mercredi 24 février 2021

Parentalité : une bonne claque… (aux certitudes)

Et Delphine Saltel, documentariste, de remettre le couvert pour pousser encore plus loin le bouchon des phénomènes de société, comment ils nous interrogent au quotidien et comment elle se met en 'je" pour tenter quelques amorces de réponse qui passent par l'acceptation du "pas de côté" où comme le disait fort bien "L'an 01" de Gébé "On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste"…

Désolé pas trouvé les crédits de l'auteur-trice de ce dessin









Se mettre en "je" pour Saltel c'est aller assez loin, voire très loin. Pour cet épisode sur la parentalité (Part 1), elle a poussé les constats jusqu'à faire "témoigner" ses propres enfants ! Fallait oser. C'est à la fois d'une grand honnêteté et un exercice de haute voltige. C'est à la fois une étape d'un long processus éducatif et la nécessité absolue de ne pas vouloir continuer à être dépassée, stressée, K.O.. Soit engager la panoplie des questions (les bonnes, les mauvaises) et essayer de trouver les réponses (les bonnes, les mauvaises).

Fichtre, c'est passionnant et c'est pas gagné. Mais c'est courageux et honnête. On est loin des recommandations tendance "développement personnel", de la méthode Coué à deux balles ou de "la parentalité pour les nuls". Plutôt que de monter sur la table et d'annoncer qu'"on a tout faux" Delphine Saltel scrute sa propre histoire (et celle de son conjoint). Pour questionner ce qui taraude nos quotidiens, plombe notre culpabilité, tendance "bras ballants", fatalistes en invoquant le mantra inusable "Ça ira mieux demain !".

Saltel, sans détour, n'y va pas par quatre chemins (allégorie) et son auto-critique - subtile et de bon sens - pourrait nous aider à remettre les choses à plat. Cet épisode de sa série "Vivons heureux avant la fin du monde" fait du bien, en bousculant quelques certitudes ancrées, quelques angoisses cachées, et autres renoncements honteux. Delphine Saltel ne donne jamais de leçon, à chacun d'attraper l'une ou l'autre des clochettes qu'elle fait tintinnabuler à nos oreilles.

Mais vraiment, je n'hésite à le redire, cette parole nous touche là où ça fait mal (et où ça peut faire du bien). Ce "je", mis en jeu renouvelle questions et réponses, pour lesquelles en leur temps, à travers leurs émissions de radio interactives, Ménie Grégoire (RTL, 1967) et Françoise Dolto (France Inter, 1977) tentaient d'y répondre .

Voir nouvelle édition ici




















Épisode 2
Delphine Saltel :"Quand j’embarque à bord d’un train avec mes deux enfants j’aime bien regarder la tête du voyageur déjà confortablement installé quand il comprend qu’il va devoir passer 3h1/2, assis là, dans le «carré famille» juste à côté de nous. Y’a d’abord un voile de désespoir qui passe dans ses yeux et puis en général il prend illico la fuite vers le wagon bar…" Pour nous remettre dans le bain, Saltel pose l'équation : "Comment faire supporter aux autres le tonus de nos enfants et surtout comment ne passe sentir en permanence coupable !

Comment renoncer à être un parent parfait ? Et une citation de Florence Foresti tombe à pic ! «Mais en vrai dans la vie la plupart du temps j’y arrive pas !». Dans cet épisode la documentariste interroge les effets de l’éducation positive… sur soi, sur les autres parents, sur le regard permanent des adultes qui jugent le comportement des enfants et celui de leurs parents.

Saltel met en parallèle les principes de l’éducation positive et la réalité de cette éducation qui permet à l’enfant de se réaliser et, surtout, de "ne pas être sage une image». Pédagogue elle (se) pose les bonnes questions et nous aide à entrevoir des réponses, un peu plus loin que la la/les lectures de livres aux formules magiques ! La fonction parentale s'étant transformée en métier, celle-ci ne cesse de culpabiliser les parents désemparés par les injonctions contradictoires de méthodes toutes plus positives les unes que les autres !

Voilà ce qui devrait nous permettre de moins se ronger les sangs ! Prendre un peu de distance voire même de la hauteur !

mardi 23 février 2021

Jouer, danser… lire ! Écouter…

Avec Blonde ça a tenu quatorze jours et quelques nuits. Ça pouvait pas tenir plus longtemps, même si j'aurais aimé que ça dure des mois. Je connaissais la fin. J'ai eu beau ralentir mais ça n'a rien changé. On ne peut pas réécrire l'histoire quand tout est joué. Après ça, je me suis donné trois jours. Là où nous dansions. Et j'ai dansé presque sans m'arrêter samedi, dimanche et hier lundi. En dix sept jours j'ai fait le grand écart. D'ouest en est. Hollywood, Détroit. Entre les pages j'ai tout revécu. Presque un siècle. Mais ce n'était que quelques années pourtant. Avec la voix de Marilyn et celle de Judith.











Vingt ans que je m'étais dit qu'il fallait que j'entre dans le grand roman de Joyce Carol Oates. Vingt ans ! Pourquoi avoir attendu si longtemps ? J'sais pas. C'est fait maintenant. Et je repartirai bien dans les neuf-cent-quatre-vingt pages de "Blonde" en marchant plus doucement, même si, malgré tout, après chaque page, quelque chose de puissant s'incrustait en moi. Marilyn connue, inconnue.

Pendant cette lecture j'ai revu trois films de ses débuts et réécouté trois ou quatre de ses chansons. Pour ces films je l'ai regardé autrement même si j'ai déjà beaucoup lu de choses sur elle. Je l'ai regardé autrement car J.C. Oates raconte autrement et, il y avait quelque chose à voir même si Marilyn est impeccable dans ses rôles. Il y avait l'histoire autour de Marilyn et Marilyn. Et j'avais aussi besoin de sa voix pour accompagner ma lecture. Pour d'une certaine façon être raccord ou retraverser… sa vie.











Par contre la voix de Judith Perrignon je la connais. À l'occasion de grandes traversées sur France Culture elle nous a fait voyager jusque chez Sinatra et Springsteen. J'aime sa façon de raconter. Elle laisse son sujet prendre "tout l'écran". À côté, elle raconte. Quelquefois chuchote et nous entraîne sur ses pas. Quelquefois on danse ou on danserait.

"Là où nous dansions" son nouveau récit nous plonge à Détroit dans les glorieuses de "Motor town"et dans sa chute tragique à travers le destin d'inconnus qui s'entremêlent avec en trame les stars de la musique. Stars qui avant d'en être vivaient dans les cités où les Noirs auraient bien voulu ne pas être ghéttoisés. Perrignon tricote avec maestria les histoires simples "de gens de peu" qui croisent les histoires à paillettes de ceux qui sont d'abord d'ici, des quartiers et des tours que des années plus tard, la ville a fini par raser, tant la faillite industrielle a fini par tout laminer.

