samedi 1 mars 2025

Marvin oh Marvin… et Yassine Bouzar

Je ne sais pas si vous avez repéré qu'une de mes passions tourne autour de la musique… Je crois que je n'ai aucune compétence pour en parler, par contre l'écouter et l'écouter encore, ça je sais faire. Ce matin 6h30 j'ouvre mes oreilles avec les Nuits de France Culture, je regarde quoi choisir, en flux ou en replay. Et quand je lis sur ma petite machine (genre transistor moderne) que Marvin (Gaye) s'est immiscé dans la prog, je clique. Je ferme les yeux pour être in ! Je me souviens bien en 2014 avoir entendu en live le documentaire de Yassine Bouzar, (1) et alors ? Je peux le réécouter pour attraper des choses qui m'auraient échappées. Et puis je suis ébahi devant les connaissances des intervenants choisis par Yassine. Waouhhhh ! Approfondir les choses à ce point est un régal pour les oreilles et pour le cœur, particulièrement quand on ne s'est pas vraiment remis du décès du chanteur (1er avril 1984) assassiné par son père la veille de son quarante-cinquième anniversaire. What's going on !

Lors du "Sexual healing tour" 1983, ©Getty











Je passe une merveilleuse heure matinale. Dehors c'est givre à tous les étages, froid frisquet et une aurore qui se pare d'orange. "Un jour viendra couleur d'orange" (Aragon). La sensibilité de Marvin, sa sensualité exacerbée, sa voix, ses rythmes et son swing ne sont pas très adaptés à la position couchée. Je me lève et sans en perdre une miette, je prépare le café et devine qu'il va falloir absolument que j'écrive pour remercier Yassine Bouzar d'avoir fait ça. Yassine, réalisateur à Radio France, discret et en phase avec les producteurs pour fluidifier au max la musique et les mots qui se présentent au micro. Je pense entre autres aux différents "Retour de plage" de Thierry Jousse sur France Musique.

Quand les réals passent à la prod. - Josette Colin, Gilles Davidas, … - ça donne souvent de bien jolies choses. Et, une fois les soixante et une minutes écoulées, je ne résiste pas à remettre le couvert pour écrire ce billet. Comme souvent je peux dire qu'avant ces réécoutes successives je ne savais rien ou si peu de choses de cet artiste si talentueux et pour autant si fragile. Je ne savais pas le chemin parcouru. Je savais des miettes (2). Même si je connais bien les chansons du "Prince de la soul". Qu'on peut réécouter et réécouter indéfiniment. La preuve, je crois que je vais passer tout mon samedi avec lui !











Réécoutez les enregistrements avec Tammi Terrell, ajoutez-y les souvenirs d'Arno, le chanteur belge, plongez dans l'encyclopédie de Sebastian Danchin et votre fin de semaine sera magnifique. La musique peut changer le monde ou tout au moins graver quelques instants de paix et de bonheur…  

(1) "Une vie, une œuvre", Marvin Gaye par Yassine Bouzar, France Culture, novembre 2014,
(2) Marving batteur sur "Dancing in the street" de Martha Reeves ans the Vandellas, je savais pas ;-)




vendredi 28 février 2025

Yann Paranthoën… vingt ans dans les nuages !

Il y a vingt ans, jour pour jour, disparaissait celui qui, Nagra en bandoulière, se nommait lui-même "tailleur de sons" par filiation avec son père tailleur de pierres de l'Île Grande (22).Yann Paranthoën (1935-2005) sera toute la nuit de samedi à dimanche sur France Culture, un programme proposé par Albane Penaranda, productrice des "Nuits". On va retrouver des choses connues et d'autres moins. On va surtout être immergé dans des univers soniques suffisamment singuliers, suffisamment sensibles pour y prêter, à la faveur de la nuit, une oreille attentive…

Les Roches-Douvres
Entre les îles de Bréhat
et Guernesey, dans la Manche.













