lundi 31 juillet 2017

Radio France vs la représentation nationale : un soap-opéra (1/4)

Ce feuilleton là, genre de soap-opéra cheap, dure depuis lurette. Sûrement depuis que les sociétés audiovisuelles publiques engagées dans un Contrat d'Objectif et de Moyens (COM), doivent rendre compte, une fois par an à l'Assemblée nationale (1) et au Sénat de leurs actions pour être en conformité avec leur Com. Pour ce qui concerne celui de Radio France signé avec un an de retard, en 2015, Mathieu Gallet, Pdg de Radio France, se présentait ce mercredi 26 juillet, devant la nouvelle commission "Affaires culturelles" issue de la nouvelle législature élue le 18 juin 2017.



J'ai tout annulé pour entendre (et voir) le Président Gallet prononcer le nom de Charline Vanhoenacker (2) avec un sourire malicieux. Voir, car les séances des commissions sont retransmises à la "télé". Non pas sur une chaîne de télévision mais sur le réseau interne de l'Assemblée nationale lui-même. J'ai surtout assisté à un "spectacle" de 2h47 qui n'en finissait pas, un matin de fin juillet, à l'abri des regards des scrutateurs médiatiques en vacances, des traqueurs de buzz et autres gazouilleurs partis gazouiller pipole à Saint-Tropez .

Pour être dans le ton "feuilleton" ce billet traitera aujourd'hui et après-demain du long monologue du Président. Jeudi des questions des députés et les réponses apportées par l'équipe qui accompagnait Mathieu Gallet. Le Pdg n'est pas un orateur, on le savait. Il ponctue chacune de ses phrases d'un nombre incalculable de "euh" qui rend la fluidité de ses propos très aléatoire. Il ne s'adresse pas aux député-e-s, il lit, monocorde, un fastidieux document papier, sans incarnation sensible et avec un détachement qui confirme qu'il dirige Radio France comme il aurait pu diriger n'importe quelle entreprise. Aujourd'hui la radio, demain ce qui pourra faire briller sa carrière à moins que le 16 novembre prochain…



La bonne pommade du Dr Gallet
Il en met une couche ! Moins lyrique que le Général de Gaulle, Gallet commence par une question de pure rhétorique "Pourquoi un service public de radio ?". Sans y répondre le Pdg égrène, béat, les résultats des audiences Médiamétrie tombés quelques jours plus tôt. Gloire à Inter au plus haut des cieux. "Un record pour notre chaîne leader [France Inter, ndlr] qui fait des envieux, tellement qu'on en débauche les talents. Nous avons atteint un très bon résultat sur les "jeunes" (35/49 ans) ce qui n'était pas arrivé depuis 14 ans"… "Très bons résultats aussi pour France Info"…. "France Bleu est l'enjeu le plus important pour nous. nous ferons un gros travail de positionnement à partir de la rentrée. Les grilles de FB n'ont pas évolué depuis 8 ans. Nous constatons une érosion [des auditeurs, ndlr] de la façon dont nous traitons de l'actualité de proximité." 

  • Traduire : Pour le Pdg et son staff, la radio c'est d'abord et presque exclusivement l'actu. Donc pour Laurent Guimier (nouveau n°2, en remplacement de Frédéric Schlesinger), la tâche de redéfinir la "radio locale" et de commencer le rapprochement - non-dit - avec France 3. On verra dans le billet de mercredi, en réponse à un député, comment le management de Radio France enfile les perles pour "annoncer" le méga chantier qu'il prépare pour France Bleu.



"Si le service public devait être résumé à un acteur, France Culture serait de ceux-là." Oups ! Quid des six autres radios du groupe Radio France ? Promises à la privatisation ? Gallet (ou son nègre) a voulu faire un mot. Superfétatoire le mot ! Et ridicule. "France Musique, chaîne du classique et du jazz" ! Voilà bien une invention à la Schlesinger (qui n'aimait pas le jazz). Qu'on me montre le cahier des charges de la chaîne qui restreindrait France Musique à ces deux genres : le classique et le jazz ! France Musique c'est ça aussi : 



Gallet rappelle son leitmotiv lors de son arrivée en mai 2014 : "Plus de musique, moins de musicologie !". Pas convaincant, preuve ses errements à avoir nommé M.P. de Surville, directrice de la chaîne (2014-2015). Le Pdg annonce l'arrivée prochaine de la plateforme dédiée aux captations vidéos des orchestres et des concerts classiques.

