Il est bon que je rappelle ici ce qui a présidé à la rédaction des deux billets précédents. Aux conversations que j'ai eues avec productrices et producteurs, réalisatrices et réalisateurs, plutôt que de nommer mes interlocuteurs, j'ai préféré raconter l'histoire de l'évolution des pratiques de décision d'un projet/sujet d'émission principalement pour France Culture. Pour ce troisième volet j'ai pu avoir une longue conversation avec Mehdi El hadj, réalisateur à France Culture, (1974-2008) qui a accepté que je le cite ici. La longue période évoquée permet bien d'apprécier comment la sur-personnalisation de l'éditorial a tourné la page de l'initiative créative individuelle et d'une forme artisanale et collective de faire de la radio (1).
Je mesure d'abord la chance que j'ai eu de pouvoir interviewer Mehdi El hadj qui aura, dans une longue période, vu la fin de l'ORTF (31 décembre 1974) et les débuts de Radio France et la bagatelle de six directeurs de chaînes (2) et huit Pdg. Son témoignage est de fait très précieux. Je ne l'ai pas enregistré, j'ai pris des notes et lui ai demandé de relire ce billet avant sa publication.
Au début de sa carrière Mehdi El hadj est assistant de production. “À l'époque la chaine est en partie organisée en fonction de secteurs d'intérêt. Par exemple littéraire, musical, sociétal, chaque secteur pouvant apparaître sous différentes formes d'émission. Chaque secteur est confié à un responsable qui décide des projets qu'il veut diffuser et sous quelle forme avec les producteurs, et les personnels chargés de la réalisation. Il existait également un "Bureau du jazz" qui coiffait les trois chaînes (Inter, Musique, Culture)". Ces unités indépendantes coordonnées par la direction étaient dirigées par des personnalités fortes, des "signatures" oserai-je :
- Claude Mettra, Les chemins de la connaissance,
- Jacques Florent, Les après-midi de France culture,
- Michel Cazenave, La matinée des autres,
- Alain Trutat, L'Atelier de Création Radiophonique,
- Guy Erisman, France Culture Musique, etc…
"Les différentes options philosophiques et politiques de ces responsables s'accordaient sur l'idée partagée de création intellectuelle et radiophonique, dans le cadre d'un service public d'information, de culture, et aussi de distraction." Le fameux "informer, cultiver, distraire", la doxa de l'ORTF.
"De plus, sous l'impulsion de chacun d'entre eux et, sous le direction d'Yves Jaigu beaucoup d'émissions spéciales ou exceptionnelles furent proposées aux auditeurs de l'époque mais, aussi créées pour l'histoire de la pensée et de la création artistique du temps présent. Par exemple de nombreuses heures consécutives sur Lewis Caroll,
Simenon ou encore la série Analyse spectrale de l'occident. Comme toutes sortes de rencontres interculturelles nationales et internationales de cette période historique, sans oublier les journées spéciales sur un thème réunissant les interlocuteurs et les acteurs les plus qualifiés...Tradition qui a bien, autant que possible, été prolongée par Jean Marie Borzeix."
Les Nuits magnétiques, créées par Alain Veinstein (en janvier 1978) sous Yves Jaigu pouvait paraitre comme un territoire dégagé où toute forme de radio et de préoccupations avaient place. "L'unité de ce programme, précise Mehdi El hadj, c'était d'abord le style ; style d'approche, style de producteurs, style de questionnement, style de réalisation, etc... Faire ce que les autres ne font pas et faire ce que les autres ont oublié. D'ailleurs, il y avait une grille Borzeix et une grille Veinstein." Cette précision subtile est d'importance.
On voit comment à l'époque les Unités de création peuvent avoir une autonomie importante au sein d'une chaîne (3). "Aux Nuits, l'idée était d'aller partout si possible avec des poètes, ou des écrivains, là où la radio n'allait pas naturellement. Chez les ouvriers, dans les cités, les banlieues, les campagnes reculées, auprès des artistes naissants… Avec Veinstein et les Nuits magnétiques on montait les escaliers. Pour "Le bon plaisir" on prenait l'ascenseur.» Comprendre les invités du "Bon plaisir" étaient des personnalités qui avaient réussi et étaient reconnues en tant que telles. J'ai bien ri.
(À suivre demain, l'épisode 4)
Mehdi El hadj avait souvenir de ce "Bon plaisir"-là qu'il a réalisé… (et c'est l'occasion aussi de retrouver Antoine Spire…)
Mehdi El hadj avait souvenir de ce "Bon plaisir"-là qu'il a réalisé… (et c'est l'occasion aussi de retrouver Antoine Spire…)
(1) On ne pouvait attendre quoi que ce soit d'éditorial de Mathieu Gallet, ex-Pdg de Radio France (2014-2018) qui après avoir "limogé" Olivier Poivre d'Arvor (directeur de France Culture 2010-2015), attendra quarante-cinq jours pour nommer la "directrice éditoriale" en poste à France Culture, Sandrine Treiner, directrice de la chaîne, le 25 août 2015,
2) Agathe Mella, Yves Jaigu, Jean-Marie-Borzeix, Patrice Gélinet, Laure Adler, David Kessler,(3) Ce sera aussi le cas à France Inter avec L'Oreille en coin (1968-1990), une radio dans la radio, au point que quand Pierre Bouteiller en a pris la direction en 1989, il a refusé d'être le directeur de la chaine du lundi au vendredi et de laisser les clefs de fin de semaine à Jean Garretto. L'émission qui s'échelonnait du samedi midi au dimanche soir sera amputée du samedi et du dimanche après-midi pour ne plus être à l'antenne le dimanche matin. Ce qui provoquera le départ de Garretto à la rentrée 1990 !
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