D'entrée il faut saluer Claude Giovannetti qui, sans relâche, l'a accompagné dans de nombreuses réalisations sonores, même si le personnage cumulait les fonctions de producteur, réalisateur, opérateur du son, monteur et j'en passe quelques autres. La nuit s'ouvre avec "La matière sonore dans l'atelier de la sculptrice Irène Zack. "Dans cette brève rencontre radiophonique captée pour "Clair de nuit", à travers un montage de sons enregistrés par un magnétophone Nagra, la sculptrice de marbre Irène Zack et le sculpteur de sons Yann Paranthoën posent des mots sur leurs manières d'aborder la matière qu'ils travaillent. Couleur, toucher, sensualité… en conclusion c'est finalement au compositeur Christian Zanési de parler du "style Paranthoën". (1)

Puis on fera escale dans "Le phare des Roches-Douvres" (Prix Paul Gilson, 1998). Là, Paranthoën est à son affaire. Le vent, la mer, les gardiens (et leurs femmes aussi) et j'aurais pu ajouter le granit du bâtiment… Et je crois bien entendre Giovannetti qui en ouverture traduit par la parole les initiales R.D. (Roches-Douvres)en morse. Point trait point/Trait point point… Ce jour-là, tous les deux-cent-cinquante gardiens de phare en France sont en grève (contre l'automatisation). Alors quand comme moi, on habite tout près du Phare du Four (29) on n'a pas oublié la corne de brume nuit et jour pendant le conflit. Comme souvent chez Paranthoën une humanité sensible suinte entre les mots et les sons… Et puis les témoignages émouvant des femmes de gardien (Pascale, Christianne, Françoise) qui, toute en délicatesse, disent leur vie et leurs responsabilités et quand leurs hommes ne sont pas là, leur attention soutenue à leur égard. 

On retrouve Yann chez Eliane Contini pour une "Mise au point". Et puis, grand compagnon des chasseurs de son, le Nagra, donnera à Paranthoën l'occasion d'un long documentaire "On Nagra" avec, entre autres, le témoignage de Stefan Kudelski, l'inventeur du magnétophone. En 2013, j'avais chroniqué ce doc. Puis, on se promènera le long des voies de chemin de fer entre la gare d'Austerlitz et la gare RER d'Yvry-sur-Seine, "Z comme Zéphir".

Stefan Kudelski

Et un double coup d'émotion avec la rediffusion de "La mémoire en chantant" de Yann, l'émission du samedi matin sur France Culture de François Régis Barbry. Sur les deux taiseux il y en a bien un qui a fini par parler et Patachou par… chanter ! Et pour un final en apothéose le Paris-Roubaix 1981, qui vit la victoire de Bernard Hinault et le jour même la naissance de son fils Alexandre. Un ACR (Atelier de Création Radiophonique) comme un hommage à la petite reine et sans doute au… "petit roi de la bicyclette".

Quelle nuit, mais quelle nuit ! Il y avait bien trop longtemps que Paranthoën avait déserté les ondes de la nuit (ou du jour) pour les rediffusions de son travail. Et ce qu'il est agréable de lire sur la page de l'émission : "Une Nuit d'hommage à Yann Paranthoën qui aura son prolongement dans la programmation des Nuits des semaines et des mois à venir où seront proposées plusieurs de ses productions." Alors là ça fait vraiment plaisir. Merci à Albane Penaranda de remettre sur le métier le fabuleux travail de "l'inseigneur du son" et de sa compagne Claude Giovannetti.

© AFP








(1) Sur la page de la Nuit Paranthoën,

jeudi 27 février 2025

Loire… mettre les voiles !

De l'absolue nécessité de sortir de la nasse informationnelle, des docs de société et autres logorrhées politiques, il est un choix simple : filer en Loire, prendre sa part de vivant et de sauvage et écouter celles et ceux qui la vivent au quotidien. On pourrait presque dire au corps à corps pour ne pas dire au corps à cœur…  










Deux compagnes de Loire, Romane Piquart, navigatrice et Marion Clément, voilière et deux compagnons Patrick Lefèvre, navigateur et le géomorphologue Bruno Comental nous plongent dans une réalité fluviale, à l'écart du bruit, des fureurs du monde et des sentiers bien balisés. À l'écoute de l'émission de la RTBF, "Par ouï-dire" dans un documentaire (1) d'Aurélien Frances. On est vite captivé, car ce sont les témoignages directs des actrices et des acteurs de leur quotidien sur la Loire qui s'expriment (sans l'interférence d'une productrice ou d'un producteur). Les passions de chacune et de chacun, "Je suis au service du vent" dit Marion, s'écoutent avec leurs engagements solides, leurs convictions profondes et leur goût du partage. On met les voiles (carrées) et on se laisse porter par ce qui fait leur vie et nous permet de rompre quelques instants avec la notre.

