lundi 16 décembre 2013

Auditeurs sachant auditer…et + si affinités







Il existe au moins trois catégories d'auditeurs qui, quelquefois, se mélangent entre elles. L'auditeur qui entend. L'auditeur qui écoute. Et l'auditeur qui écoute et critique. C'est bien ça que veut nous suggérer Philippe Meyer dans sa chronique matutinale sur France Culture, non ? Il faudra bien que les directeurs, journalistes et autres producteurs s'y fassent, nous sommes quelques-unes et quelques uns à avoir "quelque chose entre les oreilles" et, dans la tête, pour prétendre ne pas avaler tout et n'importe quoi et surtout faire comme si de rien n'était. France Culture est sans doute, depuis sa création en 1963, la chaîne du documentaire. Je ne me livrerai pas ici à des statistiques (1) mais "tout le monde" se souviendra qu'à l'arrivée de Laure Adler comme directrice de la chaîne en 1999, le documentaire s'est vu réduit à sa portion congrue.

Quelques dix ans plus tard, Jean-Marc Four évincé de la grille de France Inter (2), intègre la rédaction de France Culture en tant que directeur-adjoint de la rédaction (3). Ce dernier, péremptoire, ne sera pas long à annoncer, avec tambour et trompette, "qu'il faut rapprocher les programmes de l'information" (4). Avec quelle légitimité un journaliste peut-il faire de telles annonces ? Comment Jean-Marc Four réagirait-il si un producteur venait annoncer que "dorénavant les journaux de la chaîne ne dureront pas plus de cinq minutes" ! Voilà bien de quoi mesurer l'impérialisme d'une position et/ou l'abus de pouvoir qu'un individu peut faire de son statut. Les producteurs n'auraient aucune légitimité à s'immiscer dans les choses de l'information quand un journaliste, "de droit divin", pourrait à sa guise influencer la ligne éditoriale des émissions dites de "programme". Monsieur Four a une qualité, il ne fait pas de bruit, ne se répand pas dans les médias, et quand il n'est pas à l'antenne ne se met jamais en avant. Mais force est de reconnaître qu'il sait très discrètement arriver à ses fins.


 


Janvier 2013, on découvre sur la grille de France Culture un nouvel intitulé de programme à 17h "Le 5 à 7" (5). Une session coordonnée et animée par Hervé Gardette, journaliste de la chaîne. Exit "Sur les docks" ? Mais non, l'émission documentaire est intégrée dans ce programme. Pourquoi ? Quel objectif ? Ce mariage forcé "de la carpe et du lapin", (lire une émission de documentaire et une émission d'actualités), ressemble fort au credo d'un Four qui frappe là un grand coup pour encadrer le documentaire, au sens propre comme au sens figuré, même si Irène Omélianenko reste responsable du documentaire sur la chaîne. Avec quelques professionnels de la profession de l'audition (6) nous pressentions bien qu'un jour, "actualité oblige", il serait demandé à Irène Omélianenko de laisser la place de "Sur les docks" à une émission spéciale, un hommage d'actualité, ou une série sur les élections…

C'est ce qui arrivé jeudi dernier à Reims ou le "5 à 7" est devenu "5 à 8", comme une préfiguration au grand rêve de Four de proposer une longue session d'avant soirée mêlant actualité et programme. Mais le plus invraisemblable dans cette session de Reims c'est que la plage "documentaire" est devenue "tentative de direct documentaire" et a laissé sans voix quelques auditeurs (et moi-même) amoureux du documentaire au point d'être incapables d'accepter son remplacement par tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité (7). Le principe d'un mix de direct et de documentaire pouvait être tenté (8), encore eût-il fallu que les animatrices, se croyant sans doute à la TV, n'aient la mauvaise idée de faire hurler le public pour nous faire entendre qu'il était bien là, et en oublient absolument pour leur "prestation" les codes du documentaire. Heureusement depuis des années il y a eu, sur France Culture, de très bonnes émissions dans les cafés pour lesquelles le public n'a jamais eu besoin de manifester grossièrement sa présence (9).


