mardi 17 décembre 2024

Thierry Jousse : les mains dans le vinyle, les oreilles dans les sillons…

Thierry Jousse qui depuis neuf ans anime sur France Musique "Retour de plage" l'été sur France Musique vient de commettre une somme sur plus de deux-cent-cinquante pochettes de 33 tours (LP) dont il documente avec grande érudition le graphisme ainsi que bien sûr le contenu musical. Comme il le dit dans sa préface il "a établi un récit entrelacé dans un choix subjectif qui n'est pas un panthéon…". 

Édition E/P/A et Radio France










Jousse précise "Le plus important est la ligne ou la courbe que cette liste dessine dans son ensemble. Cette histoire n'est pas seulement musicale, elle est visuelle. À leurs façons [ces vinyles] de légende ne sont pas seulement des objets de collection, ils peuplent, plus que jamais notre imaginaire et notre présent". CQFD !

Commençons par une jolie fleur de nostalgie, de tristesse dit Thierry Jousse, avec "In the wee small hours" de Sinatra. Juste se laisser porter. Julie London interprète elle dans une "éternelle pureté" pour ne pas dire dépouillement un "Cry me a river" de David Hamilton. Mais pouvait-on faire moins pour une pochette aussi dépouillée !!!! Par contre celle du Elvis (sans titre) de 1956, avec son lettrage vert et rose a permis une formidable reprise pour le "London calling" des Clash qui fêtait ces quarante-cinq ans ce samedi 14 décembre. Apparaît Mina que Jousse n'oublie jamais dans ses retours de plage, je découvre "Il cielo in una stanza", complètement d'époque (pochette cheap !), complètement rital, de quoi nous plonger dans l'insouciance d'une époque révolue.

Même époque, passé le chanel, en 64, les Ronettes et leur mentor Phil Spector qui avec "Be my baby" affolent le hit-parade français. Mais il faudrait un livre entier à Jousse pour nous détailler les pépites du maestro Burt Bacharah qui avec Dionne Warwick claque l'incontournable "Don't make me over" dont on se gardera bien d'évoquer la version en français. À la différence de nombreuses personnes de ma génération (et de rock-critics) je n'accroche pas du tout au "Pet sounds" des Beach boys ! Mais par contre je vénère et la pochette et son contenu du "Sgt. Pepper's lonely heart club band" des Beatles (1967).









L'art de Jousse est de nous emmener là où nous n'irions pas spontanément (à défaut de culture et de promotion). Le plaisir de (re)découvrir Bobbie Gentry. J'ai aussitôt téléchargé (via ma plateforme préférée) son deuxième LP "The delta sweete". Je ne peux pas passer à côté du "Cheap thrills" de Janis Joplin and Big brother and the holding company pour la zique bien sûr mais aussi pour la pochette de Robert Crumb, le dessinateur de la free-press aux États-Unis. Et un incontournable d'Hendrix "Electric Ladyland" (1978) et son si bien électrifié "All along the watchtower" de Robert Zimmerman lui-même.

Je n'aurai pas assez d'un billet pour brosser un panorama exhaustif du travail de Thierry Jousse. Vous vous contenterez ici d'un inventaire à la Prévert :  Dusty Springfield, Crosby, Still and Nash, Johnny Cash, King Crimson, Yes (Oh Yes !), Antonio Carlos Jobim, Minnie Riperton, Marvin Gaye, The Allman Brother's band, Roxy music, Lou Reed, Curtis Mayfield, Terry Callier, Pink Ployd, Bob Marley, Frank Zappa, Manu Dibango, Stevie Wonder, Joni Mitchell, Carole King, Peter Gabriel, The Clash, Kate Bush… et plus si affinités !