Mouv' : "C'est notre radio jeunes "les 13-24 ans". Pour 2017 nous devrions être à 1%, aujourd'hui nous sommes à 0,7%." Ce qui fait un très grande nombre de jeunes Françaises et Français qui n'écoutent pas Mouv'. La "danseuse" de tous les Pdg de Radio France depuis sa création en 1997 ! "Fip n'est pas une radio nationale (sic). Avec 1% national, ce petit réseau hertzien a des résultats incroyables. 75% de son audience est numérique. La vocation locale de Fip n'est pas remise en cause. Il y aura un repositionnement [jargon, ndlr] grâce aux départs en retraite naturels. Nous avons revu la façon dont l'actualité locale sera traitée, également pour la dizaine de villes qui reçoivent Fip en hertzien. Les méthodes peuvent évoluer car Fip a été créée en 1971."



  • Traduire : Schlesinger voulait "refourguer" l'info locale aux France Bleu ! Gallet use, une fois de plus, de rhétorique pour ne pas dire que les heures d'animation sur les antennes locales de Bordeaux, Nantes et Strasbourg seront diminuées, au fur et à mesure des départs en retraite.
Puis viendra le summum de la phrase-slogan, la phrase-paravent, la phrase-prétexte, la phrase pour flatter les élus et laisser pantois les auditeurs :
"Notre objectif est de remettre le public au cœur de nos préoccupations". 

Manque plus que l'"esprit", celui que l'on met à toutes les sauces, et le tour sera joué. Tarte à la crème des tartes à la crème, on verra assez vite comment, entre autres, il est absolument fait fi, de l'avis des auditeurs qui se plaignent de l'arrêt brutal des émissions "L'esprit public" (Culture), "Périphéries" (Inter), voire même "Là-bas si j'y suis" par un député nostalgique !

Prochains billets, mercredi 2 et jeudi 3 août…

(1) Audition du Président de Radio France par la commission culturelle de l'Assemblée nationale,
(2) Productrice de "Si tu écoutes j'annule tout", France Inter, lundi au vendredi, 17h, depuis la rentrée 2014,

vendredi 28 juillet 2017

Lettre ouverte aux productrices-producteurs, réalisatrices-réalisateurs de radio

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Bonjour à tous, à toutes, à chacune et à chacun, 
Ça fait maintenant six ans que j'écris sur la radio et que j'essaye de faire partager ma passion à quelques aficionados qui, comme moi, sont attachés à la radiophonie… sans fil. Grâce à cette petite mécanique, j'ai pu vous rencontrer in situ ou dans quelques cafés pour vous faire raconter ce que vous faites, comment vous le faites et surtout avec quelle passion. J'ai eu de formidables rencontres et beaucoup de joies à rentrer avec vous dans l'histoire de ce média.

J'évoquais ce matin, avec l'une d'entre vous, le vide qui s'installe quand, pour vous, après des mois et des mois de recherche (ou quelques jours et quelques nuits), le mixage terminé le sort de votre création est entre les mains des bonnes ondes et de leur diffusion. Le vide va aussi pour l'auditeur qui s'habitue à votre petite musique de nuit, ou de jour, et qui l'émission, la série, la saison terminés se retrouve pantois voire même Grosjean-comme-devant. Pourquoi ça s'arrête ? L'émission d'après ne remplace jamais l'émission d'avant. 
Ce vide est beaucoup plus important qu'on ne le croit mais, de ça, on n'en parle pas. Chacun, vous, nous faisant son possible pour laisser tendu le fil qui nous relie. 

La radio évolue, les techniques aussi. Les femmes et les hommes restent sur le pont de la création radiophonique. Avec des pleins et des vides où, comme l'aurait dit Jean Garretto, avec des pleins et des déliés

La petite histoire de la radio court nos cœurs et nos enthousiasmes. Nos colères et nos espoirs. J'essayerai de ne pas rompre ce fil qui nous tient, attachés que nous sommes à la voix et à la parole… donnée.