Je ne veux pour aucun de ces deux livres vous en raconter l'histoire et je ne sais pas critiquer la littérature. Mais d'une certaine façon j'ai envie de vous dire que ces deux livres ont une voix et que je ne pousserai pas le pléonasme au point d'en demander une série, un feuilleton, un documentaire ou un… Vous savez cette chose à la mode qui prétend réinventer l'audio. Oui une voix qui, si on l'imagine ou si on la connaît, a le soul. Et cette petite musique intérieure chamboule la lecture au point qu'on aimerait dans un cas comme dans l'autre que l'histoire ne s'arrête jamais.

"On dit souvent qu'à Detroit le bruit de l'industrie a influencé la musique".

Et dans les deux cas elle s'arrête. Mais la musique ne s'arrête pas. Forcément Judith Perrignon m'a donné envie de réécouter The Supremes, John Lee Hooker, Martha and the Vandellas et d'autres artistes Motown. Son récit nous fait revenir aux sources. Et ces tours du Brewster Douglass Project, que je ne visualise pas, où plusieurs des protagonistes ont vécu, m'évoquent les cités de mon enfance et ce qui y circulait pour tenter l'utopie de "Changer la vie, changer de monde". 

Il fallait entendre cette histoire enfouie dans le magma de l'essor industriel, de la misère et du racisme qui, elle aussi, aurait pu disparaître. Rasée en quelques minutes. Pourtant troublante. Minuscule et énorme d'humanité. Il fallait la raconter et Perrignon l'a fait délicatement et subtilement. Humblement, comme si elle nous avait soufflé à l'oreille cet "instantané d'Amérique" qui en dit si long sur son histoire. Comme un blues à fleur de peau.

• "Blonde" de Joyce Carol Oates, 2000, Stock,
• "Là où nous dansions" de Judith Perrignon, 2021, Rivages.

lundi 22 février 2021

"J'écris dans ma voix"…

Je ne lâche jamais tout à fait le fil de ma petite pelote radio et même quand, - ça ne tient qu'à un fil - , il devient un peu lâche, je le rattrape, il me rattrape par l'oreille, en coin, en clin d'œil ou aux tripes. Vendredi dernier, deux choses m'ont propulsé dans les abîmes de ma mémoire. Un présentateur de TV annonce que son invitée a fait de la radio. Et un peu plus tard (via Twitter) avec une auditrice j'engage une "conversation écrite" sur la voix. Il ne m'en faut pas plus pour m'y remettre. Pour chercher dans mes propres billets ceux qui vont bien. Et pour chercher dans mes archives qui était donc cette voix que je connais pas… ?








Vendredi soir, dans son émission "Quotidien" (TMC), Yann Barthès annonce en recevant Michèle Halberstadt, qu'elle a fait de la radio… De la radio mais où ça? C'est parti. Creuse, creuse, creuse ! Et de découvrir que c'est sur Radio 7 qu'elle a donné de la voix. Et, le 20 mars 2010, sur "Mégahertz" (1) qu'elle a raconté une partie de l'aventure de cette radio de Radio France créée le 2 juin 1980 et à qui "on" a coupé le sifflet en février 1987. Inaudible pour les auditeurs hors-Paris. J'ai le podcast de l'épisode "Radio France face aux radios libres : Radio Sept et Radio Mayenne". J'écoute !

Bim ! Joseph Confavreux, le producteur de l'émission, dès sa prise d'antenne qualifie Michèle Halberstadt de "Castafiore", son surnom de l'époque que lui a donné Françoise Sagan. On ne se refuse rien ! Et dans les archives, il nous donne à entendre les fous-rires de Clémentine Célarié (2), autre figure et voix de cette radio avant qu'un jour elle ne vienne sur Inter, officier avec Julien Delli-Fiori !

 Merci à Hervé Marchais pour le jingle ci-dessous, blog Le Transistor, à voir absolument !

Au cours de ce "Mégahertz" Françoise Dost, ex-directrice de Radio Bleue (seniors) créée aussi en 1980 (et qui existera pendant 20 ans) évoque avec Michèle Halberstadt l'offre de segmentation des radios, impulsée par Jacqueline Baudrier, Pédégère de Radio France (1975-1981). Idée venue des États-Unis et qu'il était temps de mettre en œuvre en France en pleine période de radios-pirates à ondes continues.

Ah la magie des archives ! Je regrette de n'avoir pas connu avant Michèle Halberstadt, mais comment cela aurait-il été possible ? Elle dit des choses essentielles sur la "radio jeunes" où "il ne fallait pas avoir un ton jeune, mais avoir juste notre ton habituel de moins de 25 ans !" et l'anecdote où, Parisiennes et Parisiens, le 8 décembre 1980, viennent le soir à Radio 7 partager leurs souvenirs de John Lennon assassiné la veille au soir à New-York (3). Je reviendrai bientôt sur cette Radio 7 !

Et puis réécouté "Jusqu'au bout des voix" de Caroline Ostermann, la dernière de son émission d'été de 2011. Outre la parole de Chancel, c'est vraiment sympa et émouvant de réentendre Bouteiller, Bozon, Fellous, Guillebeaud, Pelletier, Veinstein, Adler et Foulquier… chanteur. Où l'on mesure comment la radio se faisait à la voix (pas à l'image) et, comment ces voix s'installaient dans notre panthéon radiophonique for ever. Et, comme il m'arrive aussi d'écrire pour causer dans le poste, je trouve pertinente la formule de Bouteiller "J'écris dans ma voix". Car comme le dit Gilles Davidas "La radio... Ça se pense, ça s'écrit, et ça se dit" (voir le commentaire)

(1) Le samedi sur France Culture, 14h30, 2009-2010. En profiter pour redire que "Mégahertz" c'était vraiment bien !
(2) Sélection de sons par Anaïs Kien, productrice à France Culture dans les émissions "La fabrique de l'histoire" et "Le cours de l'histoire", et lire le commentaire ci-dessous qui concerne Clémentine, 

(3) Le producteur les interpelle sur les voix féminines à la radio, je regrette qu'Halberstadt & Dost aient oublié qu'en 1980 il y avait à la radio publique et à France Inter : Annick Beauchamp, Anne Gaillard, Macha Béranger, Kriss, Claude Dominique, Paula Jacques, Eve Ruggieri, Agnès Gribes, Eva Darlan, Marie-Odile Monchicourt, Christine Lamazières, Leslie Bedos, Muriel Hess,

mercredi 17 février 2021

Faites entrer l'accusé…

Mardi 16 février 2021. Début d'après-midi. J'apprends par un de mes contacts que Mathieu Gallet (ex Pdg de Radio France, 2014-2018) serait l'invité de l'Instant M. de Sonia Devillers, aujourd'hui sur France Inter. What happens ? Gallet venait-il annoncer son acquisition d'Europe 1 dans quelques heures, au goûter ? L'ouverture d'un centre de "bien être" sur les toits de la Maison de la radio : "Majelan well being" ? Ou plus simplement qu'il se retirait dans un monastère bouddhiste pour son développement personnel, emportant avec lui pour toute lecture un exemplaire dédicacé de "Tintin au Tibet" ? À ces hypothèses archi-probables il fallait s'attendre à quelque chose de moins glamour et de plus tragique. Wait !

