mardi 2 mai 2017

Dans la famille Mercato je voudrai… (2)

Il fallait s'y attendre. Le séisme a été d'une rare violence. La secousse tellurique a été ressentie jusqu'au 22ème étage de la tour. 7,8 sur l'échelle de Richter. Quelques jours après que la Maison de la Radio eut fêté les bons résultats de la dernière vague médiamétrique, elle subissait, sans sommation, l'attaque ciblée de la part de l'un de ses concurrents privés. Ce dernier, sans vergogne et, ne reculant devant rien ni personne, fit une offre au n°2 de Radio France, pour diriger in petto, la maison soixantenaire, sise rue François 1er in Paris. Palsambleu ! Pdg d'Europe 1, Lagardère "viendra à toi" et proposa à Frédéric Schlesinger rien moins que de diriger la vénérable maison au pavillon bleu azur. Titanic moderne en phase terminale de sabordage. À moins de 200 miles de l'iceberg. À la proue du vaisseau amiral, Denis Olivennes, capitaine dégradé, doublé par Céline Dion, eut beau hurler, rien ne semblait pouvoir détourner le frêle esquif de son terrible destin (1).



Mathieu Gallet, Pdg de la radio publique depuis mai 2014, s'est fendu d'une lettre adressée à ce que d'aucuns appellent des salariés et que lui nomme des "collaborateurs". Une lettre pour la forme et pour sauver la face (2). On se demande bien pourquoi dans une économie de marché avec un Pdg qui se revendique manageur, une entreprise privée ne pourrait pas faire son marché dans les entreprises publiques. Les précédents existent et ils sont nombreux. Le sauvage l'a emporté depuis bien longtemps sur l'éthique, non ? 

Donc Gallet écrit : "Aujourd'hui ces magnifiques résultats [d'audience, ndlr] laissent croire à nos concurrents qu'ils peuvent résoudre leurs problèmes en s'attachant les services de certains de nos talents. Nous devons le considérer comme un hommage à notre réussite collective. C'est évidemment la liberté de chacune et de chacun de choisir une nouvelle aventure chez nos compétiteurs. Mais le succès, comme les audiences, ne s'achètent pas." Diantre ! Quel ton. Lagardère en fut certainement ému et bouleversé. Peut-être même sur le point de faire "machine arrière-toute" ? Mais l'inertie du rafiot rendant les manœuvres difficiles, ce n'est pas la lettre d'un concurrent effarouché qui pourrait empêcher le capitaine (d'industrie) de tout mettre en œuvre pour éviter l'iceberg.

Mais ce que Gallet évite d'évoquer dans son courrier corporate c'est l'ambiance créée par les effets d'annonce dans chacune des sociétés concernées. Thomas Sotto, anchorman de la matinale d'Europe 1 doit-il s'attendre dans deux mois à laisser sa place à Patrick Cohen, anchorman de la matinale d'Inter débauché par Schlesinger ? Sympa de travailler dans ces conditions avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête. Idem, pour Nathalie André, directrice des programmes d'Europe 1, qui peut commencer à imaginer qu'Emmanuel Perreau (actuel dir des programmes d'Inter) prendra sa place. Ces effets d'annonce insupportables créent de fait un climat aussi tendu à Inter. Car s'il faut en moins de deux mois avoir trouvé le-la remplaçant-e de Cohen, de Perreau et de quelques figures de proue… médiatiques, on peut présager que les journées de Laurence Bloch vont être tendues jusque fin juin.

Fréderic Schlesinger














C'est bien toute la profession, et même les professionnels de la profession qui sont entrés en mercato. Concurrence exacerbée, couteaux affûtés, calculettes chauffées à blanc. Nerfs à vif sur l'air de "ya plus qu'ça qui compte", le burn-out guette, les puzzles des tontons-flingueurs s'éparpillent sur toutes les lèvres, l'abattement est foudroyant, la déprime flotte sous les pavillons noirs pirates aux vents de tous les open-space. Le "sans foi ni loi" règne. Sans parler des résultats des présidentielles qui pourraient changer la donne avant fin mai. Lagardère a réussi le chaos… debout.

On mesurera ici l'effet dévastateur de l'effet… d'annonce qu'un ancien premier ministre, Michel Rocard honnissait et fustigeait par-dessus tout, à l'instar de son mentor Pierre Mendès-France (3). Comment les producteurs-animateurs se croisent-ils dans les couloirs de la Maison ronde, avec quelles arrières-pensées ? Les supputations les plus folles vont bon train. "T'en es ?", "Je suis sûr que Schles' lui a fait des propositions", "Tu crois qu'il va quitter la Maison après tant d'années de service public ?", "Tu verras, elle remplacera ce tocard dont Schlesinger ne s'embarrassera jamais !", "Pourvu que Nagui le suive il aura enfin le statut qu'il mérite.", "Charline et sa bande risquent aussi de prendre la tangente pour affronter Ruquier aux mêmes heures". C'est plus le chaos, c'est l'abbé Rézina (4).

Dans ce malheur, une chose est sûre, Mathieu Gallet nous a rassuré quant à son éthique personnelle. Plus aucun doute, il ira à l'issue de son mandat (mai 2019). Pas question pour lui de quitter le navire avant cette date si, par hasard, la direction de l'Opéra de Paris, du Grand Palais ou de la Villette était vacante. C'est important qu'un dirigeant s'engage et montre l'exemple.
(À suivre) 
Hardy et Jouffa (5)





















(1) Pour évoquer l'histoire de la station, France Culture a choisi d'interviewer l'historique François Jouffa. Sauf que l'intéressé n'a pas "pendant 40 ans" fait toute sa carrière à Europe 1 comme annoncé dans la matinale, mais a fait les belles heures de l'"Oreille en coin" (France Inter) dès 1968, dirigé Fip et produit bien d'autres émissions pour le service public !

(2) Aude Dassonville, journaliste à Télérama, publiait le 27 avril sur son compte Twitter "Mail auquel "Schles'" aurait ajouté le sien, pour dire à ses anciens collaborateurs: "je sais ce que je vous dois"
(3) Qui avait tenu secrètes les négociations pour la fin de la guerre d'Indochine,
(4) Faut bien que je me fasse rire un peu,

(5) "Carré bleu", en direct et parmi des auditeurs dans le studio Pyramide d'Europe n°1, émission quotidienne en 1971-1972, dirigée par Jacques Paoli, 13h30-18h45.

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