lundi 18 novembre 2019

Reformer la radio et la TV d'État… L'esprit et la lettre (du projet stratégique de Radio France)

D'emblée je vous fait remarquer que ne travaillant pas dans une boite de com hip' j'ai volontairement omis de mettre un accent sur le "e" de reformer, quand la boîte de com' qui a fait la dernière campagne d'Europe 1 incite les consommateurs à "Eucouter" cette radio-là, refusant par idéologie de camembert d'accentuer une majuscule… Tristesse absolue ! En ce qui me concerne je vais évoquer la reformation d'un audiovisuel d'État quand dès 1981 quelques socialistes non convertis au libéralisme s'étaient employés à "casser le monopole" ! O tempora, o mores… (Attention exceptionnel long billet)




Ce qui préside (c'est le cas de le dire) à la future loi audiovisuelle ce ne sont ni les convictions absolues d'un président jupitérien, pas plus que celles d'un ministre idéologue (1). Si l'on avait demandé à Macron, quelques jours avant son élection (mai 2017), ce qu'il écoutait à la radio il aurait sans doute bafouillé quelque chose ayant à voir avec l'émission "patrimoniale" du dimanche soir de France Inter, peut-être un couplet nostalgique sur Pierre Bellemare ou, d'évidence "France Info"… De quoi immédiatement constater qu'il ne connaît rien à la radio, à son histoire et à sa fabrique !

Pendant sa campagne son conseiller "Culture et Médias", Sébastien Veil (2), lui a peut-être suggéré de donner un grand coup de pied dans la fourmilière de l'audiovisuel public, source d'économies potentielles et de contrôle éditorial serré. Deux leitmotiv pour le libéral Macron qui est convaincu par le marché et désespéré des notions même de service public !

Le plus surprenant avant l'élaboration de cette loi (2018-2019), son vote (2020), son application (2021) c'est le zèle mirobolant des deux Pédègères de France télévisions et de Radio France. L'une décrète la fin de France 4 et de France Ô, l'autre s'engouffre dans le rapprochement de France Bleu et de France 3 (3). Mieux que de bons petits soldats aux ordres…


Le nouveau chic radio














L'esprit et la lettre
À l'esprit et à la lettre de cette loi je m'attacherai d'abord à l'esprit qui anime le projet stratégique de Radio France défendu par Sibyle Veil. "Petit" poisson-pilote de la future loi de destruction massive de l'audiovisuel public.

Veil, qui n'a aucune culture radio, établit très inspirée, en moins d'un an depuis sa désignation par le CSA, un "Projet stratégique 2019-2022" (élaboré sans doute par l'armée mexicaine de cadres sise à Radio France) dont le leit-motiv principal est la réduction drastique des effectifs par la baguette magique des "départs (in)volontaires" et une orientation technique et éditoriale vers le numérique-roi. Inspiré par qui ce projet stratégique ? Quelques fonctionnaires aussi zélés de Bercy (Finances) et de la rue de Valois (Culture) et par ceux-là mêmes qui sont absolument convaincus que la radio a vécu et que pour rester tendance, il faut changer les techniques, changer le vocabulaire (et la grammaire) et désacraliser les mots sacrés, ringardiser celui de radio pour mettre sur le temple celui d'audio qui va stimuler la jeunesse, les youtubeurs, les podcasteurs et autres numériqueurs de tout poil !


Claude Villers
















Avant la radio c'était "simple". Trop simple ! Une anecdote : en août 1973, Claude Villers, animateur de radio à France Inter, coule des jours heureux de vacances en Normandie. Isolé du monde, quand le boucher du village au cours de sa tournée campagnarde l'informe qu'il doit rappeler d'urgence l'ORTF à Paris (et le directeur de France Inter, Pierre Wiehn). Wiehn compte sur lui pour une émission de rentrée. Adieu vacances, bons repas sous les pommiers et flâneries intellectuelles, Claude fait ses valises et pendant trois semaines peaufinera la première de "Pas de panique" sa nouvelle émission (20h-22h) co-produite avec Patrice Blanc-Francard et réalisée par Olivier Nanteau.