Faites le vide et faites aussi le plein de ce qui nourrira demain vos créations radiophoniques.

Au plaisir de nos prochaines rencontres, 
je vous souhaite un bel été. 
Fañch

Vers Bruce Springsteen : grande traversée… (5/5)

Quelquefois il nous arrive de voir le bout de la route. Soit dans une image magnifique et tremblée de Paris-Texas (Wim Wenders), soit dans celle que nous nous sommes composés de la Highway 66 ou celle, plus modeste, de notre propre chemin de traverse. Depuis quatre jours nous savons de façon beaucoup plus sensible qui est Bruce Springsteen. Le chanteur et l'homme. L'homme et le chanteur. Judith Perrignon a su dépasser tous les clichés, son statut de fan, les évidences et creuser les jolis sillons de l'intime. Ceux de ses 33 tours comme ceux de sa vie. On voudrait que les presque deux heures de ce dernier épisode de sa "Grande traversée" durent aussi longtemps qu'une chanson sans fin du dernier morceau de la face B d'un de ses albums. Just like starting over…


La petite maison où fut écrit "Born to run", © Judith Perrignon
Radio Fañch : Quel est pour vous le meilleur album de Bruce Springsteen ?
Judith Perrignon : Pour la partie acoustique "Nebraska", "Born to run" parce que là il trouve un équilibre. J'adore les tous premiers, plus jazzy, qui montrent d'où vient Springsteen. Et puis "Greetings from Asbury Park, N.J." (1973), la soul music est là, il métisse vraiment tout et j'aime beaucoup.

R.F. : Et la chanson ?
J.P. : "The river" pour une phrase "Est-ce qu'un rêve est un mensonge s'il ne se réalise pas ou est-ce que c'est pire encore ?

R.F. : Pourquoi n'êtes-vous pas arrivée à l'interviewer ? Trop sollicité ?
J.P. : Oui, il y a ça et je pense qu'on n'était pas dans son calendrier d'un moment de promotion. Springsteen a besoin de travailler avec des gens qu'il connaît. Ici en France la seule personne c'est Antoine de Caunes dont on a pourtant eu la "bénédiction". Son groupe, son manager ce sont des gens avec qui il travaille depuis 40 ans. On a attendu longtemps puis la réponse a été non. Ce n'est pas lui directement qui doit dire non mais sûrement les gens chargés de choisir les interviewers.

R.F. : C'est pas perdu, vous essayerez encore, non ?
J.P. : C'est ça l'histoire (Rires) ! Peut-être oui ? Mais je crois que je n'aurai jamais eu une si belle occasion.

R.F. : Mais de la façon dont vous travaillez, en cercles concentriques, peut-être arrivera-t-il un jour, peu ou prou, à vous entendre ? Et pour vous ou pour une publication vous pourrez peut-être le rencontrer ?
J.P. : Je crois justement que si je pouvais bavarder avec lui sans l'interviewer j'adorerais ça. 

R.F. : Je crois que votre détermination vous permettra d'y arriver un jour… 
(Rires)



Judith Perrignon pour ce dernier épisode plonge dans la politique ou nous montre comment Bruce y a plongé. "Le rock est devenu depuis longtemps cette chose indéfinissable dont la date de naissance fait débat et dont la mort est sans cesse annoncée. Il est souvent l'accessoire d'une fausse rébellion. Est-il de gauche, est-il de droite ? Les Rolling Stones peuvent bien louer leur talent pour des soirées privées qu'organisent des fonds d'investissement et Springsteen continuer d'hurler contre la misère, tout est normal, chacun a sa place et tout le monde s'en fout. Depuis "Born in the USA" Springsteen est bien placé pour savoir qu'il y a ce qu'on écrit, ce que les autres entendent et ne veulent pas entendre."

Et si avec "The ghost of Tom Joad" (1995) Judith évoque "Les raisins de la colère" de Steinbeck, on se refait vite les images de John Ford et d'Henri Fonda auxquelles on ajoutera la réalité amère des années 90 (et des suivantes), d'une misère qui pousse toujours Springsteen à en témoigner car "ça ne s'arrange pas" ! 

