lundi 8 décembre 2014

Où est passée la Recherche…

Pierre Schaeffer


















Dans un très long et très documenté article, Thomas Ferenczi, dresse le tableau de ce qui a procédé à la création de l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), mais surtout de ce qui a disparu dans l'éclatement de l'Ortf (Office de radio et télévision française). En effet le "service des archives, de la recherche et de la formation" créé par Pierre Schaeffer a non seulement été ignoré par ceux qui ont voté la fin de la dite Ortf, mais pour ce qui concerne "la formation et la recherche" ces deux entités auront disparu corps et âme dans la logique ultralibérale de Giscard d'Estaing et de son premier ministre Chirac.

Pour les archives est créé l'Ina septième organisme issu de l'ex-l'Ortf. Dans le vent libéral qui suit l'élection présidentielle de mai 1974, un sénateur centriste, André Diligent, veille au grain du service public et défend ce que Pierre Schaeffer a créée au sein de l'Office. Diligent est convaincu "À l’ORTF, il existe un trésor absolument inestimable [les archives, ndlr], unique au monde. Quant au Service de la Recherche, il est tout à fait particulier et jouit d’une réputation mondiale. Il est absolument nécessaire de préserver l’unité de ces services".

Pierre Schaeffer a du mal à "avaler la couleuvre" de ce qui risque de ruiner son travail au sein de l'Office : "L’Office est mort de n’avoir pas su à temps réfléchir sur lui-même ». Et François Billetdoux d'enfoncer le clou « Il est urgent de penser quelque part la radiodiffusion dans son devenir », écrit-il dans Le Monde, à la veille du débat parlementaire. Membre du Haut Conseil de l’Audiovisuel, [il appelle] à la création d’un organisme national « capable d’étudier une politique des technologies nouvelles de communication ». Ce sera l’une des tâches du futur Institut national de l’audiovisuel."

L'état de la situation de 1974 est bien analysée par Ferenczi : "La deuxième raison pour laquelle les activités de recherche sont l’un des enjeux du débat suscité par le projet de loi est la crainte que celui-ci n’ouvre la voie, via la concurrence entre les chaînes, à la course à l’audience, à la tyrannie de la publicité et à la médiocrité des programmes. Face à cette menace, derrière laquelle se profile le spectre de la privatisation, l’ambition culturelle, symbolisée, entre autres, par le Service de la Recherche, est perçue comme un indispensable rempart." Tout est dit, mais pour autant, le "Service de la Recherche" ne reverra jamais le jour. Trop indépendant, trop visionnaire, trop "antilébéral".

Schaeffer écarté c'est vraiment un acte manqué. "Reste à désigner le président du nouvel organisme. Chacun s’attend à la nomination de Pierre Schaeffer. Ce sera Pierre Emmanuel, membre de l’Académie française, écrivain couvert d’honneurs, bon connaisseur de l’audiovisuel.… Les proches de Pierre Schaeffer ne cachent pas leur déception. « Je me suis imaginé deux minutes – mais pas davantage – à la tête de cet institut, dont j’ai tant soutenu la création », dira lui-même Pierre Schaeffer avec un peu d’amertume."

Pourtant, 40 ans après, la recherche en radio c'est "Waterloo morne plaine".  Ou, peut-on considérer comme recherche ce que tente d'impulser les "Nouveaux médias" de Radio France initiés par Joël Ronez qui a quitté le navire en juillet 2014 ? Au-delà de ces nouveaux médias toutes les questions qui se posent : radio filmée, RNT, radio de nuit, archives, radio jeunes n'ont que des réponses ponctuelles et/ou conjoncturelles. 

La vision globale d'un Schaeffer n'est plus portée par personne au sein de Radio France, et la radio publique n'assure plus ses fonctions de recherche. Fonctions qui semblent bien loin des orientations affichées du nouveau Pdg Mathieu Gallet.

Toutes les citations sont extraites de l'article de Ferenczi en lien ci-dessus.


Radioscopie, Pierre Schaeffer, 10 mai 1978


Le Prix Pierre Schaeffer "découvertes" que remet Phonurgia nova le 25 janvier 2015 à la Gaîté Lyrique s'inscrit dans ce sillage, ou ce microsillon.
phonurgia nova awards

4 commentaires:

  1. Comment ça, pas de recherche en radio depuis 40 ans ? Et l'ACR (par exemple, ce n'est pas le seul lieu) ? Que crois-tu qu'on y a fait ? Ou alors, le mot "recherche" signifie quelque chose qui nous échappe (nous "pauvres chercheurs" - ou essayistes, si tu préfères, l'idée d'essai étant excellente : essayer, chercher, même tâche...)