Détroit de Magellan









Eh bien, en attendant, j'ai, hier soir, regardé sur Arte le formidable documentaire (en 3 parties) sur Murdoch, le magnat de la presse et de Fox News, et je me suis demandé pourquoi L'Instant M n'en avait pas fait la promotion ? Pourtant, depuis sept saisons, Devillers nous a fait partager sa grande passion pour la télévision (1) et aussi pour la presse pour laquelle, au Figaro, elle a travaillé au début de sa carrière de journaliste. Mais comment L'Instant M  pouvait faire l'impasse sur un tel documentaire ? Que la journaliste aurait défendu avec passion comme cela lui arrive si souvent d'être enthousiaste pour les sagas, les empires (de presse) ou les "phénomènes" médiatiques. Pour nous en parler, il aurait alors juste fallu que l'invité de mardi, Pierre Louette (2) attende mercredi pour présenter son livre. Et Gallet, attendre jeudi ou vendredi prochain pour s'exprimer ! Une question de planning donc. Mais pas que sans doute.

C'est là que je ne comprends pas. Gallet serait donc si important à recevoir ? Pourquoi ? Et surtout avec quelle justification éditoriale ? Empire Murdoch vs Empire Gallet y'a pas photo, si ? Ce n'est pas la première fois, depuis sa révoquation par le CSA de son poste de Pdg de Radio France en 2018, que Gallet est invité (ou s'invite ?) à France Inter. Mais pour quelle actualité essentielle ? Il est 9h40, je guette, fébrile l'indicatif de l'Instant M. que je vais regarder en vidéo…

Où l'on apprend que Gallet en voyage à Seattle en 2017 a entendu des voix. Bigre ! Et pas n'importe lesquelles. Celles d'Alexa et d'Amazon (3). Bernadette Soubirou, sors de ta grotte si tu veux rester une icone. On ne sera pas surpris des choix de Gallet (4) qui aussitôt plaide pour un "Airbus de la création culturelle" ça plane pour lui et, pour son gourou absolu en la personne de "Digital". Qui ne tardera plus à devenir Saint, puisque lui aussi va entendre (et rediffuser) des voix. 

Warning (on est en avion, OK), citation 1 : "La voix va remplacer le clavier". (Petite paranthèse : les célèbres clavistes de Libé sont bien mortes : ndlc/note de la claviste).  Citation 2 : "La voix est la prochaine frontière digitale " ! Waouuh accrochez vos ceintures dans l'Airbus culturel, va y'avoir des trous on air. On reconnaîtra à M. Gallet une aisance particulière pour asséner des concepts et autres formules (il nous a épargné le déjà démodé "agile") qui vous posent quelqu'un dont on pourrait croire, a minima, qu'il a au moins fait l'Ena ou le M.I.T. ! Et cerise sur le gâteau le "commerce conversationnel" à ne pas confondre avec le "café du commerce" ! Rien à voir (ou à entendre). Une dernière pour la route "L'Europe est en train de sortir de l'histoire !". Gasp ! Fukuyama accroche-toi !

On se fera un petit coup de nostalg' avec la C.B. (Citizen Band) que Gallet qualifie de premier réseau social, ce qui n'est pas complètement faux. Sans oublier au passage la "plateforme"!  Mais si vous savez ce machin qui va sauver l'Europe et, sans-doute le reste du monde, des Gafa. Tra la la ! Tra la la ! On écoutera avec attention l'oracle !

Dans sa présentation liminaire de l'"Affaire Gallet" (5) regrettons que Sonia Devillers n'ait pas précisé que les faits qui lui étaient reprochés et jugés concernaient sa Présidence de l'Ina. Et que c'est le CSA qui l'a révoqué en janvier 2018. De venir à France Inter ce matin aura permis à Gallet d'utiliser une tribune pour annoncer que "La  Cour d'Appel de Paris a supprimé la peine de prison avec sursis… pour une erreur de procédure".

Je persiste et je signe, il n'y avait aucune urgence à inviter Mathieu Gallet ce matin !

(1) Sur 119 émissions depuis le début de saison, 66 concernent la TV, 20 la presse, 6 l'édition, 11 la société, 14 les autres médias (dont 1 radio avec Sibyle Veil, Pdg de Radio France)
(2) Pour son livre "Des géants et des hommes", Robert Laffont, 2021,
(3)Vous irez voir là où il faut si vous ne connaissez pas !
(4) Qui, on l'apprendra au cours de cette émission, parle à l'oreille de "Maurice" (Levy) ex-Pdg de Publicis, 
(5) Le CSA  "a en particulier estimé que pour assurer dans de bonnes conditions la gestion d’une société détenue à 100 % par l’Etat, il importe que les relations d’échange et de dialogue entre les représentants de l’Etat et le président-directeur général de la société soient denses, confiantes et permanentes, dans un contexte de réforme majeure de l’audiovisuel public annoncée par le pouvoir exécutif. Le Conseil est particulièrement sensible aux questions de déontologie, de prévention des conflits d’intérêts et de moralisation de la vie publique qui sont des préoccupations fortes des citoyens et des pouvoirs publics. " 31 janvier 2018, 

Dès que le player sera exportable il sera publié ici ! En attendant !

mardi 16 février 2021

Dans l'arrière-cuisine et en haut de l'échelle…

Ça ne se voit pas ! Le personnage est discret mais à Radio France c'est un petit roi ou un cador, c'est selon ! Et surtout le grand public ne le connaît pas. Et ça, ça vous met à l'abri des médias et vous permet d'être -ni vu, ni connu - le chevalier blanc de la Pédégère Sibyle Veil qui, elle, brille par son manque d'éloquence, de conviction et d'empathie pour la chose radiophonique. À part ses messages surgelés, l'énarque (promo Macron) enfile les perles et désespère Billancourt, La Courneuve et Saint-Jean-Trolimon pour ne pas dire la France entière ! Amen… Mais elle a "son" Laurent Frisch, directeur du numérique et de la production, autant dire de Radio France. Et Laurent Frisch, on va le voir, n'a pas les deux pieds dans le même sabot !