Pour cette belle "Grande traversée", Judith a sans relâche, cherché, fouillé et découvert avec la foi du chercheur, la pugnacité du collectionneur et la méticulosité du fan. Et surtout, avec la grâce de l'écriture, elle a su raconter une histoire simple. Springsteen "connaît" ses fans, mais il ne sait pas qu'en France Judith Perrignon en sait long sur son histoire ordinaire et encore plus long sur son histoire extraordinaire. Si j'étais un peu moins nul en anglais je lui écrirais. 

"Hey, Boss, tu as dû en voir des étoiles dans le ciel du New-Jersey et partout dans le monde où tu es allé chanter. Tu as vu et entendu tant de choses qui t'ont donné envie d'écrire. Des choses simples et des plus difficiles. Mais sais-tu que toi-même tu as donné envie à une Française d'écrire sur toi ? Non. Pourtant ce qu'elle a écrit n'en finirait pas de te surprendre. Alors voilà une chose simple, le jour où tu verras des étoiles dans les yeux de Judith, tu n'auras d'autre choix que de prendre ta Telecaster et de composer une chanson que tu intituleras tout simplement "Ballad for Judith". Ce sera une façon de reconnaître tous ceux que tu as bouleversés, juste parce que tu étais en phase avec eux et eux avec toi. Ne laisse pas passer cette chance, rencontre-là ! Voilà ce que j'avais à te dire Boss. So long."



(1) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon, 

jeudi 27 juillet 2017

Vers Bruce Springsteen : grande traversée… (4/5)

Dans une chronique récente du Monde (24 juillet), Olivier Haralambon constatait que, le Tour de France fini, un vide s'installe. Judith Perrignon nous raconte, elle, depuis lundi, l'épopée de Bruce Springsteen et l'on sent déjà un peu le dénouement approcher. Puisque l'Amérique est immense, puisque le Boss est immense pourquoi cette "Grande traversée" (1) n'aurait-elle pu durer un mois entier ? Pas pour empêcher d'autres traversées mais en trouvant un autre moment (en soirée par exemple) pour prolonger le récit. La métronomie de la radio moderne s'enferme dans des formats et bride ce qui mériterait quelquefois le hors-format.


Le fameux concert où Judith Perrignon n'a pu aller…




















Radio Fañch : C'est qui le public de Bruce Springsteen ?
Judith Perrignon : Public blanc, mais c'est le rock ! Il y a quand même des jeunes et plusieurs générations. les plus agés ont commencé dans les années 70 et tournent autour de la soixantaine. J'en connais qui l'ont quitté après "Born in the USA", mais ça va de 60 à 25. Peut être qu'il y a eu la transmission aussi, on voit des familles dans le public. Dans l'épisode 4 que j'ai consacré à la scène et aux fans, - quitte en me mouillant un peu et me ridiculisant un peu comme fan" on voit des familles.

R.F. : À votre avis est-ce que sa musique va traverser les siècles ? Est-ce qu'il va durer ?
J.P. : Il y a des albums qui vont rester bien sûr ! Les Beatles et les Stones c'est des mythes et ça fait aussi partie de ces mythes à lui. mais quand il arrive la "Révolution" est faite ! Ceux qui font la Révolution ont une telle audace qu'ils, laissent une marque dans l'histoire. Springsteen c'est plus un héritier. Sa marque c'est cette histoire qu'il raconte et la sienne, cette force sur scène. c'est son énergie qu'il va laisser et de très beaux textes. La force de ses textes - caricaturés après "Born in the USA" - restera parce qu'il y a une méprise assez incroyable.

R.F. : Quelqu'un est resté dans l'histoire populaire de la musique aux États-Unis, Woody Guthrie, est-ce que Springsteen n'est pas - plus que Dylan - le "Woody Guthrie électrique" ?
J.P. : Il a des albums qui sont de vrais références à Guthrie, "Nebraska", "Tom Joad"… Quand il sent que l'électrification couvre trop les mots, les messages, les histoires, il commet des albums solos et des tournées magnifiques pour faire entendre tout ça. Il est très inspiré, comme Guthrie, par sa culture, par le milieu d'où il vient et qu'il n'a jamais voulu complètement quitter, par le message politique. alors que Dylan a toujours été plus ambivalent.
Suite de l'interview, demain…

Springsteen released 'Greetings from Asbury Park, N.J.' 44 years ago.



















