait le dernier numéro volumineux, en forme de bilan. Huit années d'une formule qui avait dégoupillé l'info, soutenu les taulards, accompagné la libération sexuelle, secouer le bourgeois et pris le parti de la contre culture dans ses moindres replis.

Le n°1,  18 avril 1973













Et aussi, ne serait-ce que ce numéro "zéro zéro" (en toutes lettres), daté 11 mai 1981, qui témoigne de l'impréparation de l'équipe qui n'était vraiment pas sûre de la victoire du "champion socialiste" (3) pensant pouvoir disposer (en cas de victoire de Giscard) de quelques délais supplémentaires jusqu'à la rentrée de septembre.

Et pourquoi cette "petite histoire" a peu de place dans les médias aujourd'hui ? Parce que les "médias moutons" suivent le troupeau. Et tant que l'un ou l'autre n'aura pas mis en avant cette histoire de presse moderne il y aura juste des farfelus dans mon genre pour s'y intéresser. D'ailleurs si tout va bien je serai à l'antenne de "La midinale" de Radio Pikez (web radio de Brest) pour en parler ce lundi à partir de midi !

Pourtant la pléthore d'émissions médias n'est jamais en reste pour se prosterner devant le moindre événement médiatique, qui ne le devient que puisque les médias en ont décidé ainsi. Cette impasse sur Libé est dommageable car, dans son époque, Libé a su, avant de prendre l'air du temps, prendre le contre-courant (comme Actuel le mensuel de la free-press, au début de la décennie 70) d'une société policée-formatée et bousculer certitudes, conventions et autres rigidités propres à enkyster la vie.

Mais, un peu comme le socialisme, Libé a fini par sombrer. D'abord dans un classicisme "effrayant" puis dans une "ligne" très très molle ou conforme à une gauche dépossédée de toute ambition socialiste. Il semble qu'existe ces derniers mois un certain sursaut à Libé mais, pas sûr que ça me fasse sursauter. Quand paraît le n°1 de la nouvelle formule (on dira le 12 mai 1981), un bandeau en haut de journal est à la une. Il annonce "Il est mort le soleil". Un titre comme seul Libé sait en produire. Mais, Présidentielles obligent, c'est Mitterrand qui prend "toute la place". Le soleil en question c'est Bob Marley (mort le 11 mai 1981).

Il y a donc 40 ans se sont téléscopées la mort d'une idole jamaïcaine et mondiale et la naissance d'un Président socialiste. Marley a, toute sa vie, été fidèle à ses idéaux et ses croyances, on ne peut en dire autant de Mitterrand.

Je ne rêve pas, je suis juste blogueur-radio et j'espère que mes lecteurs apprécieront ce flash-back sur un moment de l'histoire qui, comme à beaucoup de ma génération, a bouleversé la vie et fait passer de très belles heures à la lecture de Libé !

(1) J'ai acheté le n°1 (je l'ai pas sous les yeux) et de nombreux autres jusqu'en 1993. Certains disent qu'il est paru le mardi 12 mai, d'autres le mercredi 13. J'ai un indice pour "assurer" que c'était le 12…
(2) Voir Libé daté vendredi 7, samedi 8, dimanche 9 mai 2021,
(3) Champion n'est sans doute pas le meilleur titre mais au moins le 10 mai 1981 il le fût…

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