Il aura fallu un discret article d'une revue professionnelle audiovisuelle "La letrre A" (1) pour mettre à plat les ambitions et les projets de M. Frisch qui, bien sûr, en disent long sur l'avenir à court terme de la radio publique ! Festival d'extraits de l'article cité !

"Les ambitions de Laurent Frisch, le patron du numérique de Radio France, entrent en collision avec une vision plus traditionnelle de la radio." (1)
Ça démarre fort ! Les choses vont être traitées de façon binaire. Les tenants bien connus de la "radio de papa", du conservatisme et du refus du progrès, par exemple "les syndicats" (2) et les modernes arc-boutés sur l'autel du numérique et qui comptent bien transformer radicalement la "fabrique de la radio" au risque d'en déboulonner les principes fondateurs. Ceux qui consistaient par exemple à concevoir les émissions de radio en équipe. Productrice/animateur, réalisatrice/réalisateur, technicien-ne son et surtout, au delà des métiers et des compétences, bénéficier de plusieurs oreilles, plusieurs écoutes pour partager/confronter des points de vue !

Voilà donc un cadre supérieur, Frisch, investi de pouvoirs exorbitants, sur le numérique et la production, qui, sans l'ombre d'un doute, va influer et influencer les politiques de développement de ce service public audiovisuel qu'est la radio. C'est quoi l'hégémonie ou l'impérialisme ? Ben, fastoche, tu montes sur la table et avec ton porte-voix en or massif tu hurles "Dorénavant ce sera comme ça !" Et le "ce sera comme ça" convient parfaitement aux tutelles (Finances, Culture) et à la représentation nationale (Députés et Sénateurs) tant que l'objectif drastique de la diminution budgétaire est appliqué, que la paix sociale est établie et qu'en sous-main la mécano de la holding va bon train.

Par-dessus tout ce qui intéresse "ces gens-là" ce sont les résultats pas la démarche. Méthode éprouvée du libéralisme tout-puissant, de la reconnaissance au mérite et des podiums permanents de Médiamétrie et autres colifichets de récompenses corporatistes. Comprenez : personne ne viendra contester le "prince hégémonique" (soumis à l'hégémonie du numérique) tant que l'image de la radio et ses vedettes sont au plus haut. Gare si jamais RTL ou Europe 1 voulaient reprendre le leader-ship ! À moins du coup de Trafalgar attendu de Vincent Bolloré avec le rachat d'Europe 1 et dans l'incertitude où se trouve aujourd'hui RTL, il faudra sans doute plusieurs mois pour que ces généralistes refassent course en tête ! Tout bonus pour Frisch qui a donc un boulevard devant lui !



"Projet "Prod'cast". Il souhaite étendre le concept de "journaliste à 360 degrés", soit d'augmenter la polyvalence des effectifs de Radio France." (1)
Si "l'objectif est de rendre un journaliste capable à la fois d'intervenir sur le support radio et de produire pour le web du texte, de l'image et de la vidéo" (1), il va falloir re-re baptiser Radio France en Bergerie Nationale, là où l'on trouve brebis et moutons à 5 pattes ! C'est extraordinaire, cette façon de savoir tout sur tout et, surtout de parachever la mue de la radio publique en lui imposant de se fondre dans ce que d'aucuns appellent un média global (3), soit mettre de l'image à la radio ou, comment tout rouler dans la farine et jeter aux gémonies la puissance centenaire du média audio ?

"Le projet prévoit également une plus grande autonomie pour les techniciens et les réalisateurs, afin qu'ils travaillent davantage seuls et non plus en binôme sur les émissions de la radio publique." (1)
Qu'est-ce que c'est que ce charabia dialectique ? Chaque professionnel de Radio France est autonome avec ses compétences et ses savoirs-faire. Travailler en équipe n'est pas antinomique de l'autonomie, si ? Ce sont les savoirs-faire complémentaires et additionnés qui permettent la fabrique de la radio. La notion d'équipe est l'ADN même de la radio. S'il fallait vous en convaincre lisez donc la conclusion de mon billet de dimanche !

Et quel dommage que M. Frisch, si corporate avec les autres médias publics audiovisuels, n'ait pas eu la bonne idée de nous inciter à regarder vendredi dernier le formidable documentaire d'Arte "Making wawes : la magie du son au cinéma". S'il l'avait vu, il serait tombé de sa chaise en découvrant comment réalisateurs et ingé-son travaillent ENSEMBLE à la fabrication d'un film. Et, quand bien même le réalisateur radio ne fait pas le même métier que le réalisateur de cinéma, personne n'a jamais eu l'idée saugrenue et absurde de mixer les deux métiers en un seul. Mais la mécanique implacable de la diminution des moyens étant en marche à Radio France depuis 2014, Frisch n'a pas l'intention d'aller à contre-courant (4) !


Mais sachez, M. Frisch, que vous feriez un piètre magicien car vos ficelles sont un peu grosses. Ce ne sont d'ailleurs plus des ficelles mais des câbles d'acier de gros calibre que vous utilisez pour arriver à vos fins. Non content de cumuler la direction du numérique et de la production, vous voulez aussi, sans doute, faire office de super DRH et éliminer le plus possible de professionnels spécialisés en inventant des métiers qui, à terme, vont permettre de faire diminuer la masse salariale… ? À moins que les salaires astronomiques de l'armée mexicaine de cadres (qui n'en finit jamais de grossir) qui siègent à Radio France en empêche toute diminution effective. 

Voilà donc, chers auditeurs, ce qui se joue dans la coulisse et dont vous n'entendrez très peu parler. Pourtant, viendra bien le temps où les Veil, Frisch, Giret, Guimier (ce dernier aujourd'hui à France Télévisions) devront rendre des comptes. Pas sur les audiences qu'ils portent en sautoir, mais sur la destruction des savoirs-faire de la fabrique de la radio, au bénéfice d'un audiovisuel tout écran, pour lequel l'imaginaire que développe la voix aura définitivement disparu.