Aujourd'hui on est "Sur scène" avec les fans et les autres. Pour son premier concert en Europe et en Angleterre "Il mettait ses pas dans ceux des Beatles ou de Johny Cash, il fit plus que ses preuves, il fascina, corps agile, blouson de cuir, bonnet de laine. Il ondulait. Tantôt atomique, tantôt mélancolique. pousser la voix jusqu'au murmure ou au déraillement. Il transpirait son rêve de gamin qui a transmis dans le giron d'une église et vu passer les charrettes de la vie, baptêmes, mariages et enterrement…" Bon, pas sûr que les fans sachent aussi bien décrire ce "Roi-là", cette icône d'un King, Elvis réinventé.


King rime avec ring ! "La scène c'est son ring. La cage dont il a les clefs. Pour s'enfermer de l'intérieur. C'est encore là qu'il est le mieux. Là qu'il exulte et respire !". Judith décrit avec ces mots justes cette forme d'apothéose qui, au cours des concerts donne tout, sans limite autre, qu'ayant tout donné, il renvoie à la fin de ces concerts marathons, fans et spectateurs, à une réalité beaucoup moins… rock and roll. Mais rien ne peut entamer la ferveur de la fan Judith Perrignon qui va donc pouvoir assister à son premier concert à l'Hippodrome de Vincennes en mai 1988. "Il y a en nous des balades imaginaires sur un bord de route du New Jersey où on ira sans doute jamais; quoique… en nous des automatismes, des hymnes, des gestes, des refrains un dialogue avec lui installé depuis longtemps"


Dans les archives de Monmouth university © J. Perrignon
















Et ça, Judith, c'est le début d'une chanson, d'un autre hymne… à la joie, de la ferveur brûlante d'un partage qui sublime tout et pour lequel le mot fan est bien palot. Cette communion cosmique pour ce qu'elle envoie vers le ciel dit beaucoup de l'état orgasmique des méga-concerts qui bouleversent bien au-delà de la "jeunesse". À écouter cet épisode "Sur scène" on veut bien croire à la prophétie de Jon Landau sur l'avenir du rock and roll. Là, il joue présent et offre à chacun, qui veut bien l'entendre, une vibration sincère et fulgurante. Les fans sont aux anges. La fan, Judith, nous livre, méthodiquement et scrupuleusement, les grandes et petites choses qui font l'histoire du Boss. Et une clef supplémentaire : "C'est ça être fan de Springsteen, une collection de grands souvenirs".

Hungry heart… "Les phrases se dérobent" ajoute Judith Perrignon. Je crois au contraire, qu'à sa mesure, elle a trouvé, - avec pudeur et tendresse -, celles qu'il fallait pour que Springsteen soit plus que Bruce et, que le Boss soit moins qu'un Dieu. Juste un homme extra-ordinaire, authentiquement humain. 
(À suivre) 


(1) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon, 

mercredi 26 juillet 2017

Vers Bruce Springsteen : grande traversée… (3/5)

Hier j'ai compris que j'étais né pour courir. Après quoi ? Après les histoires assurément. Comme d'autres courent après la gloire où comme Bruce court un marathon rock n' roll. Au présent, chaque heure de chaque jour. Au moins depuis que Jon Landau (1) a décrété il y a 40 ans avoir vu, en Springsteen, le "futur du rock and roll". 


