On pourrait traduire le titre de ce billet par "Sauvez notre âme" ! Notre âme collective de service public de la radio. C'est le cri, l'appel bouleversé adressé à Mathieu Gallet le Pdg de Radio France (1). Les salariés de l'entreprise publique sont à fleur de peau, tendus, inquiets, désespérés. L'heure que leur a consacrée Gallet vendredi est dérisoire. Qu'aura t-il entendu ? Gallet pense et agit Maison de la radio quand les salariés pensent et agissent radio. Cette onde de choc pourra-t-elle ébranler un management pour lequel la dimension humaine passe… après ? Pourra t-elle mobiliser les tutelles en camps retranchés ? Pourra-t-elle rendre sa dignité aux métiers de radio bafoués par une vision marketing à des années-lumière d'un service public de radio digne de ce nom ? Digne de l'histoire de la radiophonie française.
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A.G. du 20/03, Auditorium R.F. © Arnaud Contreras |
"Que vous soyez grévistes, non-grévistes, CDI, CDD, moquette,
parquet, boiseries... Venez interroger le PDG." LOL " (2)
Vendredi sur ma Tweet Line (TL) tombent à intervalles réguliers des S.O.S., des cris, des colères, des stupéfactions. Quand dans le même temps des photos laissent apparaître la statue (vivante) du Commandeur passée de debout à assise avec une nonchalance et une désinvolture qui en dit long sur les qualités managériales de celui auquel il aura fallu moins d'un an pour être surnommé Grin-Gallet. Et voilà que volent en éclats ses trente-sept printemps mis en valeur l'an passé comme le gage d'une efficace jeunesse propre à réformer radicalement une Maison de la Radio cinquantenaire.
Las, pendant ces dix mois il aura fallu ranger au vestiaire ou jeter aux oubliettes, l'homme de média le plus sexy (3), au bronzage parfait, à la beauté singulière, au parcours sans faute, à un projet qui avait fait se pâmer un CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) sous le charme, votant à l'unanimité pour un héros des temps modernes qui, tel Jeanne d'Arc, bouterait bientôt hors des murs de la Ronde tout ce qui est à mettre au rebut : personnels disqualifiés, techniques obsolètes, organisations dépassées, moyens de production luxueux, formation musicale superflue,… Last but not least.
Bureau du Pdg, travaux interminables et coûteux,…
Ces symboles du pouvoir et du prestige reviennent en boomerang face à la précarité des emplois, aux restructurations, à une absence de vision stratégique versus vision économique, à des choix marketing plutôt que structurels "On veut faire de la radio pas un centre commercial avec rue traversante". Le Pdg, s'il comprend la colère des salariés, se défend très mal de n'avoir pas su différer les travaux de son bureau pour d'autres choix économiques prioritaires. L'image qu'il donne à l'intérieur comme à l'extérieur n'entache-t-elle pas sa légitimité à négocier avec l'État les modalités du prochain Com (Contrat d'Objectifs et de Moyens) qui imposera une cinquantaine de millions d'économies ?
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Auditorium en … chantier |
Chantier/Emploi…
La remarque la plus cinglante exprimée par les salariés : "Que l'emploi ne soit pas la variable d'ajustement si, pour payer le chantier (emprunt), il faut supprimer des emplois." Quant à la porte D (4) qui va engager de monumentaux travaux et va obliger à la fermeture de studios les salariés s'insurgent : "Nous ne voulons pas sacrifier notre lieu de travail pour l'accueil du public". Les compétences professionnelles des différents métiers de la radio s'expriment tous les jours sur les antennes de Radio France. Ces professionnels s'interrogent sur les compétences des architectes qui depuis le début des travaux (2006) ont très peu pris en compte leurs réalités fonctionnelles, celles qu'impose la fabrique de la radio.
Studios "moyens"…
Dans le jargon de la maison les studios "moyens" sont les studios 107 à 110 et le 111 dans lequel sont enregistrées les fictions. Ils pourraient être "touchés" par les travaux et réouverts en 2020 ! Pendant cette période des solutions extérieures devraient être trouvées.