Simple : une idée, une écriture, des bouts d'essais, une ligne éditoriale, des inserts (reportages, interviews), des disques, un studio, une équipe de réalisation (ingé-son, techniciens, réal,…), un conducteur (déroulé minuté des deux heures d'émission) et "roulez jeunesse". Sur ces bases la radio publique a créé et développé des savoirs-faire, un art radiophonique, une mémoire collective et une image de marque assez exceptionnelle. Mais ça c'était avant ! C'est fini. Il faut tout changer pour que tout change.

Un monarque, un idéologue, des petits soldats zélés, des opportunistes de carrière ont décidé, sans jamais entonner l'Internationale, de faire "table rase du passé", d'invoquer la modernité luxuriante, de détourner vers le numérique toutes les ressources attribuées à la radio publique et, pour montrer leur ultra bonne volonté au gouvernement, de dégraisser le mammouth des scories d'un autre âge.

Dans ce plan, qui casse volontairement l'humain et l'humanité d'une radio proche des Français l'auditeur est sous informé ! Aucune émission de France Inter (L'Instant M, La marche de l'histoire, La matinale), de France Culture (La matinale, Le temps du débat, La grande table) ou de France Info tenteront d'expliquer aux auditeurs qu'il faut changer la donne, pourquoi et comment ? Cet auditeur pourra toujours écouter ses émissions favorites, les podcaster, les programmer dans une plateforme inédite (qui se fait attendre malgré les annonces tonitruantes de Sibyle Veil) et bénéficier de plein de "services associés", vidéos, podcasts natifs, etc etc.


Laurent Frisch 

















L'auditeur ne revendiquera pas dans la rue et ceux que la mue du service public affecte au premier chef, ses salariés se sentiront, de fait, bien seuls, trouvant ces auditeurs-là bien ingrats quand pendant des années ils leur ont fabriqué une radio qui a pu atteindre des chiffres d'audience spectaculaires ! (4). Pour tous ceux qui ne sont pas au micro et dont on veut bouleverser les métiers (ingé-sons, réalisateurs, collaborateurs spécialisés) la fin est cruelle. Du simple on fuit vers le complexe et du complexe vers l'usine à gaz. Une idée, une écriture, une réalisation audio, une diffusion antenne c'est fini ! Il faut tout un attirail d'images fixes, de vidéos, de nouveaux formats qui imposent la complexité, la lourdeur de projets, la lourdeur des circuits de décision et l'imprimatur absolue du numérique. Lire : l'imprimatur du vice-roi de Radio-France, Laurent Frisch, directeur du Numérique et de la… Production (précédent poste à France Télévisions).

Ces façons sourdes et insidieuses de dénaturer l'esprit de la radio, inaugurées par Gallet, ignare absolu de la chose radiophonique qui, si on l'avait laissé faire aurait fait de la Maison de la radio un lieu d'happening permanent : pour les créateurs de mode, les parades des assemblées générales des sociétés du CAC 40, des spectacles-événements pour happy-few et soirées de galas pour délégations étrangères de passage par Paris ! Tout ça sur le dos de la radio ! Sans scrupule et sans hésitation. Exit la radio qu'on vous dit !

Veil qui pour exister doit bien s'accrocher à un mantra tendance, a décidé qu'à radio il fallait substituer audio et qu'avec ce mot magique Radio France allait pouvoir ratisser large ; la co-production (de podcasts d'ores et déjà) et d'émissions après-demain, un studio ouvert aux prestations de services audio et revers de la médaille, cette audio-là sera très vite noyé dans l'eau du bain visuel programmé pour le grand soir de la holding "France Médias".

 Jean-Paul Sartrele 21 octobre 1970,
devant les usines Renault à Billancourt,

















On l'a vu, on vient de déshabiller Fip de ces locales. Demain la fusion Bleu/3 sera effective et désastreuse pour la radio. Les "départs (in)volontaires" (environ 300) vont faire roucouler la tutelle et désespérer Billancourt (5), si tenté que Billancourt écoute encore la radio. La radio n’est plus le cœur de métier de Radio France.” confie Catherine Hamaide (CGT Radio France) à Télérama. "Cœur de métier" nous rappelle tristement ces flambantes années 80 et leurs flambeurs qui voyaient quelques marchands de saucissons se diversifier dans les turbines et les fabricants de turbines investir… l'aquaculture pour, dix ans plus tard, "revenir, dare-dare, à leur cœur de métier".