Sous la carcasse du casino, © Judith Perrignon


Radio Fañch : Quelle place occupe Springsteen dans le Panthéon du rock ou dans la musique populaire mondiale ?
Judith Perrignon : Dans la musique populaire mondiale il a une place évidente. dans le Panthéon du rock je suis toujours surprise de voir que des amis qui aiment le rock ne connaissent pas Springsteen. Je pense que cette chanson 'Born in the USA" lui a fait un mal important et des dégâts très forts. Si toutes les jeunes générations des 20/30 ans réécoutent beaucoup la musique d'"avant", Springsteen n'est pas du tout dedans. Lui, il émerge dans les années 70 et explose dans les années 80, mais il est forgé par la musique des années 50/60. Il veut plus être la "tradition" du rock. Il ne sera jamais une avant-garde, Springsteen. 

Cette musique qui l'a sauvé dans son enfance, il va la défendre à un moment où il faut toujours enterrer ce qui a été fait avant. Il est toujours à contre-courant. Il va prendre partout. Il dessine un chemin de traverse. Il va aimer les punks, la country… Alors qu'Iggy Pop, par exemple, et la marginalité qu'il s'est créé fait de lui une icône, Springsteen lui qui veut s'installer et durer est moins iconique en fait.

R.F. : Pourquoi a-t-il émergé ?
J.P. : Il a une force de travail absolument dingue. Il n'a fait que ça ! Il écrivait des chansons très jeune, il n'a jamais cessé d'écrire d'ailleurs. Tout ce qui n'est pas musique ne l'intéresse pas. C'est un sacerdoce. il est mystique en musique. Ce qui fait la différence avec ceux qui au même âge font un groupe, c'est que lui il vit ça comme une religion.
Suite de l'interview, demain…

L'épisode s'appelle l'Amerloque. On dirait que ça va cogner et pas seulement parce que l'hymne bourrin du prophète Bruce écrase les premières notes du documentaire de Judith Perrignon (2). "Born in USA" ne m'a jamais fait sauter au plafond, quant aux nationalistes on imagine bien qu'ils aient pu exulter ! Mais Judith prévient "En voilà une chanson d'Amerloque. Une que la terre entière a entendue mais pas écoutée. Toutes les antennes, tous les amplis, tous les postes de radio, tous les écrans de l'année 1984 ont craché l'extrait de naissance de Springsteen…" Et Judith d'expliquer que la "photo" n'est pas bonne. Question d'époque effectivement. Elvis pouvait "exploser dans la lucarne des années 50" mais "quand Springsteen débarque sur MTV, le cancer de la télévision entame sa longue phase terminale…" Bien vu… et bien entendu surtout ! Si Reagan même participe de la promo, the dream is over.

But, mais Judith Perrignon pense que collectivement nous n'avons pas voulu comprendre. Et c'est vrai il nous fallait sûrement son regard, son écoute, son empathie pour aller un peu plus loin que le cirque généré par ce tube calibré "blockbuster". L'oublier et filer vers son "Nebraska" à l'abri de la fureur. Reprendre le tempo du hobo et d'un harmonica aux accents dylaniens. Bruce : "Je voulais qu'on entende mes personnages penser". C'est réussi. Ça sonne juste et sincère. En réécrivant l'histoire, Judith nous permet de dépasser la petite surface des choses et nous oblige à plonger dans une forme d'abîme de l'œuvre du Boss. Dans sa propre histoire à côté de celle crue et dévastée de l'Amérique qui bouleverse ses chansons comme autant de chroniques sociales arrachées au réel (3).

Born to run… Et je crois bien entendre Judith chanter. L'art d'être heureuse ! À défaut de n'avoir pu assister, le 29 juin 1985, veille de son Bac, à ce qui aurait du être son premier concert du Boss à La Courneuve…
(À suivre)



(1) Critique musical au moment de sa prophétie de 1974, il deviendra manager de Springsteen,
(2) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon,
(3) Et Bernard Lenoir (homme de radio, France Inter) y mit son grain de sel.

mardi 25 juillet 2017

Vers Bruce Springsteen : grande traversée… (2/5)

Deuxième volet de la Grande traversée avec le Boss. Judith Perrignon tourne autour de son "sujet" et tourne bien. On entre vite dans la ronde et, ces heures de matin d'été, nous pouvons les consacrer à l'écoute exclusive d'un chant et contre-chant des États-Unis que Springsteen a sublimés… (1)