 



Attention danger, documentaire en danger. Cette façon insidieuse de profiter d'événements médiatiques d'actualité pour "rapprocher les programmes de l'info" est dénonçable et à dénoncer vigoureusement. Une fois encore, c'est quoi ce droit divin d'un Jean-marc Four d'imposer sa "philosophie" des programmes radio ? Est-il mandaté pour cela et par qui ? Cela fait-il partie de ses attributions ? Si l'info le démange tant qu'il aille donc exercer ses talents à France Info. Espérons que les prochaines nominations du Pdg et des directeurs de chaînes (10) remettront les pendules à l'heure et que "chacun à sa place, et les ondes seront bien gardées".

Une dernière chose, pour les 50 ans de France Inter, Alexandre Heraud a animé une émission qui retraçait l'histoire du documentaire et des documentaristes sur la chaîne. Le lendemain Alain le Gouguec, journaliste, présentait lui l'histoire du reportage et des reporters. N'en déplaise à Jean-Marc Four ce n'est pas d'un claquement de doigt qu'on abolira les frontières des programmes et de l'info (11) et certainement pas de la façon hégémonique dont il voudrait voir ce rapprochement mis en œuvre.


A. Joubert,  M. Guérin, A.Orr

 
(1) Marion Thiba rappelle ces chiffres éloquents "en 1995 : 23 heures par semaine de documentaire, en 2000 : 4 heures". Et en 2011/2012 : 12h30 (source FC),
(2) Il y animait "Et pourtant elle tourne" une émission que Philippe Val le directeur d'Inter ne reconduira pas,
(3) On mesurera ici la très grosse distorsion entre un producteur remercié et un journaliste qui peut intégrer une autre chaîne du groupe Radio France,
(4) Choix éditorial confirmé à la Conférence de presse de Radio France, 28 août 2013

(5) On notera l'impertinence d'un tel titre ,
(6) Mes petits camarades blogueurs et quelques auditeurs avertis,
(7) Dans le cadre des prochaines municipales de mars 2014, "Sur les docks" s'est insèré à Reims et le sera prochainement au Havre,
(8) Ce que fît le Pays d'Ici de 1982 à 1999, pendant une heure du mardi au vendredi, dans tous les pays de France (et d'Outre mer),
(9) Avec Jean Lebrun, producteur "historique" de la chaîne, au Cluny, Au bouillon Racine et à El Sur,
(10) Pour lesquelles on souhaite la plus grande parité,

(11) Dans Le Monde, daté dimanche-lundi, Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Média Monde dit : "France 24 doit devenir la chaîne référente dans l'" infobésité " qui règne aujourd'hui." On sait d'expérience que les maladies de la TV sont contagieuses à la radio, attention donc à cette "infobésité" qui guetterait France Culture…


RADIO FRANCE Rentrée 2013. 2014 par radiofrance

1 commentaire:

  1. Je partage ta saine colère, Fanch, et surtout ton inquiètude de voir rétrécir comme peau de chagrin ces temps longs qui sont, non seulement nécessaires au déploiement du documentaire, mais aussi et surtout à notre propre réflexion d'auditeurs, et à notre compréhension du monde...
    La légitimité de France Culture se trouve en effet là...dans le ralentissement du temps, et dans la promotion d'une pensée multiformes (et parfois dérangeante) qui peut se déployer sans contrainte dans la durée, illustrée par les différentes facettes et points de vue des réalisateurs et documentaristes...
    Ce n'est en aucun cas, en mettant le cirque médiatique en avant, et en modélisant le bavardage à tout crin (comme tente de le faire le France Inter de Philippe Val) que cet objectif pourra être atteint...Il est sans doute urgent de redescendre, "les pieds sur terre".....

    Guillaume Hamon

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