lundi 13 février 2017

Mali : théâtre des opérations vs théâtre des acronymes…

Si je ne connaissais pas Raphaël Krafft, le producteur de la nouvelle série documentaire sur France Culture (1) sûr que je n'aurais pas été trainer mes oreilles sur ces nouveaux docs consacrés à l'armée française. La chose militaire me rebute suffisamment pour n'avoir aucune envie de m'intéresser à la grande muette. Muette quand ça l'arrange bien évidemment. Mais voilà je connais le vélocipédiste en campagne, le "Captain teacher", le passeur… et plus si affinités.

Au Mali, décembre 2016, © Raphaël Krafft,


















J'ai écouté ses quatre documentaires, réalisés par Guillaume Baldy. Et, très vite, je crois avoir compris que Krafft, qu'on pourrait croire fasciné par l'armée, est surtout fasciné par les hommes. En Afghanistan, monter une radio locale fut le bon "prétexte" pour comprendre ceux qui se sont dévoués à une cause. Les Français et les Afghans. Allant jusqu'à intégrer (à l'époque) la Légion étrangère, Krafft se met en jeu pour côtoyer l'armée ailleurs que dans les salons où l'on cause à voix très basse, ailleurs surtout que dans les casernes.

À l'écoute du premier épisode de la série, la chose qui m'a beaucoup frappé c'est le jargon militaire. Cette "novlangue", absolument hermétique au profane, faite d'acronymes utilisés tous les cinq mots que même les intéressés ont quelquefois du mal à traduire. Heureusement le producteur impose à ses interlocuteurs de décoder. Ces sigles traduits, l'hermétisme ou la stupéfaction demeurent. Mais c'est sûrement le meilleur moyen, même sans uniforme, de se reconnaître d'une caste, d'un clan, d'une "famille". "On en est" et, si on en est, on devient vite accro aux acro…nymes. Quelquefois le producteur lui-même ne peut/sait plus faire autrement.

L'autre chose surprenante c'est l'emploi du mot théâtre. Auquel on accole celui d'opérations. S'il est évident que "sur le terrain" les acteurs sont bien là, de quel jeu peut-il s'agir ? Le jeu de la mort… qui tue ? Krafft l'évoque particulièrement avec ces jeunes engagés de 20 ans (2) à qui il fait raconter l'attaque du 27 novembre 2016 qui a failli être meurtrière pour un soldat de l'armée française, "blessé alpha", dont le véhicule sauta sur une mine.
Krafft, jeune renard du désert, creuse son sillon et, dans sa quête permanente, va chercher loin l'humanité même là où "on" ne la chercherait pas. Les hommes (et une femme) qu'il a fait parler n'apparaissent pas comme "des guerriers avides de sang et de vengeance" mais plutôt comme des missionnaires dans le sens de remplir une mission : servir la France. À cela je ne suis pas sûr que le titre de la série soit juste. Plus que l'armée ce sont les hommes de l'armée qui sont le sujet.

Krafft veut comprendre. Un pied dehors, un pied dedans. En être sans en être. Un peu comme quelqu'un qui, passionné de radio, creuserait son sillon, sans jamais passer de l'autre côté… du micro. Là, au Mali, Krafft était au feu au risque de sa propre vie (du 8 au 16 decembre 2016). Au plus près pour comprendre les ressorts de l'engagement militaire quand on quitte son confort quotidien. Et où l'essentiel, l'eau, demande aussi de mener des opérations dangereuses de ravitaillement.

Krafft est descendu au plus bas de l'échelle d'un conflit. Un groupe, une patrouille, une compagnie. Aurait-ce été possible à Verdun, sur la ligne Maginot, sur les plages du débarquement, au Vietnam ? L'armée aurait-elle laissé faire ? Là, Krafft a tutoyé l'armée et demandé à ses principaux interlocuteurs d'en faire autant. Plus proche, plus humain. Ce n'est pas un slogan.


Le CdG, depuis l'hélicoptère Lynx © Raphaël Krafft















Sur le Charles de Gaulle (fin novembre 2016), on sent et entend Krafft impressionné par le pacha, le commandant Éric Malbrunot. Mais le producteur veut surtout nous faire vivre la fonction essentielle du porte avion. Et de décrypter et décrire le décollage des Rafale. Une mécanique de précision. Ici comme au Mali, l'ordre, des ordres. Le désordre, lui, a très peu sa place dans l'armée sauf quand un soldat reconnait "aime(r) être dans sa crasse" dans des conditions d'hygiène très aléatoires. 

Pour le désordre je pense à Prévert. Le poète aurait sûrement fustigé les acronymes en un poème cinglant, un autre inventaire fait de VBL, d'OPEX, d'ENSOM, de BOAT, de GATS, d'IED, d'HPM, de PVP, de MCD, de FACQ, de VAB… (1) Et surtout de mots anglais qui, ici aussi, se sont imposés dans le langage courant : checker, blast, warning shot et le pathétique "Mae West" (3). Prévert, toutefois, aurait sans doute été attendri par ce piou-piou, soldat qui humblement se décrit physiquement et explique pourquoi ses camarades l'ont affublé d'un tel sobriquet.

Reconnaissons à Krafft d'avoir su faire sortir les hommes de l'uniforme pour ne pas dire de l'uniformité.










(1) "L'armée française : des rues de Paris au désert du Sahara", du lundi 13 au jeudi 16 février, 17h,
(2) Le deuxième documentaire "Au Mali faire la guerre à vingt ans",
(3) C'est l'occasion de suggérer à Perrine Kervran, coordinatrice des documentaires de 17h, de veiller à ce que les désannonces signent "La série documentaire" plutôt qu'un acronyme, un de plus, un chouïa dépassé,

(4) Du nom de l'actrice américaine, "en référence à sa généreuse poitrine, les aviateurs américains de la Seconde Guerre mondiale avaient surnommé Mae West leurs gilets de sauvetage" (source Wikipédia).

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