Avec Vini Lopez au Convention Hall, ©Judith Perrignon
Radio Fañch : Sans l'avoir rencontré vous continuez à développer notre/votre imaginaire autour du bonhomme Springsteen…
Judith Perrignon : Oui, je pense qu'il nous laisse assez d'indices dans ses chansons, des petits cailloux pour connaître le chemin, pour prendre le bon chemin. Dans cette "Grande traversée" il y a des voix et des personnages qui sont dans ses Mémoires. Ils ont pris "cher" au micro car nous avons passé beaucoup de temps avec eux, quitte à rentrer dans l'histoire de ces personnages aussi. Ils sont de la même génération, ont croisé la guerre du Vietnam, ont eu des pères compliqués. Et on retrouve comme ça toute une époque et toute une génération à travers eux. Même si ce sont des personnages de l'ombre. On était très très émus en les écoutant et on a beaucoup ri aussi.

R.F. : Comment décririez-vous "sommairement" (c'est horrible de dire ce mot) Springsteen, c'est quoi votre image sensible ou les mots qui "brut de décoffrage" décrivent le "mieux" le chanteur et l'écrivain de chansons ?
J.P. : Un mot c'est compliqué ! Il y a quelque chose de très viscéral chez lui auquel je suis très sensible. Il y a quelque chose presque de laborieux [pour son écriture, ndlr] au bon sens du terme. C'est quelqu'un qui travaille énormément, qui écrit sans cesse. C'est pas quelqu'un de léger en fait. Moi j'aime ça. Il a une place à part dans le rock. Il ne peut pas être déjanté, c'est pas possible. Quelqu'un nous a expliqué qu'il est né outsider et moi j'aime ce type qui s'accroche. J'ai mis des mots sur des choses que je sentais que je n'aurais pas réussi à nommer. Il a fallu travailler toutes ces heures d'écriture car j'ai encore beaucoup écrit pour cette "Grande traversée" et j'ai réussi à formaliser, à verbaliser ce qu'il pouvait être et pourquoi j'étais aussi attachée à lui. Je sens même des ressemblances dans sa façon d'écrire…
Suite de l'interview, demain…


"Tout ici oscille entre l'invisibilité et le grand écran…" Quand Judith a dit ça hier je ne savais plus moi-même où j'étais. Au cinéma, sur la route, backstage, ou sur un banc, paumé à Asbury Park. Guettant le passage improbable du Boss. Je n'ai rien voulu écouter, dans l'intervalle, de sa musique avant l'épisode d'aujourd'hui "Jusqu'à 13 ans j'étais mort". Je suis dans le game lancé par Judith. Je ne sais rien. J'écoute. Elle a les clefs. Il a les mots. Vingt-deux heures c'est long et… c'est court quand on a décidé que rien ne nous fera sortir de l'histoire. L'attente, merveilleuse quand il y a au bout la promesse du retour, permet aussi de réécouter le début de l'histoire.

Chante Judith. Tu dis si bien, sans rien falsifier, sans rien trahir les émotions d'un Bruce pour un quotidien désenchanté et quelquefois anéanti. Avec ces mots à fleur de peau, les siens, les tiens, les nôtres qu'il arrive à cristaliser au point ultime de l'émotion. Après ça plus possible d'écouter Springsteen comme avant. Et, quand Judith parle de "The river" (double-album, au temps du vinyle) et de cette chanson qui donne le titre à l'album, en face B du premier disque, on reste un peu figé. Tant sa façon de la faire s'enchainer avec "Point blank" (le 1er morceau de la face A du deuxième disque), nécessitait de se lever, de rouvrir les yeux et de rompre avec un état sublime que la technique obligeait d'interrompre, ressemble à la nôtre pour tant d'autres enchaînements précieux. Détail sensible, vécu, pour accompagner "la mélancolie qui se cherchait une mélodie pour l'accompagner". Il faudra bien un jour que le Boss découvre ce petit rituel de complicité subtile qui ne peut appartenir qu'à une fan. Émouvante de sincérité…

"Est-ce qu'un rêve est un mensonge s'il ne se réalise pas ou pire encore ?"



