vendredi 31 mai 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 5/10

Le nouveau Président de la République Giscard d'Estaing, le Gouvernement emmené par son 1er Ministre Jacques Chirac ont laissé se poursuivre le projet de démantèlement de l’ORTF et mieux ont soutenu l’élaboration de la loi qui sera votée au mois d’août 1974.

Valéry Giscard d'Estaing 1926-2020










Juillet

(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)

05. “Le rapport Paye [juin 1970] recommandait la constitution des chaînes de télévision, de la radio, de la diffusion en unités distinctes. Sur l'organisation générale de la radio - télévision, il préconisait la constitution d'une société holding contrôlant des filiales spécialisées. Le gouvernement n'a pas retenu, dans son projet, le principe de la société-holding, mais il a organisé, comme le souhaitait la commission Paye, la radio - télévision en unités distinctes et concurrentielles.” On est passé à deux doigts de la concordance des temps absolue. Si en 1974, le futur projet de loi ne retient pas la holding comme chapeau des sept sociétés (indépendantes) de l'audiovisuel public, en 2024 la holding (Janvier 2025) est de retour, avant dernière étape avant la fusion (Janvier 2026). On peut donc dire qu'une holding flotte au-dessus de l'audiovisuel public depuis 54 ans !

25. “Les députés décident par 291 voix contre 177 de mener à bien l'examen de la réforme de l’ORTF avant d'entamer la discussion du projet de loi relatif à la radiodiffusion et à la télévision, les députés, sous couvert de rappels au règlement, évoquent tout d'abord la situation de l'agriculture française.” Ça alors ! En miroir, le 23 mai 2024, la discussion, en plénière à l’Assemblée nationale, de la nouvelle loi sur l’audiovisuel public est ajournée du fait des trop nombreux amendements sur la nouvelle loi agricole qui, ce 23 mai continuent d’être débattus dans l’hémicycle. L’histoire repasserait-elle les plats ?

26. “Au terme d'un débat bâclé, l'Assemblée Nationale adopte le projet réorganisant la radiodiffusion et la télévision.Le Sénat devait commencer, vendredi 26 à 10 heures, l'examen du projet de loi sur la radio et la télévision, que l'Assemblée nationale avait approuvé, le matin à 8h15, après une discussion qui s'était prolongée toute la nuit. Entre-temps, la commission des finances du Sénat avait dû mener au pas de charge ses propres délibérations. C'est dire combien le débat sur cette importante réforme est précipité, voire bâclé. Au Palais-Bourbon, les vingt-sept articles du projet et les cent soixante amendements auxquels ils ont donné lieu ont été discutés dans la journée de mercredi et dans la nuit. Aussi bien, c'est d'abord ce " forcing " qui a été mis en cause et pas seulement par l'opposition. Le Parlement est, une fois de plus, transformé en chambre d'enregistrement. L'exécutif fait la loi et estimerait sans doute plus expéditif de la faire seul.” 


Serait-ce donc une manie gouvernementale de vouloir s’affranchir du pouvoir de la représentation nationale ? “L’exécutif fait la loi” cette formule est sans appel et pourrait caractériser une méthode instituée et éprouvée dans la Vè République.

26 (suite). “C’était oublier que la discussion ne portait plus sur l'Office, mais sur la création de six nouvelles unités [qui n'intègrent pas les archives, ndlr]. Les interventions des députés, comme celle du premier ministre et du secrétaire d'État, ont surtout illustré l'ignorance du problème de l'audio-visuel et le caractère vague et aventureux de la plupart des dispositions qui régissent le fonctionnement des futurs établissements : tout le monde a travaillé dans le flou, comme s'il s'agissait, d'abord, d'être à l'heure pour une présentation de mode.” Le constat est sévère et lucide. Aujourd'hui en mai 2024 tant d'observateurs constatent aussi le caractère "vague et aventureux” de la future loi audiovisuelle.

29. “C’était la troisième fois depuis 1964 que les sénateurs délibéraient, vendredi, sur de nouveaux statuts pour la radio-télévision. Quelque peu désabusés, la plupart des orateurs sont apparus sceptiques sur l'espérance d'avenir de cette nouvelle réforme. La hâte dont a fait montre le gouvernement pour faire adopter ce projet ne pouvait que mettre en évidence le caractère circonstanciel de l'entreprise. En outre, les sénateurs ont protesté contre les mauvaises méthodes de travail et le caractère bâclé du débat. 

