La très grande force des managères (de moins de cinquante ans) est de trouver les subterfuges pour, à Radio France, faire passer la pilule du dégraissage, de la diminution des moyens et tenter des économies de bout de chandelle… Pour casser méthodiquement la chaîne de production (ici la production radiophonique) et de continuer à empiler sans relâche armée mexicaine de cadres sur armée mexicaine de cadres. Le public, lui, voit et entend ce qui sort de la vitrine (et ça lui suffit). La vitrine ? La belle et imposante Maison de la radio. Un grand magasin somptueux. Aux étages, dans les couloirs, les bureaux de ce grand magasin on sert fermement la vis, on réduit les équipes de réalisation, on invente de nouveaux métiers comme les shampoings deux en un (opérateur de son + réalisateur) (1), on coupe de façon drastique dans les heures de programme et on rediffuse à tout va le jour-même. On détemporalise au maximum de façon à ce qu'à 4 heures du matin on imagine écouter un programme "de nuit" quand c'est une rediff' de l'après-midi. En dix ans les grandes manœuvres de la casse du service public radiophonique sont en boucle. Au risque de désespérer Billancourt, le personnel et un jour ou l'autre les auditeurs !
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Une vitrine pour le gouvernement et autres politiques
Les politiques de tous bords savent qu'ils ont table ouverte dans les matinales de la radio publique (et surtout sur France Inter). Ils ont trouvé, là, la meilleure chambre d'écho et conclu le deal du siècle. La radio y fait ses meilleures audiences, elle participe à la propagande et à la com' politique, en retour, les politiques (pas tous et pas le Rassemblement national) ont tout intérêt à ce que le service public radio continue d'exister ad vitam aeternam.
Qui peut supporter chaque matin, ad nauseam, les propos rabâchés, les éléments de langage, les punchlines à deux balles en boucle. Ces matinales enrobées avec une p'tite chronique musique, un humoriste, un éditorial superfétatoire, une chronique éco tendance et un tambour-major qui enfile le tout comme d'autres enfilent les perles. Deux heures anxiogènes tous les matins du lundi au dimanche. Mais grâce à ça la radio et Radio france peuvent plastronner, France Inter est la première radio de France !
Une vitrine pour les auditeurs
Auditrices et auditeurs de la radio publique ont les yeux - et les oreilles surtout - de Chimène. Ils se prosternent devant les podcasts de Philippe Collin, les roucoulades de Léa Salamé, les Odyssées de Laure Grandbesançon, les postures de Guillaume Erner et sont pliés de rire à l'écoute des humoristes (les drôles, comme les pas drôles du tout, voir les pathétiques chroniques). Tout ça ça fait du chiffre et c'est bon pour l'image de marque de Radio France. C'est bon pour calmer les assauts de la Cour des Comptes. C'est presque bon pour que Bercy ne taille pas encore plus dans le budget de Radio France. Cette mécanique du chiffre, imparable et perverse, en dit long de l'évolution de ce service public, contraint et forcé aux résultats "à tout prix", au prix même de privilégier la forme sur le fond !
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Maison de la radio : en construction ou en démolition ? |
Dans l'arrière boutique c'est une autre chanson
Son chef de rayon, Laurent Frisch (Directeur du numérique et de la stratégie de l'innovation) s'applique méthodiquement et scrupuleusement depuis dix ans à faire muter la radio en audio avec un hochet en or massif : le podcast. Meilleur faux-nez pour faire croire à la poursuite de la création radiophonique tout en, pour la radio de flux, :
Finies les années 90 et les brutalités assumées donnant lieu à des suicides. Les nouveaux managères (de moins de cinquante ans) s'emploient à faire passer la pilule des contraintes budgétaires suggérées par la Cour des Comptes et imposées par Bercy. Avec une méthode éprouvée et radicale : de la com', de la com' et de la com'. En 2015, pour ces nouveaux prophètes, la radio a vécu, il est temps de passer à autre chose. De plus agile (dixit Mathieu Gallet, Pdg de Radio France 2014-2018), de plus numérique, de plus audio (Sibyle Veil, Pédégère depuis 2018). En clair casser "la forteresse radiophonique" (1) et diminuer drastiquement la masse salariale.
Ces nouveaux héros de la révolution (numérique) vont donc redoubler de zèle s'employant à créer un nouveau modèle audio sur les "ruines" de la radio. Du passé faisons table rase. Tout est bon pour, de façon sournoise et tragique, arriver à leurs fins. Depuis dix ans la mécanique redoutable tourne à plein régime et le personnel est invité lui aussi à muter en rejoignant les équipes du numérique. Bienvenue dans la jungle ! Tout pour le numérique rien que pour le numérique. Quelques petits rigolos et autres rigolotes se haussent du col en parlant de digital (2).
Création radiophonique vs IA
Jacques Santamaria, ancien Directeur de France Inter (1996-1999) et créateur des Ateliers de Création Radiophoniques Décentralisés (3) au milieu des années 80, rattachés aux locales de Radio France, qui ont produit des centaines de documentaires, pourrait tomber de l'armoire en apprenant que la Direction du Numérique (à Paris, forcément à Paris) pourrait "adjoindre des voix générées par une
IA dans la future collection de podcasts "Partir". L'idée serait d'utiliser un robot pour compléter les propos de l’animateur afin de guider
l’auditeur" (4). C'est un début et une triste fin pour l'intelligence humaine. C'est un test grandeur nature. Ce sera à qui le tour après cet essai ?
Des auditrices et des auditeurs pour quoi faire ?
Pour auditer ! Se distraire, s'informer, se cultiver. Mais comment ne pas voir (ou entendre) ce qui se joue autour, se qui se joue derrière l'écran de fumée de la diffusion. Peut-on, doit-on juste être des consommateurs sonores ? Ne doit-on pas s'interroger de pratiques qui, tôt ou tard, en auront fini avec la fabrique de la radio, les équipes de réalisation ou quand il n'y aura plus personne derrière la vitre pour être accompagné-e et soutenu-e au micro ?
Kriss : “La réalisatrice [Michèle Bedos, ndlr] me regarde, elle a tout entre les mains, si elle se trompe, l'émission bégaie (...) Jusque là on a tout prévu ensemble. Maintenant, on joue chacune d'un côté de la vitre. Question de confiance.” (in "La sagesse d'une femme de radio", Jean-Claude Béhar Éditions, 2006)
À suivre…
« L’un des services essentiels » : près de 2 000 élus cosignent une tribune sur l’audiovisuel public…
(1) Comme il y a eu "La forteresse ouvrière" à la régie Renault, année 60 à 80,
(2) Comme le roi du "soft-power" à Radio France, Frédéric Martel,
(3) Aujourd'hui appelés "Studios de création", ils sont au nombre de 4 dans les régions, Grand Ouest, Grand Est, Sud-Ouest et
(4) Motion ICI, février 2025,
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