(1) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon,

lundi 24 juillet 2017

Vers Bruce Springsteen : grande traversée… (1/5)

Plus de deux mois que je me prépare à cette grande traversée. En transatlantique bien sûr. Le Havre-New-York. Après, direction Asbury Park (New Jersey). Trois ans après "son" Sinatra, Judith Perrignon est partie sur les traces d'un autre géant : Springsteen. En une façon de cercles concentriques, de good vibs (1). La radio nous permet encore (un peu) de voyager. Jusqu'à vendredi j'évoquerai ce voyage que j'ai commencé en juin en interviewant Judith Perrignon, la productrice de cette "Grande traversée Springsteen".


"Convention Hall", la salle de concert, photo © Judith Perrignon
















Radio Fañch : Comment s'est passée la "rencontre" avec Springsteen, Judith Perrignon ?
Judith Perrignon : J'ai un oncle d'Amérique qui est parti vivre à San Francisco en 69, qui vient chaque année et qui est important dans mon imaginaire, dans mon imaginaire américain en tout cas. Springsteen je l'ai découvert sur scène. C'est quelqu'un qui est très fort sur scène. Avec des concerts d'une densité, d'une longueur, d'une charge très forte. J'aime le rock, c'est la musique que j'aime. À lire et à écouter, en cheminant au fil des années, son univers, ce qu'il raconte des États-Unis ça correspond pas mal avec une littérature que j'aime. Il y a des personnages dans ses chansons. J'accroche beaucoup aux histoires qu'il raconte.

R. F. : Pour "M, le Magazine du Monde" vous avez en septembre dernier, - sans le rencontrer - commencé à approcher le personnage…
J.P. : Je pense que c'est suite à ça que France Culture m'a proposé cette "Grande traversée". Je n'aurai pas osé autrement, Springsteen faisant plus partie de ma sphère privée. Avant que ses mémoires ne paraissent, j'ai proposé au "M" cet article car je suis sûr qu'il va parler essentiellement de là d'où il vient et je voulais croiser ça avec l'ambiance pré-électorale de l'automne dernier [aux États-Unis, ndlr]. J'ai réussi à avoir des épreuves de son livre, ce qui n'est pas une mince affaire, et je suis partie faire ce reportage. Depuis, j'ai essayé de le rencontrer pour la "Grande traversée" et encore une fois j'ai échoué…
Suite de l'interview, demain

Pour la première escale de cette G.T. appelée "Prolos des bords de mer", Judith Perrignon débute par un retour en arrière, fondateur de son histoire "avec" Bruce. "La première fois il faisait nuit et je n'ai pas entendu la mer. J'ai fait la queue sur un parking, lâché 100 dollars pour un ticket d'entrée et couru vers l'intérieur. Je cours toujours dans ces moments-là ! C'était le 7 décembre 2003".

"Je savais les paroles des chansons, je montais vers les chansons, ils avaient déjà commencé". On y est. On a gravi les marches. Couru derrière Judith. Entendu les premières notes de ce début de concert. Qu'importe où nous étions. En deux minutes Judith a réussi à nous propulser à Asbury Park. C'est sa voix qui fait ça. Douce, légère, présente, elle réussit à se glisser derrière son sujet. Pas devant. Une façon de dire "Écoutez, si vous voulez, je vais vous raconter une histoire, mais ne comptez pas sur moi pour hurler ma ferveur."

Justement, Judith raconte des histoires. Elle dit où ça commence "C'est un article du New-York Post qui m'avait alertée…" et tire sur le fil. Touchée par l'allant de Bruce pour les déshérités, les ouvriers, les pompiers qui l'incitent à donner ce concert à Asbury Park en décembre 2003. Dans ce documentaire, Judith peut parler sur les chansons. C'est raccord. Et tant mieux que le son du concert semble un peu "lointain", "étouffé" comme si Judith était très loin de la scène. C'est Bruce & Judith qui, ensemble, sont intéressants à entendre. Pas l'un puis l'autre. Et puis le concert est un prétexte. On s'en fiche du son. Bruce est brut. Judith est tendre. L'accord parfait !

"Racing in the street"…

(1) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon,
(2) "Il était une fois l’Amérique de Bruce Springsteen", Le Monde, 30 septembre 2016,