Ainsi, la commission des finances n'aura disposé que de deux demi-journées pour examiner le texte, tandis que la commission des affaires culturelles n'a pas eu le temps de faire imprimer son rapport, simplement ronéotypé pour la circonstance. Que le succès de cette réforme dépende, en fait, pour l'essentiel des décrets d'application et des futurs cahiers des charges qui seront mis en application une fois close cette session extraordinaire ne constitue guère une consolation, mais davantage un sujet d’inquiétude”.

Tout est dit et bien dit. Flou, circonstanciel, bâclé, inquiétude, quatre mots forts qui sont exactement les mêmes que ceux qui nomment l’état actuel du projet de fusion des audiovisuels publics. Pour démonter une organisation (l’ORTF) ou la remonter (France Médias) les mêmes méthodes sont à l’œuvre et peuvent laisser perplexe sur l’évolution (ou la régression ?) de la démocratie et/ou du pouvoir législatif.

(À suivre, lundi)

jeudi 30 mai 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 4/10

Le 27 février 74, le conseil des Ministres a approuvé la “décentralisation” de l’ORTF. Mars n’a pas calmé l’effervescence, le 1er la police pénètre à la Maison de la radio pour tenter de contrer la manifestation engagée dans les locaux même de la radio publique. Une émission débat d’une heure quarante-cinq est proposée le 12 mars sur la 2è chaîne de télévision pour évoquer avec le Pdg de l’ORTF M. Marceau Long, la réforme des structures de l’Office. Le 2 avril 1974, le Président de la République, Georges Pompidou meurt. De nouvelles élections en avril et mai voient l’élection de Valéry Giscard d’Estaing et ne freinent en rien la procédure de démantèlement de l’Office. 

Georges Pompidou (1911-1974)









Juin
(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)

3. “En raison des préavis de grève déposés à l'ORTF par plusieurs syndicats, dont la Fédération syndicale unifiée (personnels techniques et administratifs), les programmes de radio des 1er, 2 et 3 juin ne seront pas diffusés normalement. Un programme minimum (musique ininterrompue, bulletins d'information à 8 heures, 13 heures et 19 heures) sera assuré”. Est-ce l’occasion de dire que les radios périphériques, RTL, Europe n°1, RMC, engrangent de nouveaux auditeurs ? La grève devient la “marque de fabrique”  de l’audiovisuel public et le seul moyen pour les salariés de se faire entendre, ce qui ne va pas sans arranger ses plus vifs opposants.

10. “Les grévistes de l'O.R.T.F. se transmettent le relais. Une semaine après les personnels technique et administratif, tous les collaborateurs hors statut décident de cesser le travail à partir du 11 juin. Ils seront reçus par la direction lundi 10 juin. Le maintien de l'ordre de grève peut dépendre de cette rencontre. C'est la première fois que cette catégorie, qui comprend des réalisateurs, compositeurs, auteurs - producteurs, acteurs et musiciens, réunit l'ensemble de ses organisations syndicales sur des revendications communes.” 

10. ”M. Long tente d'amorcer le dialogue pour éviter l'extension du conflit à l’ORTF. L'intervention radiotélévisée de M. Marceau Long, vendredi soir (7 juin), pour tenter de débloquer le conflit qui, depuis le 30 mai perturbe les programmes de l'ORTF et risque de s'amplifier dans les prochains jours, n'a guère trouvé d'écho, semble-t-il, parmi les "jeunes loups" qui sont à l'origine de la grève. Samedi matin, le programme minimum était toujours appliqué à la radio. En revanche, les grévistes s'arrangent pour que les téléspectateurs ne fassent pas, pour l'essentiel, les frais du conflit pendant le week-end”. En effet ce serait préjudiciable de priver les auditeurs de France Inter de “L’Oreille en coin”, long programme de 13h d'émissions variées, réparties du samedi midi au dimanche soir (1968-1990).

Le 24 juin 1974, dans Inter-Actualités, le journal de la mi-journée sur France Inter, Arlette Chabot rappelle qu'à la radio c'est le 26è jour de grève des techniciens (T2, techniciens opérateurs de son) et des administratifs (A2). Le secrétaire général de la CGT à l'ORTF s'il soutient les revendications catégorielles imagine que "le conflit va prendre une autre dimension” (grève générale) avant le Conseil des Ministres du 3 juillet pour manifester l'attachement de tous les personnels au maintien du monopole et du service public.

