mercredi 19 février 2020

Le bureau des projets… Une légende ? (2)

Bien sûr j'aurais trouvé stimulant de titrer "Le bureau des légendes". Que serait venu faire un tel bureau à la radio ? Par contre le Bureau des projets a bien existé et ce n'est pas une légende ! Ce billet et le précédent sont motivés par l'amer constat que la direction de France Culture a finalisé et mis en place un système pour : normer, calibrer, compartimenter la création radiophonique. En l'enfermant dans des processus de contrôle a priori (se nichant de façon insidieuse), de hiérarchies et de mécaniques productives qui n'ont plus rien à voir avec le projet initial de la chaîne qui voulait s'ouvrir à toutes les cultures en multipliant les angles, les formes, et les voix qui en étaient les acteurs.



L'apologie du "tout et son contraire" va bien à France Culture et à sa directrice Sandrine Treiner. À grands renforts de tambours, on apprend que dès le lundi 17h, on peut télécharger les quatre épisodes d'une série documentaire (LSD, du lundi au jeudi, 17h) mais qu'en ce qui concerne "Une histoire particulière" il faudra à l'issue de la première partie (le samedi à 13h30) savoir attendre jusqu'au dimanche même heure pour entendre la seconde ! Pourquoi cette différence de traitement ? Le fait du Prince assurément !

Pour ce qui concerne LSD (acronyme qui nous a mis à genoux et a déclenché chez d'aucuns une séance de larme contagieuse) j'ai fait la démonstration à sa coordinatrice, Perrine Kervran, que 44 semaines x 4 jours représentaient un potentiel de 176 documentaires, soit dans l'absolu 176 producteurs tournants (1). La formule imposée "même sujet pendant 4 épisodes par la même personne" diminue le nombre de producteurs des trois quarts, sachant là aussi qu'une productrice-producteur peut potentiellement produire, deux ou trois LSD/an. Et pourquoi un producteur saurait produire 4 heures imposées sur un sujet quand quelquefois il pourrait être plus en phase avec une, deux ou trois heures ? Cette façon "éditoriale" c'est juste l'antithèse de la création. C'est un pouvoir sur la création individuelle. Quant au format imposé ce n'est plus une direction mais du dirigisme ! 

Et c'est là qu'intervient le "bordereau", le "formulaire", la "note d'intention" qui de quelque façon qu'on l'appelle, a supprimé l'échange informel, la dynamique d'une confrontation orale, la décision rapide particulièrement quand ça fonctionnait dans un processus de création collective, de compagnonnage, de responsabilité d'équipe. Autant dire un monde d'avant qui s'est effondré suite aux nominations de Mathieu Gallet, Sandrine Treiner et Sibyle Veil. Les trois font la paire pour progressivement gommer tout ce qui peut ressembler à une chaine singulière pour la diluer en une "généraliste" qui va bien finir par ressembler à France Inter et inversement.

Cette méthodologie des préalables à la décision de validation d'un projet, ce parcours sup, ces filtres aux ordres de l'éditorial tout puissant ·(2), ces processus de soumission a autant de hiérarchies cassent l'esprit même d'une création libre, originale, bouillonnante quand tant de préalables la brident, la contraignent, l'enferment dans des cases, des modèles, des formats (3). Insidieusement il s'agit de déposséder les équipes de réalisation du principe créatif. En assistant à la standardisation, au formatage et à l'absence absolue d'inattendu. Tout doit être lissé, polissé, cadencé dans une rythmique horaire qui ne laisse plus la place à aucune respiration, temps morts, silences (4). 



  • Le bureau des projetsCe n'est pas une légende, il a bien existé. Jean-Marie Borzeix, directeur (1984-1997) s'est souvenu (au téléphone hier) que "c'était un "bureau" informel. Une réunion plus ou moins régulière de quelques personnes, quelques producteurs. La parole était libre. Ça avait du commencer avec mon prédécesseur Yves Jaigu (1975-1984) et j'ai voulu maintenir ça. L'esprit était celui d'un service de manuscrit d'une maison d'édition. C'était un moment d'ouverture. Du bricolage, mais du bricolage qui permettait d'accueillir des gens qui étaient venus là par hasard." (5)
La contrepartie de cette casse historique d'une chaîne autrefois ambitieuse ce sont "des chiffres, des chiffres, oui mais des Médiamétrie". Avec en contrepoint cette chose sordide qu'on peut appeler en verlan Tchip, (very cheap) et qui donnera peut-être lieu bientôt à une journée grandiose sur la chaîne où des postulants à la création radiophonique viendront au casse-pipe avant d'être autorisés à la prochaine étape dite du "formulaire Cerfa" ! L'antithèse absolue du "Bureau des projets" qui, à jamais, restera dans la légende…
(À suivre ici)

(1) Même si la même productrice ou le même producteur peut signer 3, 4 ou 5 docs dans l'année,
(2) Perrine Kervran pour "La Série documentaire", Christine Bernard pour "Une histoire particulière", "Toute une vie", Sonia Kronlund pour "Les pieds sur terre",
(3) Le mantra psalmodié pour vendre aux auditeurs "L'expérience" c'est juste de la com' bidon : "L’Expérience est un espace libéré des genres radiophoniques (magazine, reportage, documentaire, fiction...), qui s’en affranchit ou qui les mêle. C’est un temps d’expression du singulier."

(4) Ceux d'Alain Veinstein et de ses invités dans "Du jour au lendemain",
(5) À partir des témoignages recueillis, il semble que ce bureau ait fonctionné jusqu'en 1997 ou 1999. Après, il a aussi existé d'autres "lieux" où des projets qui ne trouvaient pas leur place dans une case pouvaient la trouver dans une autre.


Alain Veinstein, Photo L'Est Républicain















La dernière ! "Du côté du silence"… ("Du jour au lendemain"… 4 juillet 2014)

Rappel : cette émission censurée par d'Arvor n'a jamais été diffusée à l'antenne ! Suite à la manifestation des auditeurs elle a été rendue disponible sur le site de la chaîne, le lendemain 5 juillet. La journée rigolote et trop cool inventée par d'Arvor s'appelait "Chamboule tout" (sic) ! Aujourd'hui (février 2020) le lien d'export de l'émission est bridé !

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