Les passionnés de Loire pourront toujours y revenir en écoutant le doc de Sophie Berger, Loire, (Prix Découvertes Pierre Schaeffer / Phonurgia Nova Awards 2013) qui date de 2011 et que j'avais chroniqué ici !

Et puis, de la Loire aux Marais salants de Batz et de Guérande il n'y a que quelques "tonnes" d'alluvions. Cette fois-ci ce sont Mathilde Doiezie et Nathalie Le Gallou-Ong qui, à la suite du précédent documentaire, nous ouvrent la visite pour "Le sel, les oiseaux et la terre" (1). François Desmars, paludier rappelle que le marais, sur 2000 ha, produit 250gr de sel par litre d'eau. L'or blanc, celui de ma pincée de fleur (de sel) que chaque matin j'ajoute à mon oeuf à la coque. Et Gildas Buron, directeur du musée du Marais salant de Batz (2) d'ajouter son grain de sel pour préciser les conditions géologiques qui ont favorisé la création des marais salants, comme aussi le travail des paludiers en hydraulique salicole. "Fait de mains d'hommes centimètres par centimètres" dit Gildas Buron.

Dominique Demars, ©Bruno Saussier








Tendez l'oreille vous entendrez le bruit de l'eau et devinerez peut-être le geste auguste du paludier qui pousse, ramène et hisse sur le dur, le sel avec le las (prononcer lasse), muni d'un long manche flexible (en carbone). Si vous avez la chance de connaître le marais salant et de le visualiser, les explications sont limpides et précises. Ça donne envie dans quelques mois d'y retourner et de se remettre un peu de fleur de sel sur la langue.

(1) Production "Silence podcast". Tiens, tiens, il y aurait donc de la co-prod' à la RTBF ?
(2) Pour nous Bretons le "sur mer" est une invention touristique et administrative française quand le village s'appelait "Bourg de Batz",

mardi 25 février 2025

Archives radiophoniques : les Nuits de France Culture… à Longueur d'Ondes !

Tout arrive ! Et le 1er février 2025, au Festival Longueur d'Ondes (Brest), Albane Penaranda (Productrice des Nuits de France Culture), Christelle Rousseau et Arnaud Touveron (Ina) fêtaient les 40 ans des Nuits de France Culture, initiées par Jean-Marie Borzeix (Directeur, 1984-1997) et dont le premier producteur fut Jacques Fayet (1). En 2024, l'Ina a livré mille intégrales pour les Nuits et Arnaud Touveron de rappeler que l'Institut en 1999 a lancé un plan de sauvegarde des archives radiophoniques de la radio publique. Et Rousseau d'insister sur le million d'heures de programmes radio dans les bases de données de l'Ina. À France Culture, les archives représentent vingt-mille contenus.

Restauration à l'Ina, d'un disque 78 tours craquelé


















L'entretien de ces trois acteurs du patrimoine radiophonique nous aura permis d'entendre (ô joie !) une courte archive de 1965 avec Jean Giono (reconnaissable dès ses premiers mots) et ses conversations avec Jean Carrière. C'est la première archive conservée des Nuits (29 janvier 1985). Albane Penaranda rappelle les belles heures des "Nuits rêvées" (nuits du samedi au dimanche) initiées par Olivier Poivre-d'Arvor en 2011 et qui s'achèveront fin 2021. "C'était un temps de confidences et un temps de paroles très long" précise Albane.

Christelle Rousseau explique comment depuis des années (et plus particulièrement depuis 1975) l'Ina entretient des liens ténus avec Radio France avec les documentaristes, productrices et producteurs et les documentalistes. Albane, suite à une archive de Pierre Dac, où l'on a un peu de mal à croire qu'il ne s'agit pas d'un "sketche", précise la nécessité d'accompagner et de contextualiser les archives diffusées. Ce qui rend lesdites archives mises en lumière tout à fait pertinentes et utiles à l'histoire.

Vous retrouverez bientôt ces échanges sur le site de Longueur d'Ondes. En attendant (ré)écoutez la nuit autour du patrimoine radiophonique concoctée par Albane Penaranda en 2018.

(1) Puis Geneviève Ladouès, Philippe Garbit et Albane Penaranda depuis 2013. Cette dernière arrivée aux Nuits quand des productrices y officiaient Geneviève Hutin et Christine Goémé "les bonnes fées de la radio". Aujourd'hui deux producteurs délégués Antoine Dhulster et Mathias Le Gargasson et comme réalisateurs, Vincent Abouchar, Emily Vallat et Massimo Bellini. Ainsi qu'Hassane M'Béchour, responsable de la conduite d'antenne.

Ce billet a été rédigé sans avoir recours à l'I.A.

lundi 24 février 2025

France Culture : imaginaires paysans…

Allons-y toutatrac, "on" a beau ne pas être paysan, "on" est de la campagne (même en bord de mer)… Et l'imaginaire paysan de cette nuit spéciale conçue par Antoine Dhulster, producteur à France Culture, nous fait grand bien, des fois qu'on s'engluerait dans le rata que nous font ingurgiter les médias, particulièrement en période de "Salon de l'agriculture". Et qu'on oublierait la lente évolution de l'histoire paysanne… "depuis la nuit des temps". Attention ici pas de nostalg', juste un regard et une écoute sur le temps long de la paysannerie. Le temps encore plus long que le premier documentaire diffusé en avril 1981 (et enregistré en septembre 1979), soit presque (déjà) un demi-siècle…

Le poète et écrivain, Henri Pourrat dans sa maison à Ambert
dans le Puy-de-Dôme, en 1945. ©Getty. Jean-Gabriel Serruzier
Gamma-Rapho via Getty images 



















Dans le troisième épisode, "en 1970, l'écrivain paysan Jean Robinet donne la parole aux paysans dans un monde en pleine mutation. Il dresse le portrait d’une ruralité inquiète, ballotée par des politiques agricoles contradictoires alors que le monde agricole évolue et qu'il ne parvient pas à faire entendre sa voix.". De l'histoire vivante et mémorielle. Et puis comment faire l'impasse sur Georges Duby, l'historien de la ruralité ? Là, "il se penche plus particulièrement sur les rapports entre paysannerie et pouvoir politique, depuis l’époque gallo-romaine, en examinant la longue transition entre esclavage et servage et ses conséquences." En 1976, "Les après-midi de France Culture", animés par des producteurs tournant, ici le vendredi par Pierre Descargues (1), creusent des sujets souvent au carrefour de plusieurs disciplines des sciences sociales.

Allez on file dans "Le pays d'ici" en 1987, à Ambert (Puy-de-Dôme) qui réalise une série d’émissions autour de l’Auvergne d’Henri Pourrat à l’occasion des cent ans de la naissance de l’écrivain. Où l'on entendra des choses très intéressantes sur le patois auvergnat. Puis d'un saut, nous voilà avec Per-Jakez Hélias, breton du Pays Bigouden (Sud Finistère) où, en quarante minutes avec Pierre Sipriot ("Un livre, des voix"), producteur et Jean Markale écrivain, sera évoqué son "Cheval d'orgueil". Il nous va bien de retenir l'exergue de l'émission "La fête folklorique est le seul théâtre du peuple". Dans le septième épisode (2), "Jean-Louis Quéreillahc, auteur de Rouge est ma terre, présente une autre image du monde paysan à l'ère de l'industrialisation du travail agricole et de l'endettement des paysans. Il prend justement la plume pour défendre les conditions de vie des agriculteurs et il s'engage dans la vie publique pour préserver la vie collective dans les campagnes".