(1) "Numérique: Laurent Frisch, le cadre qui imprime sa marque chez Radio France",12 février 2021,
(2) "Les syndicats craignent une nouvelle organisation qui remettrait en cause certains métiers et provoquerait des réductions de personnel"article cité,
(3) Les gourous Gallet (ex-PDG), Guimier (ex Dir France Info), Giret (ex Directeur de France Info, directeur de l'information à Radio France depuis décembre 2020). Après la 3G, les 3G donc. Pour ce qui est de la 5G ça ne devrait plus tarder !!
(4) "Les syndicats ont manifesté leur opposition à ce projet. Les élus craignent un alignement sur le privé, qui mobilise moins de moyens", article cité.

lundi 15 février 2021

"Quand j'entends le mot culture je sors mon transistor…"

Il aurait fallu du panache (et une culture radiophonique) à M. Hervé Gardette pour, dans sa chronique quotidienne de la matinale de France Culture, vendredi dernier, citer la maxime de Jean Yanne que j'ai reprise dans mon titre ! Ce très bon mot, Jean Yanne en avait fait une émission dominicale sur Radio-Luxembourg qui deviendra RTL (1). Mais comment aurait-il pu citer RTL puisque, nous racontant sa vie dans sa salle de bain, il cite "Mychèle Abraham" sans nommer la chaîne Europe 1, et "Michel Touret" sans citer France Inter. Tout ça pour parler de radio mais en prenant bien soin de ne pas citer des radios… "concurrentes" !



C'est juste à pleurer, comme sont à pleurer ces "Chronicroquettes" dont, bien souvent, chroniqueuses et chroniqueurs se servent pour parler à la première personne et nous faire accroire qu'avant Hunter S. Thompson ils ont inventé le journalisme gonzo ! Piètre culture, piètre France Culture qui donne plutôt envie de jeter son transistor par la fenêtre !

Gardette voulait nous faire savoir que "les moins de 25 ans ne sont plus que 63% à écouter la radio" et, pour cela, il a cru bon de mettre en scène "sa salle de bain, son fils, ses différents objets qui diffusent chez lui de la radio,… et ses souvenirs d'auditeurs" mais heureusement nous n'avons pas su si, en se rasant, il y pensait tout les jours. Quant à être rasoir…

Ces chroniques telles qu'elles existent aujourd'hui à la radio sont juste de l'anti-radio. Le gadget de Pif ou le cadeau Bonux (2). Certains me disent qu'elles permettent de mettre du rythme à l'émission dans laquelle elles sont diffusées. Elles permettent surtout de casser le rythme, de torpiller le temps long et de plomber le sens de ce qu'on vient d'entendre juste avant. C'est vrai pour la matinale de Culture comme pour celle d'Inter ! "Détendez-vous chers auditeurs, on va tous mourir mais en attendant prenez donc une pilule de diversion."

Pour citer un seul petit chiffre "63%… ", il aura fallu 3' de Gardette pour ne rien dire. Alors que c'était l'occasion d'encourager la radio pour ne pas la laisser être (trop) distancée par la délinéarisation, si l'on est convaincu que sa temporalité fait (encore) partie de sa vie, de ses jours et de ses nuits.

Quand j'entends France Culture, je ferme de plus en plus souvent, mon transistor… et j'écoute ça :

(1) "Entre 64 et 69, il partagera la France entre les "blanchistes" fidèles de Macheprot et les "yannistes", non moins fervents auditeurs des faux sermons de Bossuet, l'aigle de Meaux (Seine et Marne) et des affreux jeux de mots proférés avec l'accent faubourien et la voix rocailleuse de l'inimitable créateur du sketch du "Permis de Conduire"." in "Les années radio, Jean-François Remonté, Simone Depoux, L'arpenteur, 1989,". Jean-François Remonté, réalisateur à Radio France, qui deux étés successifs nous fera découvrir sur France Inter des pépites d'archives radiophoniques !

(2) Dans chaque numéro de Pif (hebdo) il y avait un gadget et dans la lessive "Bonux" un cadeau… tout aussi gadget !

dimanche 14 février 2021

À titre indicatif…

Un samedi soir sur la terre… radiophonique ! Vous étiez où ? Vous étiez là ? Dans l'indicatif radio ? Vous savez celui qui vous dresse les poils et vous téléscope - radioscope - dans la galaxie des mille, mille souvenirs, mille, mille émotions, mille, mille étoiles au firmament de votre mémoire intacte ? Qui frémit à la moindre note ? À la première note. Victoire de la musique avant celle de la voix. Qu'on attend. Qui va venir. Qui est là. Mot de passe pour entrer en complicité. En amitié ou en amour. Féminine ou masculine. Tendre ou câline. Elle sonne les retrouvailles d'un rendez-vous qu'on ne peut rater, qu'on ne doit rater. Qui souvent consacre son moment à soi. S'installe dans son jardin secret. À l'abri des oreilles indiscrètes. L'indicatif est un diamant qui brille de nos oreilles à nos yeux.

Clin d'œil à Claude Villers qui, pour les saisons 71/72, 72/73, 
animait l'après-midi sur France Inter "À plus d'un titre", 
sa première émission radio…











Hier soir sur la terre Fip, Jane Villenet (animatrice), Denis Soula (réalisateur) et Pierre François (programmateur) ont fait leurs gammes sur les indicatifs d'émissions, à la radio publique comme pour quelques privées, qui ont marqué leurs époques et les ont inscrit au patrimoine radiophonique. Déroulons le fil en accéléré et après réécoutez-le donc à la bonne mesure.

Le Pop (Club), José Artur, Gainsbourg, Birkin. Accroche imparable pour s'installer dans l'azur, l'azur, l'azur. Et du monstre sacré et volubile, Neal Hefti et son Girl Talk nous propulse dans les Embouteillages, Le magazine de Pierre Bouteiller que, ni lui ni personne, n'ont jamais appelé comme ça (1). Puis, L'Humeur vagabonde, glisser soft et trouver la beauté, la Finding beauty de Craig Armstrong et de Kathleen Evin. Et en sortant, filer au Palladium avec Ferré qui, quelques années avant, le temps d'une chanson avait nommé plusieurs animateurs et plusieurs chaînes de radio (2)…

Au cœur de la nuit, Gonzague Saint-Bris subtil pose le piano d'Erik Satie et sa Gnossienne n°1 et, Europe 1 donne à entendre les confidences intimes des auditeurs quelques années avant qu'Inter s'y emploie à son tour. Et il n'y aurait qu'un pas à faire, pour, sur le pavé luisant, rejoindre sous son réverbère Gato Barbieri, au sax, et Europa qui (aussi bien que Santana son créateur) déchire la nuit et le Pollen de Jean-Louis Foulquier. P… là si vous les avez pas les frissons ? Mais avant, il nous avait fallu passer aux rayons X des Radioscopie(s) de Chancel (3), emmenées guillerettes par Georges Delerue.