(À suivre, demain)

mercredi 29 mai 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 3/10

On entre dans le dur. L’ORTF s’applique à mettre au point un démantèlement qui ne dit pas son nom et qui, par la porte ou la fenêtre, commence sérieusement à inquiéter syndicats et personnels concernés.

La maison de l'ORTF















Février

(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)


1. "Les nouvelles structures de décentralisation de l'ORTF, dont le projet est actuellement à l'étude, entreront en application en janvier 1975 ", a déclaré M. Marceau Long au cours d'un déjeuner-débat organisé mercredi 30 janvier par l'Association française des critiques et informateurs de radio-télévision. Se félicitant qu'il n'y ait plus de grèves, le P.-D. G. de l'Office a précisé que le plan de réforme sera remis au gouvernement entre le 15 et le 20 février.” Plutôt que de fanfaronner M. Long aurait pu imaginer que “son” projet de décentralisation allait voir les grèves se succéder et figer le déroulement normal des programmes de radio et de télévision.

"L'Office, a-t-il déclaré, aura bientôt son heure de vérité, celle de son financement. Dans un souci d'indépendance il n'est pas question de quémander auprès de l'État. "À cet égard, il préconise une modification de la fiscalité et a annoncé que son plan de réforme ne devrait pas entraîner de dépenses accrues et permettrait des économies par la suite.” Voilà donc un autre adepte de la Méthode Coué et des théories économiques superfétatoires “moins de dépenses et plus d’économies” Ben voyons Léon ! L’histoire t’a donné tort. Ce qui, cinquante ans plus tard, n’empêche pas les perroquets de reproduire les mêmes éléments de langage. 

5. “Malgré l'accord sur le fond qui existe entre tous les syndicats pour refuser la "décentralisation-liquidation" de l'Office qui, selon eux, se prépare, les cégétistes et les cédétistes considèrent, en effet, que la présentation d'un contre-plan digne de ce nom dépasse le cadre de leurs responsabilités. Ce contre-plan, auraient précisé certains, serait une manière de "récupération par le système”. Le mot liquidation n'est pas trop fort. Depuis 1968, tous les politiques de droite ont montré leur hostilité à l'ORTF et sa capacité d'“auto-gestion”. Les guillemets s'imposent mais à l'époque ce n'était pas les “administratifs” qui faisaient la loi à la radio et à la télévision, mais bien plutôt les artistes et autres saltimbanques.

9. “Le Pdg de l'ORTF a exposé jeudi 7 février aux membres du comité d'entreprise - sans parvenir, semble-t-il à les convaincre - les modalités du plan de réforme et sa nécessité. C'est devant le conseil d'administration, réuni une dernière fois sur le sujet le mardi 12 février, que M. Long présentera son projet définitif avant de le remettre au gouvernement.” Qu’importe que le C.A. de l’Office ne soit pas convaincu, la machine infernale est lancée et rien ne devrait pouvoir y mettre obstacle. En 2024, le même scénario se joue avec la même détermination sans qu’une consultation large de tous les professionnels concernés n’ait été jugée utile ni par le Gouvernement ni par la Ministre de la Culture.

(À suivre, demain)

mardi 28 mai 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 2/10

Fin 1973, le Pdg de l’ORTF, Artur Conte a été démis. Son successeur, Marceau Long va avoir la lourde tâche de démanteler la forteresse ORTF. Retour en arrière mois par mois.

Marceau Long (1926-2016)


















Janvier 
(Les chiffres en début de paragraphe correspondent à leur date de publication dans Le Monde)

03. Dans son billet quotidien de une du journal Le Monde, “Au jour le jour”, Robert Escarpit écrit de façon prémonitoire : “Il paraît qu'on fait toute l'année ce qu'on a fait pendant ses premières heures. En ce cas, je n'en augure rien de bon pour l'ORTF puisque le tout premier événement de notre télévision en 1974 a été, sur la première chaîne, et dans l'émission de Jacques Chancel, un incident technique.” L’incident technique se révèlera vite être un accident… industriel !