En 1997, Emmanuel Laurentin, dans "L'histoire en direct" évoque le Larzac et la mobilisation paysanne et citoyenne de 1971 à 1981 contre l'extension du camp militaire. Puis en septembre 2009, Alain Veinstein dans "Du jour au lendemain", reçoit Marie-Hélène Lafon nous dit "J’écris des livres comme on travaille la terre. La langue c’est du terreau, c’est du matériau verbal.”. Originaire du Cantal, Marie-Hélène Lafon "trouve son inspiration dans cet univers. Dans son vide, dans sa beauté, dans ses silences. Le Cantal, "on ne peut pas y échapper", affirme-t-elle."

Un large panorama de témoignages pour une belle nuit paysanne.

Marie-Hélène Lafon












(1) Descargues qui, deux ans avant le "Téléphone sonne" sur France Inter (1978), invente l'interactivité avec l'auditeur au téléphone (au 520 05 50 et 525 78 06), un petit quart d'heure avant la fin de l'émission,
(2) Le choix des musiques, trop décalé et trop présent (et pourquoi des paroles en anglais ?), sature beaucoup les propos du maire-écrivain Quéreillhac,

Ce billet a été rédigé sans avoir recours à l'I.A.

vendredi 21 février 2025

Radio France, 2015-2025 : dix ans de sape méthodique…

La très grande force des managères (de moins de cinquante ans) est de trouver les subterfuges pour, à Radio France, faire passer la pilule du dégraissage, de la diminution des moyens et tenter des économies de bout de chandelle… Pour casser méthodiquement la chaîne de production (ici la production radiophonique) et de continuer à empiler sans relâche armée mexicaine de cadres sur armée mexicaine de cadres. Le public, lui, voit et entend ce qui sort de la vitrine (et ça lui suffit). La vitrine ? La belle et imposante Maison de la radio. Un grand magasin somptueux. Aux étages, dans les couloirs, les bureaux de ce grand magasin on serre fermement la vis, on réduit les équipes de réalisation, on invente de nouveaux métiers comme les shampoings deux en un (opérateur de son + réalisateur), on coupe de façon drastique dans les heures de programme et on rediffuse à tout va le jour-même. On détemporalise au maximum de façon à ce qu'à 4 heures du matin on imagine écouter un programme "de nuit" quand c'est une rediff' de l'après-midi. En dix ans les grandes manœuvres de la casse du service public radiophonique sont en boucle. Au risque de désespérer Billancourt, le personnel et un jour ou l'autre les auditeurs !
















Une vitrine pour le gouvernement et autres politiques
Les politiques de tous bords savent qu'ils ont table ouverte dans les matinales de la radio publique (et surtout sur France Inter). Ils ont trouvé, là, la meilleure chambre d'écho et conclu le deal du siècle. La radio y fait ses meilleures audiences, elle participe à la propagande et à la com' politique, en retour, les politiques (pas tous et pas le Rassemblement national) ont tout intérêt à ce que le service public radio continue d'exister ad vitam aeternam

Qui peut supporter chaque matin, ad nauseam, les propos rabâchés, les éléments de langage, les punchlines à deux balles en boucle. Ces matinales enrobées avec une p'tite chronique musique, un humoriste, un éditorial superfétatoire, une chronique éco tendance et un tambour-major qui enfile le tout comme d'autres enfilent les perles. Deux heures anxiogènes tous les matins du lundi au dimanche. Mais grâce à ça la radio et Radio france peuvent plastronner, France Inter est la première radio de France !

Une vitrine pour les auditeurs
Auditrices et auditeurs de la radio publique ont les yeux - et les oreilles surtout - de Chimène. Ils se prosternent devant les podcasts de Philippe Collin, les roucoulades de Léa Salamé, les Odyssées de Laure Grandbesançon, les postures de Guillaume Erner et sont pliés de rire à l'écoute des humoristes  (les drôles, comme les pas drôles du tout, voir les pathétiques chroniques). Tout ça ça fait du chiffre et c'est bon pour l'image de marque de Radio France. C'est bon pour calmer les assauts de la Cour des Comptes. C'est presque bon pour que Bercy ne taille pas encore plus dans le budget de Radio France. Cette mécanique du chiffre, imparable et perverse, en dit long de l'évolution de ce service public, contraint et forcé aux résultats "à tout prix", au prix même de privilégier la forme sur le fond !

