jeudi 29 décembre 2011

Studio 125… Mermet Daniel

Quatrième épisode
Heureusement que les producteurs de l'Oreille en coin (1), Codou & Garretto, que leur ingénieur du son Edouard Camprasse ne se retournent jamais, concentrés sur leurs consoles et sur celui ou celle qui est au micro. "Invisible" en régie du studio 125 je peux donc à ma guise être "dedans". Dedans l'émission, dans la fabrique de l'histoire, la petite, celle d'une équipe à la "Pilote" (2) qui chaque fin de semaine sait réinventer et réenchanter la radio de création.






Le rouge est mis. Musique de piano d'Elton John, Mermet est derrière le micro, casque sur les oreilles : "14 heures 10, elle avait dit 14 heures, elle va arriver,…" Et tout de suite des sons, un train qui passe à grande vitesse, une annonce qui résonne dans un hall de gare, une ambiance pour installer une histoire. Une autre musique qui semble venir de très loin marque un autre tempo (3). "14 heures 10… et quelques secondes… Don't cry my baby come with me at the driving movie. La grande aventure et la petite vérole. J'entends une voiture c'est elle. [Train qui passe à grande vitesse - rire joyeux et strident de femme]


14 heures 11, il y aura des boucles qui retomberont sur sa nuque, j'regard'rai sa nuque, j'lui donn'rai une glycine et j'lui dirai tiens c'est pour toi [Chanteur américain presque lyrique, bruits de gare, paroles chuchotées]. Si vous écoutez bien dans le lointain vous entendrez le cri des palétuviers… J'vais pas danser toute ma vie entre mon ombre et mon nombril [Train qui passe à grande vitesse] C'est le printemps et c'est l'été il est grand temps de déserter [Très loin une musique de violoncelle puis très devant du piano]…

Et à cet instant après deux minutes et cinquante quatre secondes Mermet annonce le titre de son émission…

"Dans la ville de Paramaribo il y a une rue qui monte et qui ne descend jamais… 
[Musique classique, violons et piano devant] 14 heures 13 minutes et presque dix secondes, elle avait dit 14 heures elle se fait attendre, c'est normal elle fait semblant d'être en retard, [Piano intro] je suis sûre qu'elle est en avance, mais elle doit attendre quelque part, elle joue sur mon impatience mais j'ai tout calculé, les petits fours, les canapés, elle m'a dit j'arrive, elle m'a dit c'est promis, j'ai tout calculé, elle m'a dit à deux heures, c'est promis, elle m'a dit c'est promis à deux heures il est 14 heures presque 13 elle m'a dit…"  [Carole Laure chante "Croque la lune"].

14 heures 16 et 8 secondes, elle avait dit 14 heures, j'ai tout préparé [Piano frappé] depuis ce matin 8 heures, ça va j'ai tout calculé les petits fours sont dans le four et le four je sais l'allumer, il faut pas avoir l'air d'attendre, quand elle arrive je dirai ah te voilà enfin, le mec qui attend mais juste comme ça entre autre, attends j'arrive voilà, hé tu reconnais ce disque, ça te rappelle rien, je suis à toi tout de suite, écoute [Musique bien classieuse voix en arrière plan, sirop] c'est pas possible, c'est pas possible cette musique on se dirait au supermarché, rayon guimauves, c'est pas possible ça me rappelle les diapositives de mon beau-frère, c'est pas possible qu'elle aime ce genre de musique, elle a voulu se foutre de moi, c'est au moins le vingtième disque que j'essaye de mettre pour, quand elle va arriver, ça fait vraiment la garçonnière du ringard, tu vois, lumières tamisées, filet de pêche, non il faut quelque chose de plus, de moins, enfin de plus, je sais pas moi, oh j'entends sa voiture, c'est elle, vite, qu'est-ce que je vais mettre, je vais mettre ça, non la voiture repart, non ça va pas, bon je vais essayer ça, voilà supposons elle entre… [blues déchirant] dis-je, dit-elle, "Come on baby Oh my true love don't cry come with me at the driving movie"… J'enlève les santiags, enlève tes ballerines, Come on baby et c'est parti [R&B]




14 heures 21 minutes et bientôt 45 secondes, 14h22 elle avait dit 14 heures elle va bientôt arriver, en tout cas dès qu'elle arrive [Musique années folles] on ira se balader dans la campagne je dirai bonjour aux gens, ça les étonnera un peu, un peu plus loin ils se retourneront et diront entre eux, en voilà un qui s'emmerde pas et ils auront raison, j'ai vu qu'il y a de la glycine devant chez le docteur, sur le mur, le mur est pas très haut, je prendrai mon élan et avec un peu de pot je cueillerai de la glycine et je lui dirai, tiens voilà c'est pour toi, je lui f'rai le plan écolo, la campagne et les p'tits oiseaux et la jungle des villes et comment ici c'est une ville et, toute la différence qu'il peut y avoir entre une betterave et un poireau, elle me dira que ça ressemble à la Normandie en plus petit et je f'rai comme si on me l'avait jamais dit, tout sera vert et en couleur sauf les vaches, ici elles sont en noir et blanc et puis je l'emmènerai dans le petit bois des lièvres et quand on ressortira elle aura plus de rouge à lèvres [Montand chante Dans ma maison, paroles de Prévert]…

Seize minutes seize secondes viennent de s'écouler depuis le début de l'émission, il en reste trente deux et cinquante secondes pour clore l'épisode du jour. Mermet, formidable conteur, alterne entre son récit et les inserts de musique et/ou de chansons qui collent au cheminement de son histoire onirique. Un peu moins naïve que Jacques qui attendait "Madeleine qui ne viendra pas". Mermet joue avec sa voix, la fait grave, de simple conversation, murmure ou interroge et "oblige" son auditeur à tendre l'oreille… en coin. Rien de superflu dans son récit, l'essentiel se tisse jusqu'au point de tension extrême où l'histoire trouvera un dénouement ou n'en trouvera pas. Mermet prend un malin plaisir à faire d'une anecdote un "fait divers" captivant, matiné d'une balade surréaliste. C'est là, dans ces exercices de style que Mermet et Claude Dominique se rapprochent ou se croisent. 

Mermet a encore dans son sac à conter plusieurs épisodes de… Dans la ville de Paramaribo il y une rue qui monte et qui ne descend jamais… 


(demain suite et fin du feuilleton des vacances)

(1) Hebdomadaire de bande dessinée, créé par René Goscinny en 1959,
(2) France Inter, samedi après-midi, dimanche matin et après-midi, 1968-1990,
(3) "I comme beauté" Jacques Higelin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire