Hier je vous faisais un p'tit billet pour vous appâter à venir lire celui-ci, qui, par le menu, va vous raconter comment j'ai plongé dans une série française, sans vedette, dans un huis-clos soigné, à parité de femmes et d'hommes, dans un décor minimaliste. Avec en guest : un débatteur bien propret sur lui, des rapporteuses, de fines lames, des gentils, quelques tueuses, des acharné-e-s et un shérif qui avait laissé ses pistolets au vestiaire. Et puisque j'évoque un personnage de western, je filerai bien la métaphore en suggérant une ambiance style "Règlements de comptes à O.K. Corral" (1), les grand espaces étasuniens en moins et le dépit… en plus !
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M. Bruno Studer, député, Pr. de la Commission Culture avec à sa droite, Aurore Bergé, Rapporteure générale de la loi, 26 février 2020, (capture d'écran) |
J'avais hésité en début de mois (2 mars) à m'enquiller les séances de la commission culture de l'Assemblée nationale qui étudiait le "projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique". Ça swingue non ? Rien que le titre déjà te fait rêver. Mais comme je m'apprêtais à vous parler de "France Médias" - le futur club audiovisuel tendance - je n'ai pu me résoudre à faire l'impasse sur ce grand moment de démocratie participative que sont les commissions de la représentation nationale. Ta ta ta tain !
En sept épisodes (on dit comme ça pour les séries ?) j'ai donc ingurgité, depuis lundi, vingt-cinq heures de débats sur les articles, alinéas, amendements (1200), sous amendements qui ficelleront la loi qui ira en discussion à l'Assemblée à partir du 31 mars. Vingt-cinq heures vous imaginez ? Vingt-cinq heures (les 2,4 et 5 mars 2020) pendant lesquelles j'ai oublié de manger, de dormir et d'écouter quelques archives de France Culture (avant qu'elles ne finissent payantes sur Spotify ou sur Mage & Lent). Je veux bien être rangé dans la catégorie auditeur, mais vous reconnaîtrez aisément que j'ai poussé assez loin ma conscience professionnelle pour présenter les enjeux d'une loi qui au premier chef va profondément et lourdement impacter la radio.
Pourtant la radio il en fut parlé à la marge (2). On sent bien, on entend bien que les député-e-s sont des spectateurs de télévision, de cinéma, des utilisateurs d'internet et qu'ils poussent très loin, dans leurs interventions, la connaissance de ces médias. Quant à la radio, dans le flot de ce qu'il fallait inscrire et amender dans la loi, soit les représentants du média radio qui ont été audités n'ont pas su en profiter pour affirmer et prévoir les enjeux liés à leur spécificité audio, soit ils ont été inaudibles.
Depuis que ce projet de loi est en élaboration je n'ai rien entendu de fracassant concernant la radio, comme si déjà, les député-e-s en charge de cette loi n'avaient ni projets ni perspectives de développement pour un média singulier. Et j'ai bien fait de n'aller écouter qu'après, l'audition du ministre Riester (3) préalable aux travaux de commission durant les vingt-cinq heures de débats sur la loi. Car sinon, j'aurais découvert que la radio serait la grande oubliée de cette loi serpent de mer qui, depuis le début du quinquennat, a été autant annoncée que repoussée.
Oubliée car, même la Rapporteure générale de la loi, Aurore Bergé (députée LREM) l'a constaté en séance, après que Riester ait développé les attendus de "sa" loi. Il n'en parlera pas plus en fin de séance et, les trois fois où il cite le mot radio ce n'est jamais pour la situer en perspective de développement. Alors qu'il ne ménage pas ses attentions et intentions pour le cinéma, les droits d'auteurs, les producteurs (TV et cinéma), les plateformes et la future "France Médias" dont je vous parlerai lundi.
Mais, sur la radio, que pouvait attendre d'autre le Ministre de la culture d'une Présidente de Radio France, Sibyle Veil, arc-boutée sur le "piratage" des plateformes qui diffusent les contenus des sept chaînes publiques sans autorisation, sur ses mantras "audio" et "numérique" psalmodiés sans être incarnés, sur sa seule urgence à réorganiser le service public de la radio, aux ordres de Bercy qui veut une diminution drastique des budgets et des salariés (4) ?
Il est des signes qui ne trompent pas, des silences qui en disent long, des renoncements qui vont devenir irréversibles. Qui peut défendre la radio ? Qui veut défendre la radio ? Et si au moins une association d'auditeurs avait pu se faire entendre ? Encore eût-il fallu qu'elle existât ! Nous reparlerons de cette loi, particulièrement quand elle viendra fin mars devant le Parlement. Mais franchement les dés sont jetés. Et c'est un très mauvais coup pour la radio… Très mauvais et irrémédiable !
Le titre de mon billet fait référence à "Voyage à l'intérieur du Parti Communiste" de André Harris et Alain de Sédouy, Seuil, 1974
(1) Western américain de John Sturges sorti en 1957, inspiré des faits réels de la fusillade d'O.K. Corral, avec Burt Lancaster et Kirk Douglas,
(2) Pour le DAB+ dans les autoradios, pour les quotas de chansons françaises et pour l'accord préalable de Radio France avant la diffusion des programmes radios sur les plateformes payantes ou gratuites,
(3) 26 février 2020,
(4) Les radios privées ont pu défendre et ont pu faire inscrire dans la loi : "Relèvement du seuil anti concentration, assouplissement des quotas de chanson française, fin des annonces de précaution à la fin des pubs..."