Maison de la radio : en construction ou en démolition ?















Dans l'arrière boutique c'est une autre chanson
Son chef de rayon, Laurent Frisch (Directeur du numérique et de la stratégie de l'innovation) s'applique méthodiquement et scrupuleusement depuis dix ans à faire muter la radio en audio avec un hochet en or massif : le podcast. Meilleur faux-nez pour faire croire à la poursuite de la création radiophonique tout en, pour la radio de flux, : 
  • cassant la chaîne de fabrication (producteur, réalisateur, opérateur du son), 
  • clonant des moutons à cinq pattes (le technicien du son mutant petit à petit en Technicien Chargé de Réalisation -TCR), 
  • imposant aux animatrices de Fip de se mettre en ondes elle-mêmes (plus personne en régie très prochainement), 
  • bridant la créativité des équipes en région pour l'élaboration de podcasts ("Partir") sur le thème du tourisme et du patrimoine local,
  • suggérant des voix générées par une IA dans la future collection de podcasts "Partir", 

Un management "subtil"
Finies les années 90 et les brutalités assumées donnant lieu à des suicides. Les nouveaux managères (de moins de cinquante ans) s'emploient à faire passer la pilule des contraintes budgétaires suggérées par la Cour des Comptes et imposées par Bercy. Avec une méthode éprouvée et radicale : de la com', de la com' et de la com'. En 2015, pour ces nouveaux prophètes, la radio a vécu, il est temps de passer à autre chose. De plus agile (dixit Mathieu Gallet, Pdg de Radio France 2014-2018), de plus numérique, de plus audio (Sibyle Veil, Pédégère depuis 2018). En clair casser "la forteresse radiophonique" (1) et diminuer drastiquement la masse salariale.

Ces nouveaux héros de la révolution (numérique) vont donc redoubler de zèle s'employant à créer un nouveau modèle audio sur les "ruines" de la radio. Du passé faisons table rase. Tout est bon pour, de façon sournoise et tragique, arriver à leurs fins. Depuis dix ans la mécanique redoutable tourne à plein régime et le personnel est invité lui aussi à muter en rejoignant les équipes du numérique. Bienvenue dans la jungle ! Tout pour le numérique rien que pour le numérique. Quelques petits rigolos et autres rigolotes se haussent du col en parlant de digital (2).












Création radiophonique vs IA
Jacques Santamaria, ancien Directeur de France Inter (1996-1999) et créateur des Ateliers de Création Radiophoniques Décentralisés (3) au milieu des années 80, rattachés aux locales de Radio France, qui ont produit des centaines de documentaires, pourrait tomber de l'armoire en apprenant que la Direction du Numérique (à Paris, forcément à Paris) pourrait "adjoindre des voix générées par une IA dans la future collection de podcasts "Partir". L'idée serait d'utiliser un robot pour compléter les propos de l’animateur afin de guider l’auditeur" (4). C'est un début et une triste fin pour l'intelligence humaine. C'est un test grandeur nature. Ce sera à qui le tour  après cet essai ?

Des auditrices et des auditeurs pour quoi faire ?
Pour auditer ! Se distraire, s'informer, se cultiver. Mais comment ne pas voir (ou entendre) ce qui se joue autour, se qui se joue derrière l'écran de fumée de la diffusion. Peut-on, doit-on juste être des consommateurs sonores ? Ne doit-on pas s'interroger de pratiques qui, tôt ou tard, en auront fini avec la fabrique de la radio, les équipes de réalisation ou quand il n'y aura plus personne derrière la vitre pour être accompagné-e et soutenu-e au micro ?

