mardi 20 novembre 2012

Tailleurs… taillez (dans le l'art)

Yann "caché derrière"











Si Yann Paranthoën pouvait à juste titre se nommer "tailleur de son" - il avait de qui tenir !- (1), il ne prévoyait sans doute pas qu'après avoir taillé le son (et mis en ondes un documentaire), il faudrait un jour remettre ça. Remettre ça pour diffuser des archives et faire des économies. Par voie de conséquence, remettre ça pour s'adapter à un nouveau format pour une nouvelle durée d'émission. Remettre ça pour "rafraîchir" un documentaire "daté". Voyons voir les effets sur la programmation actuelle d'une chaîne comme France Culture.

 
Des économies
En cette période très tendue, les rediffusions participent à ne pas trop augmenter les budgets de créations (2). Pour autant quelques unes de ces créations initiales ont été réalisées du temps des Nuits Magnétiques, de Surpris par la Nuit, ou d'autres émissions avec des durées dépassant l'heure pour se situer aux alentours de 90'. Voire deux ou trois fois 90', quand il s'agissait d'un sujet largement développé. L'adaptation au format 55' pose alors de fait le problème de tailler la bagatelle de 35', soit un tiers du documentaire. Ce n'est pas rien ! La productrice (3), le producteur avaient déjà en son temps taillé dans la matière brute des reportages et autres éléments sonores pour s'en tenir à une contrainte initiale. Et voilà que les effets financiers conjugués aux contraintes de grille imposent un nouveau découpage. Nouvelle contrainte me direz-vous ? Stimulante itou… Peut-être, mais pourquoi ne pourrait-il être envisagé pour les émissions documentaires que celles-ci conservent des formats proches de ceux mis à l'antenne, disons depuis une quinzaine d'années ? De ce fait les rediffusions respecteraient l'œuvre initiale. D'autre part la demi-heure quotidienne gagnée serait forcément bien employée, soit en donnant la possibilité aux documentaires d'être un peu plus longs, soit en proposant un prolongement en studio avec des invités qui abonderaient le sujet comme ce fut le cas longtemps pour l'émission "Le vif du sujet" (4) découpée en deux parties.

L'œuvre initiale
Faudra t-il attendre les rediffusions des "Nuits de France Culture" ou la création d'un France Culture Vintage pour espérer entendre les documentaires dans leur durée initiale de création. Peut-être même verra t-on un jour se créer des émissions qui nous narreront par le menu ce qui pouvait s'entendre "autrefois", avec sons "retrouvés", analyses et tout le toutim, un peu comme Philippe Garnier excelle à débusquer le "caché derrière". Que les œuvres soient remises à l'antenne on ne peut qu'applaudir, qu'elles soient amputées c'est fort dommageable pour le créateur comme pour l'auditeur.

Qui taille ?
Si c'est le producteur initial qui remet son ouvrage sur le métier, on peut imaginer que cet exercice le stimule et l'intéresse. Il peut les années aidant, trouver des "longueurs" et autres "temps morts" qui pourront allègrement être "coupés". Mais dans d'autres cas il devra s'auto-censurer et s'obliger à "rentrer dans le moule", s'il tient compte de l'opportunité d'accéder à une "nouvelle" diffusion. Cela ressemble fort à une solution a minima ! Si c'est un tiers qui se charge des coupes c'est encore plus délicat, sauf si le producteur accepte qu'une oreille extérieure s'en charge ce qui est le cas assez souvent. Sachant que quelquefois le dit producteur propose lui-même les coupes qu'il conviendrait d'opérer.

Jusqu'où va t-on aller ?
On voit donc qu'en moins de quinze ans les formats ont déjà perdu plus d'un tiers de leur temps de diffusion. On peut imaginer, sans faire de science-fiction, que dans moins de quinze ans ils pourraient en avoir perdu les deux tiers, et ainsi de suite jusqu'aux formats de 5' qui en 2050 seront appelés "longs". Ajoutons à cela la baisse catastrophique de rémunération pour les producteurs s'ils n'ont plus "dans quelques jours" que des documentaires de moins de 30' à réaliser. Alors que le mot "documentaire" est agité à toutes les sauces, il faudrait bien que celui qui concerne la création radiophonique devienne une priorité affichée de la tutelle, à savoir le Ministère de la Culture et de la Communication (5). Pour amorcer un genre de "Grenelle du documentaire" par exemple !