14. “Lorsque les syndicats essayent de faire croire qu'ils ont découvert le secret de la grève indolore pour le public, ils le trompent à terme. En se relayant pour désorganiser systématiquement la production, les syndicats ferment à sa source le robinet du programme. Moins on produira, moins on diffusera. Plus on privera le public de ses émissions familières, plus il faudra recourir à des programmes de remplacement ", précise M. Long en faisant référence aux changements de programme : "Une partie de cache-cache est engagée entre les directeurs de chaîne et les syndicats, dont le téléspectateur fera les frais.” Et pas que, l’auditeur de radio et de ses quatre chaînes (France Inter, France Culture, France Musique, Fip) n'en serra pas épargné, au bénéfice sûrement de ses concurrentes privée RTL, Europe n°1, RMC.


17. “À l'issue de la réunion du conseil d'administration de l'ORTF, convoqué mardi 15 janvier, pour avoir communication des projets de décentralisation, M. Long a présenté à la presse les grandes lignes de son plan, qui n'entrera d'ailleurs en vigueur qu'à la fin de l'année. Selon certaines informations, le P.D.G. n'aurait pas trouvé au sein du conseil l'approbation majoritaire qu'il pouvait en attendre et qui lui aurait permis d'accélérer le mouvement. Le coût de la réforme a notamment inquiété plusieurs membres du conseil.” Comme c’est bizarre ! Comme en 2024 la position arbitraire du Gouvernement et de la Ministre de la Culture, Rachida Dati, de fondre ensemble les audiovisuels publics laisse perplexes plusieurs de ses dirigeants et une très forte proportion des professionnels de la profession.


19. “Le délai supplémentaire d'un mois, reconnu nécessaire pour mettre au point le projet de décentralisation de l'ORTF, "devrait en particulier permettre de préciser avec toutes les parties intéressées les conséquences, notamment pour le personnel, des aménagements de structure envisagés", déclare le communiqué de la présidence diffusé jeudi.” Monsieur Long, doté sûrement d’une efficacité redoutable aurait-il pu en moins de trois mois après sa prise de fonction élaborer les modalités de la “décentralisation” ? On imagine bien qu’un mois supplémentaire soit utile à peaufiner les circonvolutions sémantiques et politiques pour faire encore mieux passer la “pilule”.


(À suivre, demain)

lundi 27 mai 2024

ORTF : 74 année cata…strophique ! 1/10

L’histoire repasserait-elle les plats ? Quelquefois sans doute. C'est ce que vous pourrez lire dans ce feuilleton en dix épisodes, dans une “concordance des temps” que ne renierait sûrement pas M. Jean-Noël Jeanneney, producteur avec ce titre de l'émission d'histoire, tous les samedis à 10h sur France Culture depuis 1999. C'est à partir de la consultation des archives du Monde de l'année 1974 sur le sujet ORTF que j'ai pu trouver des similitudes frappantes de procédure et de postures politiques. (Pour éviter les notes de bas de page, tous les citations sont extraites d’articles du journal Le Monde de janvier à décembre 1974).


Arthur Conte ©Afp


















Juste avant le début…

Claude Contamine en 1965 à la tête de la télévision publique déclare : “Il faut passer à l'ère industrielle: la télévision, ça a été très bien; mais l'artisanat, c'est terminé !”. Puis il y a eu 1968. Après 1968, il faut [...] distraire du politique. De cette époque date le tournant qui fera passer d'une télévision de l'offre à une télévision de la demande, c'est-à-dire de l'audience, et dont le divertissement deviendra le moteur” (1). 


La principale innovation de la loi du 3 juillet 72, sur l'audiovisuel public, consiste à fusionner - à l'ORTF - les fonctions du Président du Conseil d’Administration et du Directeur général au profit d’un Président-directeur général omnipotent, nommé, théoriquement pour trois ans. En juillet 1972, Arthur Conte (1920-2013), député UDR (Union des démocrates pour la République) est nommé à 53 ans, premier Pdg de l’ORTF. Et, comme il le rapporte lui-même (Hommes libres, Plon, 1973), il est significatif de voir qu’il avait en fait été choisi dès avant le vote de la loi .


