mardi 27 avril 2021

L'Instant M : le code a changé, le ton a changé…

Depuis la première émission, le vingt-cinq août 2014, je n'ai pas du manquer beaucoup d'épisodes de L'Instant M de Sonia Devillers sur France Inter (et en ai chroniqué plusieurs depuis). Le défi d'animer une émission de dix-huit minutes, Devillers l'a relevé et a su imposer un rendez-vous qui s'installe après le set d'Augustin Trapenard qui reçoit le gotha artistique à une heure où sur France Inter changer de musique, soit sortir du tube ou de l'enfermement de l'info de 5h à 9h07 est de santé publique. Plus de quatre heures de propagande malaxée, mixée, broyée ça peut épuiser le plus grand aficionados de radio. En sept saisons Devillers aura montré une vraie passion pour la télévision, la presse et les "médias émergents". Pour autant si depuis quelques mois la TV perd un peu de terrain et que l'écrit dispose de plus de visibilité, le ton de l'animatrice comme le ton de l'émission ont changé.



Commençons par quelques chiffres (1). La TV reste en tête de toutes les catégories et la prescription d'émissions reste le bon plan pour "faire de l'audience". Dans tous les cas le titre de l'émission et son mot magique "média" permettent de parler de contenus et trop peu souvent du média lui-même et de ses enjeux sociétaux. Même si Devillers aimerait plus souvent creuser ces enjeux-là le format de l'émission permet peu de pousser très loin l'analyse. Et le parti-pris de défendre (vendre) une émission TV, son contenu et ses postulats avec ceux-là mêmes qui en sont les producteurs ou les acteurs empêche une réflexion plus approfondie sur le média lui-même. Une fois de plus la radio est le meilleur prescripteur de la TV quand la dite-TV n'est jamais prescriptrice de la radio.

Dans cette veine, L'Instant M ne sera jamais L'Instant Radio. Difficile de parler radio à la radio sauf à inviter la Présidente de Radio France, Sibyle Veil, le 17 novembre 2020, pour que cette dernière fasse la promotion de sa "stratégie numérique " (lire la stratégie numérique de Laurent Frisch, Directeur du Numérique à Radio France). On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Depuis janvier, j'ai vraiment l'impression que le code a changé. Petit à petit la TV n'est plus aussi présente à l'antenne de L'Instant M. Finies les invitations, de telle directrice de programmes, de tel patron de chaîne, de tel expert en "guérillas télévisuelles". L'écrit : presse, édition, s'impose un peu plus. 

La semaine du 12 au 16 avril, Devillers très corporate a invité Nagui, pas le producteur-bénévole de radio, non, l'animateur de "N'oubliez pas les paroles" et a réussi à lui tirer les larmes. Un grand moment de TV, de radio-filmée. Les choix éditoriaux de cette émission appartiennent à sa productrice et/ou à la directrice de la chaîne/directrice des programmes, Laurence Bloch. Mais on se demande comment depuis un mois Devillers qui aime tant la presse n'a pas invité :

- Coco, dessinatrice qui entre à Libé et remplace Willem (de la même façon, rien sur le très médiatique gribouilleur de une du Monde qui a enfin pris sa retraite), 
- "L'heure du Monde", le nouveau podcast du quotidien (mais des fois que ce serait concurrentiel avec la matinale d'Inter ?),
- Bernard Friot pour son livre "Vaincre Macron" (trop politique ?),
- "Il y a 20 ans, "Loft story", un sujet qui doit pourtant passionner Devillers, 
- Tania de Montaigne qui fonde un club radical pour ceux qui ne sont pas puissants (aie ! ça heurterait peut-être la journaliste maison qui roucoule sur les "puissantes" ?),
- "La télévision du futur" par Bruno Patino, (alors là on comprend pas ?),
Culturebox : Radio France et l'INA s'associent à France TV (ben alors et l'auto-promo maison c'est fini ?)
- Le New York Times produit de courts documentaires depuis dix ans et se lance dans le long, avec «Time», l’un de ses premiers projets sur ce format,