Gageons que dans moins de cinq ans quelques farfelu-e-s se piquent de réinventer la radio… analogique. Pour le fun. Mais il sera trop tard, la radio publique, média en tant que tel, sera morte, absorbée - corps et âme - par la TV, je voulais dire par la vidéo. D'jack Dorsey, patron de Twitter aura érigé à San Francisco une statue musicale à Fip et quelques nostalgiques de la belle ouvrage feront tout les ans, autour de la Maison de la radio, un pèlerinage à l'image de l'opération Jéricho en 1968.

N.B. : Devoir quitter l'entreprise c'est quoi (6) ? Se sentir, être déclassé ? Son métier au rebut ? C'est s'imposer de renier l'histoire même de la radio et de ses savoirs-faire ? C'est se sentir obligé de changer de religion, d'invoquer le Dieu Numérique tout puissant et avoir honte d'être athée ? C'est gommer une expérience professionnelle ? C'est se sentir étranger dans sa propre Maison ? C'est comprendre que malgré les incantations. citoyennes, écologiques, de parité, de proximité, du "Vivre ensemble" c'est plutôt "faites ce que je vous dis mais ne faites pas ce que je fais" ! Et ces salarié-e-s-là à qui vont-ils confier leur tristesse, leur désarroi ou leurs difficultés ? Dans quelle émission de radio publique : Les Pieds sur terre, LSD ou Interception ? CQFD !

L'émetteur radio d'Allouis















(1) Quand il était député (UMP) Franck Riester aujourd'hui Ministre de la Culture avait l'idéologie de faire "une BBC à la française", pas pour une dynamique du service public mais plutôt pour mettre en œuvre la "grande saignée" qui permettrait de ne voir qu'"une seule tête" (celle d'une Pédégère ou d'un Pdg) et de rogner sur l'autonomie des entités publiques inventées en 1974 (loi du 7 août) à la fin du monopole de l'ORTF,
(2) Époux de Sibyle Veil, Pédégère de Radio France,
(3) Une idée évoquée souvent par Franck Riester sur les bancs de l'Assemblée Nationale et au cours des auditions des Pdg de Radio France lors des commissions "Culture et Communication",

(4) Jusqu'où les audiences revendiquées par l'institut Médiamétrie sont-elles fiables ?
(5) Vous irez voir sur le Web la définition de cette expression de la fin des années 60…
(6) 27 postes seraient supprimés à la direction de la documentation dont 17 documentalistes et 4 postes à la doc d'actu !!!

1 commentaire:

  1. voilà ce que les salariés de RF viennent de recevoir, en pleine restructuration... :
    Psychologie positive & bien-être au travail par Christophe André
    Rendez-vous mardi 19 novembre à 13h
    Un BBL, qu'est-ce que c'est ?
    Un BlaBlaLunch, c'est un moment de partage où l'on vient avec son sandwich pour découvrir un projet, échanger avec un intervenant inspirant et stimuler son esprit d'innovation.
    Psychologie positive & bien-être au travail
    Mardi 19 novembre, nous accueillons Christophe André pour nous parler du courant de la psychologie positive, l’un des plus actifs dans le milieu de la recherche en psychologie, tourné vers le développement des forces et des ressources de la personne.
    Ce courant cherche à inspirer les entreprises à évoluer vers un management plus humain, et à aider les salariés à mieux prendre soin d’eux. Christophe abordera les données actuelles de la science, notamment sur le bien-être émotionnel, et proposera des éléments concrets pour transposer ces données au quotidien.
    Infos pratiques
    Rendez-vous à 13h dans l'open space de la Direction du Numérique et de la Production, au 10e étage du Tripode (104 avenue du Président Kennedy).



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