Avec sa faconde catalane et son franc-parler il souhaite “faire chanter la France”, particulièrement pour tenter de rendre la télévision moins pessimiste. “La loi du 3 juillet 72 prévoit en outre de nouvelles dérogations au monopole, et surtout une réorganisation de l’Office en unités fonctionnelles qui prennent la forme de régie ou éventuellement d’établissement public en application de la loi. Artur Conte crée huit régies, une pour la radio, trois pour chacune des chaînes de télévision, une pour la diffusion, trois pour les moyens de production.” (2)


Las, il va lui-même très vite déchanter, le pouvoir estimant qu’en seize mois il n’a pas réussi après le désordre de 1968, à remettre en ordre la grosse machine ORTF et de ne pas avoir circonscrit dans certains services les frondeurs, hostiles au pouvoir gaulliste et pompidolien. Quant à la réforme, imposée par la loi du 3 juillet 1972 (n°72-553), elle tarde à se mettre en place. Cette décentralisation de l'Office “centralisateur” aboutirait à la création de régies autonomes. M. Philippe Malaud, secrétaire d'État à la fonction publique, avait présenté le 7 juin 1972, en conseil des ministres, le projet de reforme de l'ORTF qu'il avait reçu mission de préparer. Les nouvelles structures, qui feront l'objet d'un projet de loi, prévoient une décentralisation de l'ORTF, par la création de régies autonomes pour chaque chaîne de télévision, pour la radio, pour la fabrication et pour la diffusion. Ce qui ne lasse pas d'interroger Arthur Conte sur cette décentralisation qui passe mal en interne et qu'il a du mal à imposer. 


Le Pdg est un fédérateur et un agrégateur de talents pas un coordinateur d'autonomies. Les injonctions du Ministre de l'Information, Philippe Malaud sont de plus en plus pressantes et le ministre de roucouler dans Le Figaro (19 octobre 1973) : "L'ORTF est un milieu difficile, constamment agité, événementiel, je dirai féminin [sic]… et qui a besoin effectivement d'un vrai patron." Le jugement est sans appel. Quatre jours plus tard Conte est démis de ses fonctions de Pdg.


Après la démission d'Arthur Conte, Marceau Long est nommé, en octobre 1973, PDG de l'ORTF “en raison de ses qualités de gestionnaire”, par le président Georges Pompidou. Dès 1974, il organisera progressivement le démantèlement de l'ORTF. Jean-Philippe Lecat (1935-2011), nouveau Ministre de l’Information assigne au Pdg la mission qu’il devra mener au sein de l’Office


  • “Le nouveau président-directeur général mettra en œuvre la plus large décentralisation. Les responsables des différents établissements publics à créer doivent voir reconnue leur autonomie, et se doter des moyens techniques, administratifs et financiers pour l'assurer. L'émulation qui naîtra entre eux permettra, notamment, à leurs activités de se développer dans le cadre du service public, et sous le contrôle du conseil d'administration et du président, qui assumeront l'unité de l'Office. Ces objectifs définis par la loi n'ont jusqu'à présent pas encore été atteints. Le nouveau président devra proposer avant trois mois au conseil d'administration les mesures juridiques et administratives permettant de les atteindre. Seule la décentralisation permettra de remédier aux inconvénients et de garantir de façon satisfaisante et durable le maintien du monopole.“


Décentralisation ?

Il est pour le moins risible, pour ne pas dire affligeant, de constater que les jacobins les plus éminents de la Vè République usent du terme de “décentralisation” quand le mot déconcentration aurait été plus pertinent et surtout plus honnête. Cette décentralisation est-ce pour eux imposer aux sept ou huit sociétés autonomes de ne pas résider dans le même… quartier parisien ? Tout est bon pour ces grands commis de l’État pour falsifier leurs intentions de démantèlement en les maquillant sous un terme “positif” pour ne surtout pas effrayer l’opinion publique, les auditeurs et les spectateurs de l’audiovisuel public.


L’année 73 qui clôt le cycle des trente glorieuses va, en 1974, plonger la France dans un cruel désarroi.


(1) Guy Pineau, "L'expérience Chaban-Desgraupes" : l'improbable libéralisation de l'information à l'ORTF (1969-1972)", Quaderni, pages 33 à 51, 2007, in Persée,

(2) Sophie Bachmann, La suppression de l'ORTF en 1974. La réforme de la "délivrance", Vingtième Siècle, Revue d'histoire,1988,


(À suivre, demain)

mercredi 22 mai 2024

Elles, ils ont tribuné… et puis après !