Kriss : “La réalisatrice [Michèle Bedos, ndlr] me regarde, elle a tout entre les mains, si elle se trompe, l'émission bégaie (...) Jusque là on a tout prévu ensemble. Maintenant, on joue chacune d'un côté de la vitre. Question de confiance.” (in "La sagesse d'une femme de radio", Jean-Claude Béhar Éditions, 2006)

Ajout du 25 février 2025
La conclusion du communiqué du SNJ Radio France sur l'IA : "La vérification, la rigueur dans l’analyse des informations, la mise en forme, la transmission à un public d’humains… doit rester une affaire d’humains, de femmes et d’hommes, pas de machines."

À suivre…

« L’un des services essentiels » : près de 2 000 élus cosignent une tribune sur l’audiovisuel public… 

(1) Comme il y a eu "La forteresse ouvrière" à la régie Renault, année 60 à 80,
(2) Comme le roi du "soft-power" à Radio France, Frédéric Martel,
(3) Aujourd'hui appelés "Studios de création", ils sont au nombre de 4 dans les régions, Grand Ouest, Grand Est, Sud-Ouest et
(4) Motion ICI, février 2025,

Ce billet a été rédigé sans avoir recours à l'I.A.

lundi 17 février 2025

Comment cuisiner ses racines : Renée Elkaim-Bollinger (De bouche à oreille)…

"Cuisiner ses racines c'est savourer une langue inconnue" voilà comment Renée Elkaim-Bollinger introduit (il y a dix-huit ans déjà) cet épisode "De bouche à oreille" (quel titre !)… Deuxième et dernière émission d'une série sur la recherche de ses racines à travers la cuisine, que "Les nuits de France Culture", produites par Albane Penaranda, nous a donné à réécouter le 11 février dernier. Quel régal ! Quelles saveurs que Viviane Chocas nous donne à goûter (1). Sur le bout de la langue comme sur le bout du… hongrois.

Galouchka










Alors, en pleine nuit, on se croirait à midi les dimanches d'autrefois. C'est la magie des "Nuits de France Culture" qui jouent en permanence avec notre mémoire et nous trimballent du passé au présent et retour. Retrouver Renée Elkaïm-Bollinger c'est se rappeler tous ces dimanches où avant de passer à table nous écoutions religieusement cette jolie demie-heure dédiée au palais. Une demie-heure ronde et joyeuse. Où l'on y entre et où sans avoir encore rien avalé on se lèche déjà les babines.

Viviane Chocas joue avec la musique de la langue et ses "voyelles-paprika" comme ses consonnes "galouchka". Mais aussi qu'y a-t-il dans la langue, que cache-t-elle Avec ses accents graves au goût de noix, ou ses accents aigus à l'amertume du concombre ? Cette "fée" Viviane de sa belle voix nous transporte en cuisine et on se demande si on ne préfère pas l'écouter plutôt que de goûter, tant elle tourne si bien sa langue dans sa bouche. Sa langue française comme, fille d'émigrés hongrois, la hongroise qu'elle a apprise.

"Ça me prend en ventre, je mange rouge et, au-dessus du pubis, je sens mes veines, ma peau, mes muscles qui se resserrent en bourse. Mon vagin palpite, quelque chose se creuse, je mange rouge et je ne peux empêcher mes paupières de se fermer sur ces bouchées pesantes, quand les graisses s’étiolent en quelques tours de langue pour laisser ronronner la saveurs, du fruit, de la farine et du saindoux. Je mange rouge et ce sont les syllabes, les mots que je broie, je les tords, je les masse, je les mâche et je les macère, je les étouffe et je les libère, je mange rouge et je n’ai plus à parler à guetter les signes et les vocables, leur transparence. Je mange rouge et je ne suis plus qu’une langue orange, rappeuse, une langue fine, déliée, amoureuse, une langue chantante et doucereuse, une langue vivante et déjà tout mon palais se couvre de poudre rouge." (1)

(1) Quelques extraits de son livre "Bazar Magyar" (éd. Héloïse d' Ormesson, 2006) sont lus au cours de l'émission,

Ce billet a été rédigé sans avoir recours à l'I.A.