Jean-Marie Borzeix |
Borzeix prend son temps, remonte à ses origines, le tout avec simplicité et surtout sans emphase ni prétention. Quel bonheur ! De "Combat", le journal, et ses odeurs d'encre où Borzeix a débuté, de "La rue du croissant" (quartier de la presse), Lebrun, en bon historien, fait se rapprocher l'histoire de la presse et ses différents métiers et une histoire de la radio avec au moins autant de métiers différents ! Borzeix situe son arrivée à la radio publique avec "une bureaucratie lourde" et un "monde compliqué avec des statuts très différents". Il en profite pour situer ceux qui ont un emploi pérenne et ceux qui, comme les producteurs, sont payés au cachet ! Le recul qu'il a pu prendre depuis son départ en 1997 lui permet de dire des choses établies mais dont plus personne ne parle et qui font l'essence même de la radio ! Il parle même d'"anecdotes" incroyables (comme la Direction de la Musique), pour montrer la complexité d'une "machine" extrêmement difficile à faire marcher.
Et puis Lebrun qui lui aussi vient de la presse (3) a beaucoup de plaisir à citer Philippe Tesson (patron de presse) et sa belle formule du directeur : "Je n'ai pas voulu vous former, j'ai voulu que vous soyez vous-mêmes". Principe qui a du aussi gouverner Lebrun et Borzeix face à leurs équipes respectives… Borzeix ajoutant que Combat "était une école de liberté exceptionnelle". S'en suit une très savoureuse anecdote sur ce journal et sa fabrication au plomb par des linotypistes et typographes arabes (4).
Mais voilà la cerise : Lebrun : " Cette formation (de Borzeix, ndlr) qui remonte à la plus haute Antiquité, ne va pas être sans influence sur le style que tu as donné à France Culture. Car au fond tu as laissé parfois le désordre et la cacophonie sans trop t'en préoccuper. Mais surtout moi j'ai beaucoup appris à cette école-là, car tu acceptais des opinions extrêmement diverses et tu détestais le monolithisme. Ça c'est la définition du Service Public, puisque les auditeurs étant de sensibilités différentes, il faut qu'ils entendent les uns et les autres ce qu'ils ont envie d'entendre. Il faut aussi qu'ils entendent ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre et il faut absolument sortir les producteurs de leur volonté d'apporter leur message. Et tu disais sans cesse aux producteurs et ça c'était l'esprit de Combat "Soyez dans la controverse, soyez dans le débat".
Borzeix acquiesce. "Je me suis beaucoup battu pour ça. À quoi ça sert un directeur dans une radio ? C'est constamment (et ce n'est pas très glorieux comme rôle) de rappeler à l'ordre. C'est ouvrir au maximum l'éventail des opinions, des sujets, la diversité des formes, et c'est un travail qu'il faut mener constamment. Il faut se battre dans une radio comme France Culture contre des dangers qui sont récurrents et permanents : le parisianisme. Et je me suis beaucoup battu contre le parisianisme et la mondanité. C'est pourquoi dès en arrivant en 1984 j'ai voulu créer une émission quotidienne "Le Pays d'ici" qui coûtait cher et qui se promenait toute l'année dans toutes les régions de France, qui faisait du reportage, du direct. C'était pour moi important, et plus que symboliquement, d'entendre ces voix loin du quartier latin, loin de la Maison de la radio."
Voilà un acte fort de prise de fonction et, si vous me lisez un peu, vous savez comment cette émission a résonné pour moi. Borzeix et Lebrun parlent depuis 15' et il leur reste une heure pour deviser de bonne compagnie. Merci à Longueur d'Ondes d'avoir permis cette rencontre là et à Oufipo de l'avoir mis en ligne. Régalez-vous mes chers auditeurs et AR-CHI-VEZ ! (5)
Le billet de samedi en début d'après-midi demain…
(1) Festival de la radio à Brest, 8ème année,
(2) Jean-Marie Borzeix a dirigé France Culture de 1984 à 1997,
(3) La Croix,
(4) Voilà une chose une fois de plus qui m'accroche l'oreille et m'intéresse beaucoup, le détail qui fait sens,
(5) Lire aussi : Le débat, n°95, "France Culture : une singularité française", Gallimard, mai-août 1997. Interview de Jean-Marie Borzeix.