Ce mercredi 22 mai, Le Monde a publié, avant son impression papier (daté 23 mai), une tribune de 1100 personnels de Radio France, “A Radio France, la volonté gouvernementale de fusionner l’audiovisuel public nous semble démagogique, inefficace et dangereuse.” Bam ! De nombreux métiers sont représentés mais les Atta-Pro (1) ne sont pas nommés dans le chapô de la Tribune, alors que plusieurs ont signé. Pour autant c'est un signal fort envers député-e-s, sénateurs et sénatrices, tutelles et gouvernement. Mais comme le chantait Ferré en 69 "Ils ont voté… et puis après" (2)








Alors que vont faire les décideurs politiques ? Lire la tribune du Monde ? Inviter les différentes catégories de personnel de Radio France à venir s'exprimer à l'Assemblée ou au Sénat ? Différer la discussion de la loi en plénière pour répondre aux interrogations de tous les acteurs de l'audiovisuel public (3) ? Ne rêvons pas. La mécanique implacable après dix ans de tergiversations législatives peut-elle encore s'offrir une pause démocratique pour mieux évaluer les enjeux de la loi ? N'aurait-il pas fallu commencer par là ?

Comme d'habitude les intéressé-e-s sont peu ou pas consultés (au-delà de leurs dirigeant-e-s, c'est le moins) et sont/seront mis devant le fait accompli. Fait du Prince ou fait de société ? Soit le désengagement progressif de l'État de ses services publics vitaux. L'enjeu est de taille. Il serait vraiment temps qu'auditrices et auditeurs du service public audiovisuel fassent entendre leurs voix et leur tribune collective.

(1) Dans une émission de radio, l’attaché-e de production joue un rôle essentiel car il/elle collabore à toutes les actions nécessaires à la préparation et au bon déroulement de cette émission, aux côtés du producteur, de l’animateur, ou du journaliste en charge de cette émission et toute l’équipe en charge de la réalisation.

(2) Après les élections Présidentielles suite à la démission de Charles de Gaulle et l'élection de Georges Pompidou. Ferré trouvait que l'“esprit de 68" avait finalement été occulté des mémoires, et publiait cette chanson en 1969.

(3) Radio France, France Télévisions, Ina, France Média Monde,

mardi 21 mai 2024

France Médias : la grande lessive avant l'adoption de la loi !

Redoutable et épuisant ! On sort de deux sessions de la Commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale consacrées à l'audiovisuel public H.S., K.O. et lessivé (1). Et quand je dis "on sort”, je veux dire après le visionnage en direct, le 14 mai, de ces tribulations législatives. "Pourquoi t'infliges-tu ça Fañch ?” me demande-t-on souvent ? Ben parce que j'aime bien comprendre et évaluer le contexte dans lequel une telle loi va être soumise aux votes de la représentation nationale. Ci-après l'état de la situation à partir - à chaud -  de mes premiers commentaires… désabusés.

Radio France

J'aurais pu titrer ce billet “La grande lessiveuse ou rodéo-palace à l'Assemblée”  tant ce travail parlementaire ressemble à une foire d'empoigne, la résurgence de luttes intestines, une kyrielle de passes d’armes, la charge de la brigade légère et last but not least un/des jeux de dupes comme s’il en pleuvait… Car cette grosse mécanique structurelle, cette mécano de la générale, cette usine à gaz que présage t-elle ? Vous allez vite comprendre que cette loi va s'attacher à définir les "nouveaux acteurs de l'audiovisuel public réunis" et à borner le cadre de leurs attributions. Et, particulièrement à resserrer ses multiples acteurs (chaînes de radio, de TV, l'Ina) en une seule entité publique “France Médias” qui, en son sein, aura tout loisir à son tour de resserrer ses "filiales" (2). Combien de chaînes de radio et de TV restera-t-il au 1er janvier 2026 au démarrage de France Médias ?

Cet encadrement de l’Audiovisuel Public, son bornage très strict, ce verrouillage qui se donne des airs de regroupement des forces, d’équité et de garanties inquiète surtout pour ce qui n’est ni décrit (ou si peu) ni fonctionnellement précisé : faire travailler ensemble des métiers aussi différents que ceux de la radio (audio) et de la TV (visuel). Ce mariage “arrangé” de l’audio et du visuel vient après cinquante ans de pratiques autonomes, singulières et établies. 