Peut-être même que pour être vendeur, à la dite tutelle il faudrait proposer d'ajouter le mot "nouveau" devant celui de documentaire. "Le nouveau documentaire radiophonique" ça aurait de la gueule sur les smartphones et autres tablettes. On ferait des campagnes de pub', on mobiliserait les étudiants et les seniors, à eux de convaincre les générations intermédiaires. On pourrait même trouver un slogan : "France Culture, la radio du documentaire". Qu'en pensez-vous, mes chers auditeurs ?

(1) Son père était tailleur de pierre, voir ici,
(2) Et laissent à la maison créatrices et créateurs, sachant qu'une rediffusion se rémunère à un pourcentage de la rémunération de la création initiale
(3) Ce fut le cas pour le documentaire de Françoise Séloron "A Joinville-le-Pont", comme celui d'Iréne Omélianenko "Au début du Jazz étaient les femmes",
(4) Le vif du sujet, le mardi de 15h à 16h30, (dates à venir)
(5) Et du Budget sans doute

2 commentaires:

  1. Tu poses de bonnes questions.

    J'apporterais juste une info. La "recoupe" n'est pas nouvelle. C'est ainsi que le fameux Prix Italia de Yann Paranthoën (puisque tu parles de lui), pour un travail de 1981 intitulé "Retour à Lesconil" – fameux, car c'est ce prix qui lui valut d'obtenir sa liberté de création – était déjà une version raccourcie, exigée par les conditions du concours.

    Ensuite, une nuance. La recoupe n'est pas mauvaise en soi. C'est toujours un exercice délicat, ne serait-ce que du point de vue de l'auteur-e. Ce qui me paraît plus problématique, c'est de ne plus pouvoir diffuser les documentaires dans leur format d'origine (à part la nuit, mais ce n'est pas le sujet) et d'être obligé de couper parce que le nouveau format d'émission le contraint.

    Il n'y a plus une seule émission sur FC qui dépasse les 55 minutes. Alors, bien sûr, on peut tout à fait juger que 55 minutes, c'est bien assez long, et même que c'est bien trop long pour certains sujets. Le problème n'est pas tant la durée en elle-même, mais le fait que c'est une durée figée. Il y aurait une révolution à faire sur FC qui consisterait à ne plus résonner en termes de grille faite de cases correspondantes chacune à un programme, mais de plages thématiques qui permettraient d'agencer le diffusion de programmes de durée variable.

    La seule émission qui a tenté ça récemment est Les Passagers de la Nuit, mais ça fait 2 ans que FC l'a enterrée et s'entête dans une façon rétrograde de concevoir l'antenne.

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    1. Merci pour ce commentaire étayé ! Ta précision sur Paranthoën est juste et pour autant différente de mon propos. Que Yann ait souhaité concourir à Italia est un choix volontaire et assumé pour faire une "nouvelle" création sur un matériau existant. Il est le mieux placé pour choisir et couper. Jusqu'à ce qu'il décide même d'en faire un feuilleton de 12 épisodes si ça lui chantait ! Rien à dire non plus !

      Rediffuser "de jour" sur France Culture c'est tout à fait intéressant ! Mais pourquoi ça passerait par "se plier" à des contraintes de grille qui peuvent s'adapter s'il y a lieu. Là est la réalité ! On peut dire sans se tromper que c'est la forme qui détermine le fond ! Tragique et inacceptable…

      La thématique : excellent ! Qui en veut ? Faire une grille comme une mécanique avec des boulons bien serrés n'a rien à voir avec les "gènes" de France Culture et qu'on n'agite surtout pas le chiffon (rouge) pour dire que le public ne suit plus les longs documentaires. Fadaises.

      Je voudrai écouter les "cut" de Séloron, Omélianenko et demain Rosset… et pas en 2050 !
      (à suivre)

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