Revenons, tous ensemble, tous ensemble, ouais (L'an 01, Gébé et Jacques Doillon) Les pieds sur terre, sur France Culture avec Sonia Kronlund, les Troublemakers et Get misunderstood. Et, entre les oreilles, un p'tit Radio gaga de Queen peut pas faire de mal, ni même le Widows by the radio de Perry Blake. La nostalgie, camarade ! Et d'Oxigène à Hexagone, d'un Hit-Parade d'Europe 1 à un jingle de France Info, Jean-Michel Jarre façonne et égrene sa musique qui, très tôt, s'était immiscée dans le programme musical de la toute jeune Fip.

Brigitte Fontaine










Il fallait bien les Daft Punk et Veridis quo pour goûter à L'heure bleue, de Laure Adler, France inter, même si, à cette heure-là, la radio nous incite (beaucoup trop) à regarder la TV ! On the radio qu'on vous dit et, comme le chante Donna Summer. Et que brille. à jamais la boule à facettes ! Quant à Wigwam de Dylan, Gérard Klein en a usé et abusé pour plusieurs de ses émissions sur Inter, sur Europe 1 et peut-être même sur RTL, qui sait (4) ? Mais, comme le dit très bien Jane Villenet, j'ai moi aussi longtemps cru que c'était le facétieux Gérard qui chantait !

Apparté : En 1979, gamin, j'arborais fièrement le badge (fond noir, lettrage blanc) "Look sharp" offert avec le pressage 25cm de l'album éponyme de Joe Jackson qui dans son prochain album "I'm the man" chantera "On your radio".

Pochette de l'album, inclus Wigwam
















Allez un p'tit coup d'Afrique enchantée, quand Soro Solo et Vladimir Cagnolari ont enthousiasmé nos dimanches sur France inter et à défaut d'indicatif, Amogo radio d'Amadou et Mariam va bien, très bien même ! 
Et bim, voilà que le Concerto pour piano n°21 en Ut Mak K 467 2, Andante de Mozart, effleure nos oreilles et Allo Macha "réapparaît" aussitôt ou plutôt, la voix si grave de Macha Béranger nous incite, illico, à composer le 524 71 00 (je vous parle d'un temps !)…  

Mais ce panorama, dans la machine à remonter le temps, ne pouvait faire l'impasse sur Salut les copains où Daniel Filipacchi sur Europe1 a, chaque jour de la semaine, détourné de leurs devoirs scolaires, tant et tant d'enfants au début des années 60. OÙ, s'invitait à l'heure du goûter Last night des Mar-Keys pour, soixante après, ne plus jamais oublier cet indicatif !

"Relax, Max !" soit un joli clin d'œil à Max Meynier Les routiers sont sympas, RTL, et la Valse sifflotante de Vladimir Cosma et Toots Thielemans. Relax aussi Brigitte Fontaine Comme à la radio et à Kraftwerk en pleine Radioactivity. Sans oublier Hey nineteen de Steely Dan, the indicatif of M. Jean-Luc Hees pour Synergie sur France Inter… qui a fait se pâmer tant et tant d'auditrices… et d'auditeurs, allons !

















Merci à Jane Villenet d'avoir conclu son émission par : "La radio c'est une team, une dream team !". On aimerait bien que ce ne soit pas qu'une formule, si belle soit-elle ! 

À bon entendeur, salut !

(1) Bon titre, sûrement trouvé par Roland Dhordain, qui apparaît dans les programmes officiels de l'ORTF, mais que malgré l'humour du producteur je n'ai jamais entendu annoncé par Bouteiller… 
(2) "Monsieur Barclay m´a demandé/Léo Ferré, j´veux un succès/Afin qu' je puisse promotionner/A Europe1 et chez Fontaine/ Et chez Lourier et chez Dufresne…" (Lourier et Dufresne à France Inter, ndlr)
(3) Ici, ce soir, un peu de Brel et de Duras…
(4) Merci à Gilles Davidas pour l'archive Klein !

vendredi 12 février 2021

De la voix, de la nuit… De la nuit, de la voix…

En repensant au joli documentaire "Les nuits du bout des ondes" dont je vous ai parlé samedi dernier, je me suis demandé si je n'avais pas fait l'impasse sur ce qui tient toute l'affaire. Oui, une fois les archives choisies, l'histoire écrite n'est-ce pas la voix (là, celle de Marina Urquidi) qui va faire l'alchimie et nous transporter subtilement dans le récit. Remettez donc ça dans vos oreilles, "pour voir"…












De mon plus vieux souvenir de radio c'est bien la voix qui m'a attrapé et a captivité mon écoute, qui, années après années, a fini par me rendre très sensible à la voix, aux voix. Et quelquefois même la voix avant tout. Avant le sujet, avant l'heure de diffusion, avant la chaîne (1) Dans la série de Beccarelli, Chaudon et Lacombe, la voix de Marina Urquidi est un morceau du puzzle de création mais il est la pièce déterminante, car sans cette voix-là on pourrait tout à fait passer à côté de l'histoire et ne pas l'écouter plus de quelques secondes.

Marina a une voix de nuit ou une voix qui colle immédiatement à la nuit et, donc qui va bien pour raconter l'histoire des nuits radiophoniques. Dès ses premiers mots on sent qu'elle nous interpelle, nous prend par la main, et par l'oreille, pour nous emmener là où elle veut. Et on marche, on écoute, on suit. On est tout de suite dans l'histoire et très vite dans le taxi ! L'art de la conteuse et du conteur de mettre "de son côté" celles et ceux qui l'écoutent.

Si Arletty n'avait pas une gueule d'atmosphère (2), Marina, elle, par sa voix crée l'atmosphère. Sa diction, son tempo, ses mots posés et son accent, fait sans doute d'accents mêlés, sont nocturnes. Avec quelque chose qui a à voir avec l'évidence. Imaginez ce récit avec une voix aiguë, au débit rapide et sans quelques micros-silences et l'affaire serait ratée où ne serait pas digne du sujet et de la valeur des archives remises en ondes. 

Ici ce sont donc trois auteures plus une voix qui font le documentaire ou la fiction. La plus belle histoire pourrait rester sans voix. Cette attention à la voix, cette distinction orale ont fait les grandes heures de la radio et faisait dire "elle/il a une voix de radio" quand, aujourd'hui la voix n'est plus du tout un critère pour faire de la radio. Et les voix de nuit n'ont plus leur place à la radio puisqu'il n'y a plus de radio de nuit.