Le 29 juillet 1967, Il était “facile” à Garretto et Codou au sein de l’Ortf de faire participer ensemble radio et TV  à une opération audiovisuelle spéciale “impossible n’est pas français”. Ces deux producteurs inventifs ont su relever le défi qui ne semble pas avoir été réitéré avant la fin de l'Ortf en 1975. Les usages, les “lois” métiers, les codes, les pratiques et les savoir-faire nécessiteront, dans des opérations groupées (deux acteurs, ou trois, ou quatre pour des projets de créations communs), un tâtonnement  (expérimental), un apprentissage du travail en commun, une nouvelle répartition des tâches… et plus si affinités ! Quant au chef ou à la cheffe d’orchestre il lui faudra a minima une bonne dose de pédagogie a maxima une plus grosse dose encore de créativité. Car si le rôle du Pédégé ou de la Pédégère n'était dévolu qu'au management autant dire que c'est l'ensemble de la création audio et visuelle qui passerait par “pertes et profits”.


France Télévisions

Car même si au quotidien chacune des "entités" sera dans sa production, il appartiendra au Grand timonier ou à la Grande timonière de rationaliser les services administratifs, les achats, les déplacements, de créer des pools, de ficeler une méta organisation, d'arbitrer des arbitrages complexes… La voilà donc l'usine à gaz de gestion où la part dévolue à la création et à ses moyens risque bien d’être le parent pauvre ou l’oublié de la réforme. Bien sûr et heureusement que ce n’est pas la loi qui pose les termes des contenus, mais cette nouvelle loi audiovisuelle ne va-t-elle pas créer les conditions très favorables à un “petit empire” du nouveau management et ses dégâts collatéraux, tels qu'on a pu les constater à France Telecom ou à la SNCF ?   


La perte formelle d’autonomie de chacun des “associés” peut vite stériliser l’initiative, l’invention et tout simplement la créativité, puisqu’en arrière-plan, cette grande mécanique servira à contraindre les budgets et à diminuer, de fait et de façon drastique le champ des possibles, les chants des possibles. Nous en saurons plus quand la loi sera votée. Pour autant le mouvement et la mue engagée, depuis le rapport Schwartz en mars 2015, auront en moins de dix ans été formalisés. 

  • "Face aux défis à venir, et aux contraintes croissantes pesant sur les finances publiques, il paraît nécessaire que l'État pèse davantage sur le dispositif des médias de service public. Si tel n'était pas le cas, il sera difficile d'écarter la tentation d'un rapprochement organique entre les sociétés ayant appartenu jadis à la même entité [l'ORTF, ndlr]. La structuration actuelle qui remonte à l'éclatement de l'ORTF, à une époque où radio et télévisions publiques disposaient d'un quasi monopole, peut en effet être interrogée, à l'âge de la convergence des médias, de la transition numérique et de l'élargissement de l'univers concurrentiel à des acteurs mondiaux venus d'Internet.” 


Ina


À terme on pourrait compter moins de chaînes de radio, moins de chaînes de TV avec, en ligne de mire, une méta plateforme ou le dernier quarteron de geeks tentera de résister aux reco de l’IA surpuissante. Las, la création audiovisuelle aura vécu. L’extinction de ses dinosaures, analysée et datée, l’extinction de ses voix qu’elles soient audio ou visuelles aussi. L’État est en train de créer un petit monstre qui risque très vite de s’auto-détruire pour, dans le paysage audiovisuel, ne plus occuper l’espace équivalent à un abri-bus ou à une tiny-house. L’espace ainsi libéré pourra servir les appétits avides et les intérêts du privé.


Alors il faudra bien constater que l’État - sans état… d’âme - aura renoncé à soutenir et à s’engager pour un grand service public audiovisuel pluridisciplinaire, quand il aura juste créé un artifice, un “machin”, de la poudre aux yeux, une officine de plus - France Médias - qui n’empêchera personne de dire “France Médias d’État”. 


Lire aussi : La radio, mais de quelle radio parle-t-on ? et Elles, ils ont tribuné… et puis après ?


(1) Une séance d'après-midi de 4h07, plus une du soir de 2h29, soit plus de 6h30 de débat, pour examiner les plus de 260 amendements des 15 articles de la loi devant être débattue  en séance plénière les 23 et 24 mai. À moins que pour “encombrement”, la date soir repoussée au 24 juin !


(2) Radio France, France Télévisions, Ina ensemble et France Médias Monde qui, depuis cette commission et suite à un amendement, ne ferait pour l'instant plus partie du regroupement, à moins qu'en séance plénière elle soit réintégrée.