Le 17 avril 1981, jour de son anniversaire, au micro de sa quotidienne À cœur et à Kriss sur France Inter. Kriss part en live. Tricote avec gourmandise et espièglerie son petit délire verbal. Pour ne rien dire de son âge. Déjouer tout ce qui pourrait être un indice. Moment de radio surprenant (1). Un peu inoubliable. “Je peux quand même d’abord vous remercier pour les fleurs, les bonbons, la crème de marrons, les cigarettes en chocolat, les allumettes en sucre et même les sapes que j’ai reçus, c’est gentil, c’est gentil, c’est gentil… ” Comment être surpris que ses aficionados déclarés lui envoient, ce jour-là, autant de cadeaux ? D’attention et d’amour.
Kriss, (Corinne Gorce) |
Cette mise en avant de soi, intime, joyeuse et volubile passe bien. Auditeurs en totale intimité avec elle. “Auditeurs de mon cœur, auditrices de ma vie”, son slogan. D’elle, on accepte tout. Qu’elle se mette toute en je. On partage folie douce, tendresse et complicité. Contrat, initial et indéfectible, avec ses auditeurs. Union libre radiophonique. Compagnonnage inédit avec une voix de radio. Une femme de radio.
Dès son micro ouvert, Kriss nous parle. Nous, en chair et en os. Immédiatement en prise avec le monde entier. Son mot, ses mots font tilt. Déroulés, enroulés, tourneboulés. Aux quatre vents. Chamboulés si besoin. Elle les caresse. Les cache derrière une chanson. Kriss, raconteuse. Enfileuse de perles rares. Brodeuse au petit point.
En télescopage permanent - on devrait dire radioscopage - avec la vie. “Dans la vie je fais de la radio, je dis dans la vie parce que c’est partout dans ma vie…” C’est ça. Peu importe les contenus de ses émissions. Leurs titres suggestifs. La vie en reflet de la sienne, de la notre. Quotidienne, singulière, humble, magnifique ou simplement banale. “Kriss était la propre matière de ses émissions” affirme son amie Chantal Pelletier (2).
Voix libre. En roue libre. Par un travail acharné, méticuleux et perfectionniste en amont. Penser. Écrire. Dire. En entrant en studio, Kriss ajoute son supplément d’âme. Précieux. Au prix de ses jours et de nombreuses nuits dévolues à la radio. Julien Delli-Fiori trouve les mots pour la décrire : “Kriss…taline, infantine, espiègle, intelligente”. Dit et bien dit. Il ajoute “Une plume vocale avec laquelle elle écrit”. Dans Pentimento, à sa consœur de L’Oreille en coin, Paula Jacques, elle explique son choix de la radio comme moyen d’expression artistique. “J’avais envie de dire mes choses à moi”. Elle les dit. Sans filtre et sans tabou. Souvent avec le sourire. Sa spontanéité surprend ses interlocuteurs, jamais ses auditeurs. Un sens aigu de l’autre, son écoute lui font produire quatre saisons de Portraits sensibles. Une belle collection de témoignages vivants. Singuliers et touchants. Sa désannonce de la dernière de la saison, un florilège d’humanités.
Un peu plus que ses consœurs et confrères, Kriss par sa présence au micro sublime ses mots. Crée un effet d’entraînement. De communauté. De dialogue ininterrompu. Elle nous agrippe dans sa course folle. Elle va sonner à notre porte. S’asseoir au salon ou dans la cuisine. Commencer à papoter. La porte est ouverte. Elle viendra. Demain ou n’importe quel autre jour. Elle me parle dans le creux de l’oreille. Je lui réponds. Je souris. Je retiens une larme. Souvent j’éclate de rire. Comment mieux décrire cette complicité si rare à la radio ? Sur tant d’années. D’émissions en émissions. De mots doux en mots pointus. De câlins en soupirs, De tendresses en coups de griffes. De pétillances en une lente et irrémédiable extinction de voix.
19 novembre 2009, K.O. debout. En 69, une étoile naît à la radio. Et s’éteint quarante ans plus tard. Voilà c’est fini chante Jean-Louis Aubert.
Un jour, Kriss dit à un ami physicien ”Les gens de radio sont comme des éphémères qui ne volent qu’un jour et disparaissent”. “C’est faux, lui a-t-il répondu. Tout ce qui existe est détruit par le temps. Les monuments les plus beaux, les livres, la planète elle-même disparaîtra. Mais vous, les voix de radio, vous êtes éternelles. Vos paroles emportées par les ondes hertziennes voyageront dans l’univers aussi longtemps qu’il existera” . (3)
Ce texte est extrait d'un chapitre d'un de mon livre "60 ans au poste" Journal de bord d'un auditeur.” L'Harmattan. 2023.
(1) Jean Garretto et Pierre Codou (L'Oreille en coin) étaient en régie pour fêter ça !
(2) À cœur et à Kriss, France Inter, sept 80-juillet 81. Chantal Pelletier reprendra ce titre pour évoquer leur amitié, Éditions des Busclats, 2011,
(3) La sagesse d'une femme de radio, Kriss, L'œil neuf, 2005.
Kriss toujours "pas très loin pas très là ".... Ce sont ses mots.
RépondreSupprimerEn tous cas je regrette le temps de Kriss sur Inter.., le temps passe pas toujours très bien...
Bonjour, (dommage de ne pas signer votre commentaire), la formule dont je me souviens est "pas là, pas loin…", https://radiofanch.blogspot.com/2017/02/kriss-pas-la-pas-loin.html
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