Maintenant il ne reste plus qu'à lire chaque notice. La trêve des confiseurs n'y suffira pas. Sincère bravo et félicitations à Thierry Jousse dont il est agréable de croiser les univers musicaux. Avec ce livre il a de quoi faire une quotidienne sur France Musique ! Et commencer à préparer un tome II !

lundi 16 décembre 2024

Une nuit dans Le Monde…

Lecteur assidu depuis quelques décennies du quotidien Le Monde, je pouvais bien perturber ma nuit de samedi à dimanche pour la passer au… journal. Avec, au cœur du dispositif, les témoins indispensables Pierre-Henti Teitgen, Hubert Beuve-Mery, co-fondateur, Jacques Fauvet, Bernard Lauzanne, Laurent Greilsamer, Pierre Viansson-Ponté, Jean-Marie Colombani,… Et quelques historiens qui ont retracé par le menu, des origines (18 décembre 1944) jusqu'en 2003, l'aventure singulière et passionnante du quotidien de l'avenue des Italiens à Paris…

Hubert Beuve-Méry au siège du journal "Le Monde" ©Getty -
Gilbert Uzan / Gamma-Rapho










Albane Penaranda, productrice des Nuits de France Culture, avait pour l'occasion (les 80 ans du Monde, le 18 décembre prochain) concocté un programme d'archives qui, sur plusieurs décennies déroule la vie mouvementée d'un quotidien, qui, dit de référence, allait passer plusieurs fois très près de la cessation de parution. La nuit commence en beauté avec "L'Histoire en direct" de Patrice Gélinet. 

19 décembre 1944 : la naissance du Monde (1ère diffusion 5 décembre 1994)
Ah les bons lundis consacrés à l'histoire sur France Culture. Le matin avec "Les lundis de l'histoire", en soirée avec deux soirs par mois "L'Histoire en direct", dont un soir consacré au documentaire sur le sujet qui sera débattu le lundi suivant. Et ce 5 décembre 94, le documentaire est à la hauteur du sujet. Avec méthode et pédagogie Gélinet fait raconter aux acteurs les débuts d'un quotidien qui va s'imposer dans la presse française. J'ai beau connaître l'histoire du journal, je n'en perds pas une miette et me régale d'une écoute attentive et aiguë. Et puis là on parle d'un journal papier de deux pages, mais d'un journal papier comme celui que je lis chaque jour.

Il est agréable d'entendre désannoncer "à la documentation Rebecca Denantes, au mixage Guy Senaux et à la réalisation Christine Bernard Sugy".

Les lundis de l'Histoire : Les années fondatrices d'Hubert Beuve-Méry et du Monde 
(1ère diffusion : 8 octobre 1990)
En presque une heure trente, Philippe Levillain, historien, entouré de Jean-Noël Jeanneney, historien, Marc Lazar, professeur émérite à Sciences Po, Laurent Greilsamer journaliste et écrivain, Jacques Noblécourt et Bernard Lauzanne, journaliste, directeur de la rédaction du "Monde" va retisser l'histoire du journal, de ses difficultés, de ses succès et de la personnalité janséniste de son directeur-fondateur, Hubert Beuve-Méry. Et aussi ce qui distingue le journal des autres titres de la presse parisienne.

Un jour au singulier - Bernard Lauzanne (1ère diffusion : 11 décembre1994)
Qu'ils étaient doux ces dimanches passés en compagnie de Geneviève Ladouès qui, avec délicatesse et attention, nous faisait passer une heure un quart en compagnie d'un invité qui nous racontait son "jour au singulier". Ce 11 décembre 1994 c'est avec Bernard Lauzanne qui deviendra Directeur de la Rédaction, que nous allons l'entendre évoquer ce 5 juillet 1945 et sa rencontre avec Beuve-Mery. Un témoin précieux pour raconter les débuts du journal et ce sur quoi il s'est fondé. Ladouès a l'art d'accompagner ses invités et de leur faire parler du singulier qui a pu marquer un jour de leur vie.

Le siège du "Monde" rue des Italiens en 1952
©Getty - Keystone-France / Gamma-Rapho














Paradoxes - Jacques Fauvet (1ère diffusion : 26 janvier 1971)

Nouveau directeur du journal depuis 1969 après le départ de Beuve-Mery, Fauvet confie à Alain Bosquet "Je ne me considère pas comme le sommet de la pyramide, je me place dans l’immeuble lui-même, à tous les étages, depuis le sous-sol jusqu’au dernier étage". C'est un autre ton que celui de Beuve, c'est aussi une autre époque, post-68 et d'autres enjeux de presse.


Parti pris - André Fontaine (1ère diffusion : 24 octobre 1975)

"En 1975, c'est encore en qualité de rédacteur en chef du journal fondé par Hubert Beuve-Méry qu'il répond aux questions de Jacques Paugam dans l'émission "Parti Pris". En disant croire davantage à l'honnêteté qu'à l'objectivité, il expose notamment sa conception du métier de journaliste. André Fontaine aborde l'éthique à laquelle les rédacteurs du Monde sont formés depuis toujours."


Tout arrive - La face cachée du Monde (1ère diffusion : 27 février 2003)

Et Pierre Péan, journaliste et écrivain, d'entrer en scène avec fracas. "En 2003, Philippe Cohen et Pierre Péan publient La face cachée du Monde. Un livre dans lequel ils attaquent violemment ceux qui dirigent Le Monde  - Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc - coupables à leurs yeux d'avoir perdu de vue, et même complètement trahi, l'éthique sur laquelle Hubert Beuve-Méry avait fondé Le Monde ; une éthique trahie par la ligne éditoriale suivie depuis leur direction et, plus grave, trahie par une dérive vers des cercles de politique, d'affaires et d'argent dans laquelle ils auraient entraîné le journal." Extrait de la présentation de l'émission.


Et si chères lectrices et lecteurs vous souhaitiez entendre une voix féminine reportez- vous à mon billet de 2022, qui raconte le parcours d'Yvonne Baby, première femme directrice de service (culturel) du Monde depuis 1971…


Yvonne Baby et Orson Welles © Le Monde


lundi 2 décembre 2024

Les Nuits de France Culture : un calendrier de l'avant !

Toutes les nuits, toute l'année, Albane Penaranda, productrice, nous incite à ouvrir les petites cases de ses nuits si souvent magnétiques, même si depuis la rentrée nous avons encore perdu deux heures de rediffusion du patrimoine radiophonique qu'entretient France Culture depuis janvier 1985. C'est souvent un régal, un pas de côté pour mesurer une autre temporalité, s'extraire de l'info qui est devenue la marque de fabrique d'une chaîne qui se FranceIntérise. Je l'ai écrit ici plusieurs fois : un indicatif, une voix, un générique et l'on est transporté dans le tourbillon de la vie, pour citer Jeanne Moreau… Pour la première fois depuis la création de ce blog en juillet 2011, j'ai laissé passer un mois entier sans écrire. Le tourbillon de la vie était ailleurs…










Mais mon tourbillon radiophonique ne s'est pas interrompu… la nuit. J'ai virevolté avec Maspero et Lacoste en Corrèze, me suis régalé avec cinq épisodes sur Montréal, (cinq Nuits magnétiques de février 1978) et ces derniers jours en virée aux Halles (ex-Baltard) avec Josette Colin, le 19 juin 1997. Josette, réalisatrice, qui "pour une fois" passe à la production et, micro en main, revisite l'histoire même de ce grand marché bruyant et odorant en plein Paris jusqu'en1969. Si on ne sent pas les odeurs on les devine car la productrice sait les suggérer subtilement. En faisant raconter les acteurs singuliers qui ont vécu leurs nuits et leurs petits jours dans l'ambiance effrénée du déballage, de l'achat et de la vente et surtout dans cette ambiance "festive" que le vocabulaire particulier des Halles raconte si bien.

À presque trente ans du départ des Halles pour Rungis, il est surprenant d'entendre la mémoire intacte de ses nombreux acteurs et leur mémoire croustillante et imagée. On est dans les Halles, on visualise les étals, les bistrots, les corporations de bouchers, une faune incroyable accrochée à ses savoirs-faire, ses combines, ses habitudes et ses rituels. Un monde à part et vivant pour ne pas dire souvent joyeux malgré la rudesse et l'intensité des tâches à accomplir. Josette Colin, fondue dans le paysage, nous donne à entendre un "lieu de mémoire" d'humanités et de fraternités de "bons vivants" comme à l'abri des contingences d'un monde déjà bousculé et fragile. 

Un documentaire à archiver. Merci Josette !