Externalisation…
Malgré l'affirmation par Gallet que "les hommes ne sont pas une charge mais une ressource, une richesse", son langage comptable et financier heurte l'assemblée. L'externalisation d'un des deux orchestres, du service propreté et de la sécurité inquiète l'ensemble des "collaborateurs" concernés et renvoie vers les questions de stratégie versus des questions purement économiques.
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Mathieu Gallet… assis |
"Standing ovation pour le personnel de nettoyage de #radiofrance
dont les emplois sont menacés"
En élevant sur le trône les nouvelles valeurs du parfait manageur : monétisation des espaces, des concerts, des événements, développement de la radio sur tous les supports, vente de produits dérivés (podcasts), externalisation, … Ce n'est plus une mue c'est une révolution existentielle qui fait dire à une salariée (propreté) "Aujourd'hui, vous allez nous mettre au sous-sol" (5). Filons la métaphore et demandons-nous si toutes les activités essentielles au fonctionnement de la radio ne vont pas être "reléguées" dans des lieux improbables, inaccessibles, éloignés du cœur battant de la Maison de la radio ? Tout cela participe du constat lucide d'un salarié : "un divorce entre les salariés et leur président".
"Fusion","autonomie"... Ce que vous faites pour les orchestres,
c'est un laboratoire pour ce que vous allez faire pour les rédactions"
Les mots font mal ! "France Culture, France Musique, France... ce sont des identités, mais derrière ce sont des marques". Si Gallet ajoute le mot "Marque" pour qualifier les différentes antennes du Groupe, les salariés hurlent. Les mots passent très mal. Le supermarché se rapproche ! Ajoutons la syndication de France Bleu et "c'est toute la notion de proximité des locales" qui implose. Quant à "changer l'état d'esprit des collaborateurs" Gallet n'aura donné aucune réponse. Sur le service public Gallet manie la sémantique en s'engageant pour le service public mais en insistant sur les publics qui ont changé et la nécessité de faire évoluer le service public de radiodiffusion. À marche forcée ? À quel prix ?
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Être à la hauteur… |
"C'est pas un choix d'emploi, c'est notre âme qu'on touche,
quels sont vos engagements ?".
Une salariée ajoute "Ce n'est pas un choix de métier, c'est un choix de sacerdoce. On ne veut pas que les productions soient amputées". Une autre "On aimerait des engagements de votre part pour que vous protégiez cette âme de la radio".
"Je ne vais pas vous donner une réponse alors que l'actionnaire,
l'Etat n'a pas décidé." (Gallet)
Les salariés interpellent de façon très lucide le Pdg en lui faisant remarquer que s'il a les "mains liées" sur des sujets qui impliquent la tutelle, pourquoi, là où il a les mains libres sur des sujets où il peut agir, il ne propose pas de réponse et d'action immédiate ? Une salariée enfonce le clou "On n'est pas nés de la dernière pluie". La tutelle super parapluie pour jouer double-jeu ? Un salarié précise "Vous faites une réforme insidieuse de cette maison, c'est un grand puzzle et vous manipulez certaines pièces de ce puzzle les unes après les autres…".
"Bon ben M. Gallet a posé son micro et est parti
sous les huées. The end."
Les syndicats appellent à une AG à 14h le jour même (6).
(1) Choses entendues à l'Assemblée générale du personnel, Auditorium de Radio France, 21 mars 2015. À partir de plusieurs contacts téléphoniques avec des personnes ayant participé à l'AG,
(2) Les tweets publiés vendredi pendant l'Assemblée générale à laquelle le Pdg avait été invité à venir répondre apparaissent en rouge,
(3) Magazine Têtu,
(4) Extrémité de la "rue traversante" depuis la porte A, quai de Seine,
(5) Gallet reconnaît des maladresses et s'engage à revenir sur "le projet",
(6) Voir aussi l'événement "Orchestre national de France".