lundi 9 avril 2012

Yves Jaigu (2)…






Yves Jaigu (1), qui a dirigé France Culture de 1974 à 1984, est décédé le 5 avril. Après les témoignages d'Irène Omélianenko, Jean Lebrun et Olivier Germain-Thomas, voici celui de Michel Cazenave (2). Après avoir été délégué général de l'Institut De Gaulle, Michel Cazenave veut intégrer le "terrain de la culture" et rejoint Yves Jaigu à France Culture à la demande de celui-ci. 


"Jaigu était vif et tellement intelligent. Il était à l'affût de tout et quand il ne connaissait pas il disait "Expliquez-moi…". On était sous le charme de sa dimension poétique. Il voulait toujours créer des choses nouvelles. Quand j'ai créé "La matinée des autres" c'est parce qu'il avait constaté qu'aucune émission présente sur la chaîne n'abordait l'ethnologie ou l'anthropologie. Il souhaitait un renouvellement régulier de l'antenne. En ce qui concerne les sciences et la spiritualité il est le premier à avoir eu l'intuition de les faire se croiser.

Pour Jaigu chaque humain comptait. Il n'a jamais considéré sa fonction de direction pour donner des ordres. Il exerçait son autorité au sens étymologique du terme "ce qui augmente soi-même et les autres". Il stimulait pour tous une "ébullition de l'esprit" et puis il tranchait "au milieu de tout ça". Jaigu était d'une fidélité exemplaire et rare. Engagé dans la résistance, évadé d'un train qui le menait aux camps, il pouvait voir l'aspect légendaire des choses. C'est la seule personne que j'ai entendu comparer De Gaulle au Roi Arthur. Avec une telle évocation nous étions faits pour nous comprendre. Jaigu cherchait toujours ce qui faisait signe au-delà de l'événement. Il a façonné la radio pour ça. Il était aussi très influencé par Malraux. "Si on intéresse les gens au plus bas on ne les fera jamais monter, il faut les prendre pour des intelligents".

Quand Jean-Noël Jeanneney a pris la direction de Radio France et a imputé une baisse du budget de France Culture de 17%, s'est créé un fossé terrible. Et Jaigu a fini par partir (3). Mais avec lui les relations nouées ne pouvaient plus se distendre. Je le considère comme mon troisième père spirituel après De Gaulle et Malraux. Je suis resté trente ans à France Culture, avec lui on travaillait dans une joie intérieure." (4)

Marion Thiba (5),
Lors de mes conversations téléphoniques avec Germain-Thomas et Cazenave, j'ai évoqué avec l'un ou l'autre, Marion Thiba, qui, pour sa façon de penser la radio, aurait pu aussi être de l'époque Jaigu. Marion Thiba a bien voulu aujourd'hui me faire parvenir le texte suivant :
 "Je n'ai pas connu Yves Jaigu. Je suis entrée à France Culture en 1984 juste après son départ. Mais j'ai beaucoup entendu parlé de Jaigu, bien entendu. Les couloirs étaient encore bruissants de sa présence. Jaigu était une figure tutélaire, toujours présente dans "l'angle mort" du studio... Certains semblaient traumatisés qu'il ne soit plus là. J'avais l'impression que les "grands" producteurs (les coordonnateurs en particulier, Claude Dupont, Michel Cazenave, Claude Mettra... pour lesquels j'ai travaillé) l'évoquaient pour nous inculquer le sens aigu de l'exigence. Jaigu était un personnage. C'était l'époque des caractères forts. Je me souviens très bien par exemple de Jean de Beer (gaulliste) avançant à pas prudents, canne à la main, pour se déchaîner comme un jeune homme au micro, aux côtés de son compagnon de studio Francis Crémieu (communiste)... Mais j'étais trop jeune à l'époque pour m'attarder vraiment sur ces questions. Il fallait que j'apprenne ce métier, c'était difficile, personne ne nous aidait si ce n'est ceux qui transmettaient à leur manière l'esprit de Jaigu, les réalisateurs et les chargés de réalisation (à qui je dois beaucoup)."

Je remercie Michel Cazenave et Marion Thiba d'avoir bien voulu évoquer ici la mémoire d'Yves Jaigu.

(1) 1924-2012, directeur de France Culture 1975-1984
(2) producteur à France Culture, "Une vie, une œuvre", "Les vivants et les Dieux". Le site de Michel Cazenave,
(3) 1982-1986,
(4) entretien téléphonique du 6 avril 2012,
(5) Productrice à France Culture, 1984-2000, son témoignage reçu par courriel.

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