Coco, photo François Nascimbeni/ AFP


Mais, ce qui en sept ans a changé, c'est le ton de Sonia Devillers. Si son enthousiasme communicatif ne s'est pas érodé, sa façon de sur-ponctuer chaque mot de ses phrases, d'appuyer ses affirmations au point de se demander si c'est elle l'invitée de l'émission, sa prise de parole de plus en plus importante au cours de ses dix-huit minutes, c'est aussi diminuer d'autant le temps de parole de ses invités. Cette scansion en hyperponctuation finit par devenir insupportable à l'écoute. Si l'on ajoute l'obligation de faire la passe à l'émission suivante, toutes ses fins d'émission sont brutales et donnent souvent l'impression de "rester sur sa faim" ou de vouloir nous faire passer à autre chose à tout crin. L'invité s'en accommode, l'auditeur a fini par s'y faire et la direction se contrefout de cette façon indélicate de bousculer l'auditeur.

L'"invention" de passer les plats que Schlesinger (ex n°2 de Gallet) a imposé ne rime plus à rien à l'heure des replays et autres podcasts disponibles H24. Vouloir forcer l'écoute et ne pas laisser à l'animatrice ou l'animateur d'une émission le temps nécessaire pour désannoncer (2) et calmement quitter l'antenne, montre le mépris absolu des dirigeants d'aujourd'hui pour le rythme et le tempo d'une émission. Chaque fin d'Instant M est survolté et m'incite immédiatement à ne pas écouter la promotion de l'émission suivante. Mais qui aujourd'hui se préoccupe de ça à part les vieux chevaux (sur le retour) ?

Qu'on donne 2' de plus à Devillers et qu'on les supprime au journal de 9h !!!!!! Et surtout que l'on repense l'éditorial d'une telle émission qui ne peut se satisfaire d'une formule passe-partout "L'Instant Média". Qu'on arrête de sur-vendre la TV ou a minima l'évoquer comme le faisait Marcel Jullian sur Inter, le lendemain de la diffusion pour revenir sur un documentaire, un débat ou une émission. Et que Devillers ose inviter Les Sons Fédérés pour brosser un tableau de la création indépendante audio, fasse un pas de côté dans la jungle médiatique en rencontrant Phaune-radio, reçoive Delphine Saltel pour sa série Vivons heureux avant la fin du monde, prenne le risque d'entendre parler de radio avec Anthony Gourraud ou de parler autrement de musique classique en causant avec David Christoffel.

Et puis une question de fond : Un journaliste publie une enquête sur un média et une autre journaliste Sonia Devillers l'interviewe sur son enquête et le média en question. Demain il y aura une émission Questions Médias qui interviewera Devillers pour évoquer les interviews médias. Avec un peu de chance on appellera ça du journalisme "média". Ça nous changera du "journalisme de l'intime" . Après le summum sera d'inventer le "journalisme média de l'intime".

À bon entendeur, salut !

P.S. : Une animatrice, un animateur incarne son émission. Si il/elle prend des congés celui ou celle qui la/le remplace, tout y mettant du sien, aura du mal à trouver sa place. Exceptée peut-être Dorothée Barba, les remplaçants-remplaçantes font "pâle figure". Nadia Daam n'a pas du tout été à la hauteur et a rendu pathétique sa roucoule avec Charlotte Pudlowski et Victoire Tuaillon jeudi 22 avril dernier !

(1) Sur 165 émissions au 26 avril 2021 : TV/80, Presse/32, Édition/16, Société/12, Autres médias/23, Interclass/1, Radio/1
(2) La désannonce quotidienne de ceux qui font l'émission avec Sonia Devillers est passée en hebdo le vendredi. Une entorse supplémentaire à la tradition radiophonique publique de nommer chaque jour ceux et celles qui ne sont pas au micro et sans qui il n'y aurait pas d'émission !

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