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    1. Bonjour Christian,
      Bien sûr les ACR ont été un formidable labo et outil de recherche. On pourrait dire de la recherche appliquée.
      Que ce soit le Club d'essai de Tardieu ou le labo de Schaeffer il pouvait s'agir aussi de chercher en amont avant de mettre à l'antenne.
      Tu as raison de défendre la période dans laquelle tu/vous avez œuvré, pour autant l'équivalent "Schaeffer" n'existe plus et ça c'est incontestable.

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  2. En effet, on ne trouvera pas de recherche "systématique" ou "fondamentale" en dehors du Service de la recherche de l'ORTF : je trouve l'assertion de Thomas Ferenczi reprise par Radio Fanch tout a fait juste. Car, précisément, la recherche fondamentale sur les médias radio et Tv a été stoppée net par la suppression de l'ORTF en 1974, c'est un fait historique établi et largement documenté par les nombreuses publications de l'INA et de la Documentation Française qui ont suivi. Les tentatives de re-animer cette recherche au sein même de l'INA durant les années 80 et 90, sont restées lettres mortes, faute pour l'INA d'attirer les collaborateurs qui auraient pu en relever le défi intellectuel, et faute surtout de moyens (que l'Etat n'était plus prêt à consentir...). Ce qui a pu subsister en guise de "recherche" c'est surtout une approche sociologique et historique des médias telle que Dominique Wolton par exemple a pu la développer. Quant à nommer "recherche" les travaux de l'ACR, il ne faut pas se laisser abuser : il n'y en eut pas, si l'on prend ce terme dans l'acception de "recherche fondamentale". L'ACR a été un incomparable laboratoire d'auteurs, c'est ainsi que Alain Trutat et René Farabet l'ont voulu et maintenu à un haut niveau d'exigence pendant 30 ans. Chaque auteur, compositeur, réalisateur accueilli a pu y poursuivre sa propre quête d'expression, singulière ou solitaire... avec parfois (pas toujours) de très beaux fruits. De belles expériences qui firent reculer les frontières esthétiques bornant l'expression radiophonique, comme ce fut - notoirement - le cas avec Yann Paranthoën, Andrew Orr, René Farabet, Kaye Mortley et d'autres qui entreprirent une exploration plus ou moins suivie ou profonde de ce media (en fonction des affinités que les uns ou les autres pouvaient avoir avec ce dernier, si différent de tout : du théâtre, du cinéma, de la musique, de la littérature). Marc Jacquin

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  3. Dans le cas antérieur d'Orson Welles (40 ans avant la naissance de l'ACR) on peut parler d'un début de recherche fondamentale dont le but était d'explorer la grammaire de la narration radiophonique. Un programme si riche de novations qu'il permit à Welles d'engranger assez d'idées pour mettre le cap sur le cinéma, et partir à son abordage d'une façon totalement nouvelle pour l'époque. Son "Mercury Theatre on the air" a été un labo de recherche non seulement pour la radio de création, mais aussi pour le cinéma (relire François Thomas à ce sujet, et les préfaces très érudites qu'il a données à nos éditions de La Guerre des mondes, de Dracula, de l'Ile au Trésor ou de Rebecca). La figure de Welles dominait largement cette expérimentation. Dans le cas de Schaeffer, ce qui est frappant, c'est qu'elle n'était jamais solitaire, mais partagée par de nombreux co-équipiers cinéastes, animateurs, dessinateurs, producteurs, réalisateurs radio, compositeurs et écrivains - et les résultats furent à la mesure de cette interdisciplinarité sans précédent. Tant pour les oeuvres produites que par l'importance des travaux théoriques engendrés dont "Les Machines à communiquer" (éd du Seuil, 1970) tirent un premier bilan provisoire. Fort heureusement, et hommage doit lui être rendu pour ce travail de bénédictin, Jocelyne Tournet a établi, de façon plus solide que Sylvie Dallet ne l'avait fait avant elle, un inventaire de cette énorme production courant sur presque 15 ans. Cet inventaire des sources schaefferiennes est publié à la Documentation Française avec la collaboration de l'INA. C'est monumental, et prodigieusement intéressant, mais peu considéré, peu mis en valeur, comme occulté depuis les années Giscard, et on se demande vraiment pourquoi une telle occultation volontaire ? Le génie visionnaire de Schaeffer dérangerait-il encore ses successeurs à la vue courte et à la pensée courterm-istes ? J'en ai souvent eu le sentiment aigu !
    Marc Jacquin

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