Hier soir je croise Orson Welles sur les
docks ! «Hey man… !» Il me file une poignée de main à ébranler la Tour
de Pise. On marche. Placides. Je me lance :
- ”Quand vous dites : «L'avantage de la radio sur le cinéma, c'est qu'à la radio l'écran est plus large." Vous pouvez m’en dire un peu plus ? “
Le géant plisse les yeux, sourit et, d’un pas
alerte, m’entraîne à le suivre. Arrivés devant un immense bâtiment gris et sordide, il pousse la
porte gigantesque de ce qui s’avèrera être un studio. Derrière un décor
qui figure un immense poste de radio fourmillent une petite armada de
femmes et d’hommes. Encasqués, ensonorisés, Nagrapés. Tensions et excitation sont extrêmes dans les studios-box ou les open space. Les oreilles sont démesurées. Les voix en retour semblent familières et complices de leurs auditeurs.
Orson se déplace avec une démarche aérienne. Il flotte et savoure sans
se lasser de l’effet qu’il produit. Personne ne le salue ou ne lui
adresse la parole mais chacun semble lui faire un clin d’œil complice.
Je le suis fébrilement. Je dois ressembler au petit Poucet. Il entre en
studio. ON AIR. Il ajuste son micro, pose son havane dans le cendrier, et plisse des yeux. Indicatif ! Sans note, sans casque, Orson commence à raconter une
histoire qui ressemble à un feuilleton. Je ne me trompe pas ! Depuis le
10 octobre 1985, Orson vient, chaque soir, dans son studio de radio,
raconter une longue histoire qui n’en finit pas ! Ce soir c’est le neuf
mille quatre cent trente-septième épisode (1).
Rosebud
est un conte
philosophique à destination d’un autre système solaire. Un monde sans
écran, sans parabole. Juste des mots, des paroles qui, en même temps
qu’elles se diffusent, s’inscrivent “là-bas” sur un écran de cinéma,
circulaire et absolument démesuré. Au pied de cette tour gigantesque, une
foule semble lire ce qui s’inscrit, portée par la voix de stentor
d’Orson. Je me réveille en comptant. Si j’avais la prétention de
rivaliser, il me resterait neuf mille cent un épisodes à vous
écrire. Encore faudrait-il qu’Orson Welles mette fin à son feuilleton
ce soir même ! Alors que, j'en suis sûr, il ne s’arrêtera jamais.
Définitivement immortel ! (2)
Mes chers auditeurs, je republie ici mon billet du 29 juillet 2011, dans l'éventualité où il vous aurait échappé !
(1) À ce jour, soit neuf-mille-neuf-cent-dix-huit épisodes,
(2) Denis Florent a publié une contribution sur la
mythique émission d'Orson Welles à partir du texte "La guerre des
mondes". À lire. Phonurgia nova en a fait toute une histoire. Quant à Slate il démonte la panique collective…