Je termine ce billet (il est minuit trente cinq) et je ne vais pas résister à écouter pour la troisième fois "Les nuits du bout des ondes". Quand on aime… 

(1) Avant le streaming, le podcast "on" pouvait (je pouvais) tout arrêter pour ne pas louper cette animatrice, cet animateur qui va finir par faire partie de sa propre vie !
(2) "Hôtel du nord", Marcel Carné, 1938

mercredi 10 février 2021

Attendez-vous à savoir…

Geneviève Tabouis, journaliste (1892-1985) a longtemps officié à Radio-Luxembourg puis à RTL avec, dans la matinale d'info, une chronique au titre savoureux "Les dernières nouvelles de demain" (1949-1967). Ses chroniques commençaient par "Attendez-vous à savoir". Soit un panorama prospectif des événements à venir par une journaliste bien informée (1) ! Mais ça c'était avant. Au siècle dernier même. Aujourd'hui il y a "Les Jours" un site d'information qui s'est fait une spécialité de développer un sujet sur la longue durée qu'ils ont appelé des "Obsessions". Au titre de ces obsessions "Vincent Bolloré", capitaine d'industrie breton, dont les Garriberts (ex-Libé) racontent par le menu les aventures. Et voilà que le 8 février ils nous annonçaient que ce n'était plus qu'une question de quelques heures (voire de quelques jours) : Vincent Bolloré aurait finalisé l'achat de… Europe 1 !

Geneviève Tabouis










Bigre, ça fait déjà quarante-huit heures et, telle sœur Anne, je ne vois rien venir. Aujourd'hui pour exister dans les médias et pour que les médias existent eux-mêmes il faut maintenir la pression et le suspens en permanence. Tous les ressorts sont bons pour entretenir la flamme… Et l'annonce imminente d'une information (capitale, forcément capitale) est vendue avant même qu'elle ne soit… annoncée. La temporalité de toute chose a elle-même beaucoup évolué depuis le "quart d'heure de gloire" conceptualisé par Andy Warhol. Aujourd'hui ce sont les 2' de Tik-Tok qui font pendant quelques minutes la reconnaissance de telle ou tel !

Tout se raccourcit. On ne compte plus en mois mais en semaines ou mieux en jours. Les jours eux-mêmes se résumant en heures. Les heures en minutes,… etc. Demain en radio les longues traversées feront 30', les documentaires 15 et les chroniques 1. Et pour donner le change on appellera une interview de 5' un long entretien ! De fait tout est raccourci comme le notait ce matin Thierry Frémaux sur France Culture "Les épisodes de série font maintenant 15' ".

Seulement voilà, la vie quotidienne n'ayant pas encore été transformée en "séries", il est assez difficile d'évaluer la date, l'heure, le lieu dans lequel, "craché, juré", tel événement, telle information aura lieu et sera annoncé. Ne doutons pas que les Garriberts sont bien informés. Ne doutons pas non plus que Bolloré ou Lagardère choisiront le moment qui leur convient le mieux pour informer la Terre entière de l'événement… médiatique ! Les journalistes média sont sur les dents. Les personnels d'Europe 1 fébriles, ceux de CNews (la chaîne d'info appartenant à Bolloré) en transe. À moins qu'une fois encore un grain de sable bloque le bel ordonnancement du rachat d'Europe 1 qui semble t-il agace, énerve, inquiète jusqu'au Président de la République.

Last but not least, gageons que cette "série" trépidante ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Attendez-vous à savoir… dans quelques minutes !


(1) Denis Maréchal, Geneviève Tabouis : les dernières nouvelles de demain (1892-1985), Nouveau monde éd., coll. « Collection Culture-médias. Études de presse », Paris, 2003,

lundi 8 février 2021

Dans la cour de récré de l'audiovisuel public…

La nature humaine reprend toujours ses droits ! À la belle harmonie, complicité, complémentarité qu'affichent Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l'Institut National de l'Audiovisuel apparaissent en creux des luttes d'influences, de prérogatives et de positions dominantes. Las, la holding France Médias qui aurait du voir le jour en 2021 a non seulement attrapé le Covid mais quelques atermoiements parlementaires auxquels on ajoutera les humeurs du Prince, entendez le Président de la République lui-même. De ce fait quelques hauts fonctionnaires zélés ont conseillé à ces quatre sociétés audiovisuelles de faire COM (1) et de faire… comme si ! Tant qu'à faire. Oui mais, il y a un mais et un gros mais même !

Delphine Ernotte (à gauche), Sibyle Veil,
Marie-Christine Saragosse (FMM),
et certainement Laurent Vallet (Ina)
©Christophe Morin/IPj Press/MaxPPP












Un COM de deux ans est déjà hors-la-loi qui prévoit dans la loi du 30 septembre 1986, une durée entre trois et cinq années civiles. L'État se jouant de ses propres lois ressemble à s'y méprendre à un remake éculé des Républiques bananières. Mais voilà, sous les cendres de cette holding les braises sont toujours chaudes et le feu couve pour qu'en 2022 soit remise sur le métier la réforme de l'audiovisuel public.

En attendant, après avoir roucoulé, cancané, psalmodié tout l'intérêt que représentait de filmer les matinales de France Bleu (44 locales) et de les diffuser sur France 3, il semble bien qu'on en soit venu aux mains aux égos et aux effets de manche quand chacune des Pédégères concernées, Delphine Ernotte-Cunci/ France Télévisions et Sibyle Veil/Radio France seraient "en pleine lutte d'influence avant le mariage France 3 - France Bleu" (2). Hein quoi ? La radio et la TV vont se marier et on ne m'a rien dit ? Mais non, pas possible ? C'est une farce, un camouflet, une fiction ? 

Mais non Fañch c'est l'avenir et d'ailleurs tu l'as écrit depuis des lustres (3). Oui car avant que trônent Mmes Veil et Ernotte sur deux bastions de l'audiovisuel public indépendants, depuis que Giscard au mieux de sa forme en 1974 avait éparpillé l'ORTF façon puzzle en sept sociétés indépendantes (4), un certain rapport Schwartz mettait les points sur les "i" et clairement annonçait la fin de la récré et la surenchère pour que chacune des sociétés audiovisuelles arrête de copier par-dessus l'épaule de son voisin, alors que l'heure des synergies avait clairement sonné.

"Si Delphine Ernotte et Sibyle Veil ont l'ambition commune de rapprocher France 3 et France Bleu, elles sont en revanche en désaccord sur les moyens pour mettre en musique leurs projets."(2). On y est. Décemment Madame Veil peut-elle se permettre de laisser filer France Bleu à France Télévisions sans montrer son attachement à "ne pas déshabiller Paul pour habiller Jacques". Posture héroïque a minima, pantomime a maxima. Alors que France Info radio est à deux doigts d'être avalée par France Info TV, il y a lurette que la fusion de Bleu et de 3 est dans les cartons et mieux dans la logistique des "petits pas" pour éviter le clash, les grèves et le renvoi aux calendes grecques d'un tel coup d'État. 

Horizon… Bleu !










Ironie de l'histoire, Jacqueline Baudrier première Pédégère de Radio France demandait, dès sa nomination en janvier 1975, de "récupérer" les stations radios régionales sous la bannière de France Régions 3 (FR3). Pourtant ce "rapprochement" (mot pudique pour simuler la fusion), aujourd'hui inéluctable, va encore diminuer un peu plus l'influence de la radio, de la voix et en rajouter un peu plus sur celle de l'image ! Et, pour bien commencer l'enfumage on parle de "site d'information commun" dont on se demande comment l'appeler ? Tu penses ! (5).

France Bleu 3, France 3 Bleu, France Bleu, Bleu, Bleu ? Vous en voulez d'autres ? L'occasion de vous rappeler qu'à la "création" de France Inter, France Culture, France Musique en novembre 1963, Roland Dhordain chargé de nommer ces trois chaînes avait révélé que des propositions lui avaient été faites pour "France Bleu, France Blanc, France Rouge". Cocorico !

Guettons mes chers auditeurs, le combat d'arrière-garde que vont mener Veil&Ernotte pour occuper l'espace et ne rien dire du fond ! Méthode néo-managériale connue et éprouvée. En attendant, dans la cour de récré ça boude et, France Médias Monde et l'Ina se désolent de ne plus pouvoir jouer "aux quatre coins" !










(1) Contrat d'Objectifs et de Moyens,
(2) "La lettre A", 5 février 2021,
(3) J'avoue j'aime bien m'interpeller pour relancer votre attention !
(4) Radio France, TF1, Antenne 2, FR3, SFP, TDF, Ina,

(5) Rappel historique : lors de la commémo des 50 ans de Radio France, Fr. Hollande, éléphant "socialiste" dans un magasin de porcelaine, avait annoncé sans barguigner le "rapprochement" de RF et de FTV. Le lendemain, le petit soldat Aurélie Filipetti, Ministre de la Culture, avait corrigé en évoquant des "sites web communs". On n'avait pas ri. On avait même pleuré devant tant d'amateurisme !

samedi 6 février 2021

Ah que c'est bon, que c'est bon la nuit parfois…

Les frissons vous connaissez ? Pas les frisons de peur ou de fièvre, non, les frissons d'émotion, les frissons de joie, les frissons de pur bonheur. Ça existe, je les aies rencontrés ! La nuit dernière en écoutant la très belle histoire en six épisodes de Beccarelli (Marine), Chaudon (Viviane) et Lacombe (Clara) : "Les nuits du bout des ondes", produite par l'Ina (1), j'ai basculé dans le réel et la fiction, dans les archives et dans le flux. Je me suis téléporté sur la "Planète nuit" et je me suis très vite retrouvé en pays de connaissance. Des voix familières croisaient des voix connues dans un tricotage subtil et émouvant. Les trois documentaristes venaient, d'un coup de baguette magique (et des heures de travail) de rendre vivantes une sélection d'archives de la radio de nuit sur presque six décennies ! Une prouesse ? Non ! Mieux, beaucoup mieux, une madeleine à inscrire au patrimoine radiophonique. Rien moins, rien plus.

Illus. pour la série par C. Lacombe













Vous aurez du mal à freiner mon enthousiasme ! Marine Beccarrelli s'est fait connaître avec sa thèse sur le sujet de la radio nocturne et la publication initiale qui a suivi (2) ! Viviane Chaudon est réalisatrice et enseignante. Son projet de fin de master en production audiovisuelle, obtenu à l’INA Sup en 2012, était consacré à la radio nocturne, précisément sur l’émission de Macha Béranger ("Allo Macha"). Clara Lacombe est réalisatrice indépendante. Elle a soutenu à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, un mémoire sur l’émission Les Nuits magnétiques (France Culture - 1978-1999). Solide culture radiophonique pour chacune d'entre elles et vif intérêt pour la radio de nuit, "inventée" par Roland Dhordain quand il formalisa l'écoute de France Inter, vingt quatre heures sur vingt quatre.

Le génie de cette série c'est d'avoir trouvé l'angle… incontournable (surprise !), la voix parfaite de la narratrice Marina Urquidi (3) et un florilège de voix qui semblent ne jamais nous avoir quittés. Cette narration, délicate et subtile, n'est ni au-dessus, ni à côté elle est totalement "in the night". Dedans, fluide, raccord. Le challenge proposé par l'Ina était la mise en valeur des archives audio. Ce n'est plus une réussite c'est un coup de maître. J'imagine tous les protagonistes réunis sur notre "Planète nuit", bouches bées, bluffés d'être ensemble dans l'histoire de leurs propres histoires, mixées aux p'tits oignons et plus si affinités (4).

On voudrait pouvoir écouter autant d'épisodes qu'il y a de jours dans une grille de saison de septembre à juin. Ne serait-ce pas le moment France Inter de rebondir et de réinstaller des émissions de nuit (faites la nuit) pour, en ces temps de grande fragilité morale pour tellement de gens, pouvoir compter sur la nuit pour trouver apaisement, espérance, joie ?

Comme vous, (j'espère que vous allez succomber), ce soir vers 23h, je vais réécouter cette série qui trouve toute sa puissance dans l'ambiance particulière de la nuit. Cela fait très longtemps que je n'ai pas été aussi émerveillé par une "émission", par un docu/fiction aussi brillant, aussi émouvant, aussi mémoriel ! Alors Marine, Viviane, Clara et Marina, comme aurait dit Kriss (on est presque dimanche) ""Je vous embrassec'est dimanche, c'est permis"

À suivre, ici…


(1) Accessible dès maintenant sur l'appli Radio France, onglet Ina (nécessite un smartphone et un abonnement Internet) et sur le site Ina de Madelen en accès libre. Rien que pour cette série l'abonnement mensuel à 2,99€ vaut la peine de casser sa tirelire,
(2) Cette thèse paraîtra courant 2021 aux Presses Universitaires de Rennes,

(3) Narratrice de la série "Les Nuits du bout des ondes", est aujourd’hui traductrice. De la fin des années 1970 au milieu des années 1980, elle était une voix nocturne de stations pirates puis de radios libres parisiennes. Sur Radio Ivre, Radio Soleil puis Radio Gilda, elle a notamment créé et animé les émissions nocturnes Le Monde à Paris, Nous, c’est les autres, ou encore Maracudja. Certaines des archives diffusées dans la série Les Nuits du bout des ondes sont issues de ses cassettes personnelles,

(4) Prise de son et mixage : Christophe Remy,