"Le quotidien de la rue des Italiens n'a placé pendant vingt-cinq ans que des hommes à sa tête. Jusqu'en 1971, lorsque le directeur Jacques Fauvet a l'idée de confier à Yvonne Baby le nouveau service culturel" (1). Il y a lurette que Le Monde a quitté la rue des Italiens à Paris. Pour cette "Journée internationale des droits des femmes" j'ai eu envie d'évoquer Yvonne Baby. Si Fauvet nommait il y a cinquante ans une femme cheffe de service, depuis une seule femme a dirigé le journal depuis sa fondation en 1944. Nathalie Nougayrède (mars 2013-mai 2014).
Yvonne Baby et Orson Welles © Le Monde
Deux archives radio permettent d'entendre Yvonne Baby. Avec Chancel en 1975. Avec Adler quarante ans plus tard. Chancel extraordinaire et fidèle à sa misogynie tente en 56 minutes d'enfermer Baby dans le communisme. Celui de son père particulièrement, puisqu'elle n'est pas communiste elle-même. S'il lui fait évoquer son livre Le jour et la nuit (2), il aborde ses fonctions au Monde avec une question perfide "Êtes-vous acceptée par les hommes ? Baby "Il faudrait leur demander à eux. Mais je ne suis pas très gênée par la différence entre les femmes et les hommes. Beaucoup d'hommes étaient sceptiques et pensaient que j'arriverai à me débrouiller parce que j'étais une femme. Du genre femme-femme. Mais n'avaient pas une idée très sérieuse de mon sérieux !".
Comme il a l'habitude de le faire avec ses invités il s'acharne sur l'os qu'il a décidé de ronger. Avec deux attitudes opposées. Soit l'admiration excessive. Soit l'insistance très lourde à vouloir faire dire à ses invités ce qu'il a envie d'entendre. Sans nuance, ni finesse.
Baby fait preuve de beaucoup (trop) de patience et de courtoisie. Face à un homme, Chancel aurait vite été renvoyé dans les cordes. Les réponses de Baby sont intéressantes à plus d'un titre. Les témoignages de femmes dans les années 70 sont assez rares. Ses différents points de vue éclairent ce qui se joue dans une société dominée par les hommes. Chancel évoquant "L'année de la femme" (3) il s'empresse d'ajouter "On n'aurait pas imaginé l'année des hommes" ! Cet homme ne doute de rien. Et surtout pas de son machisme ! Baby sourit à l'évocation de ce label ! Pour écouter ce témoignage il vous faut être abonné à Madelen/Ina. Lire aussi ceci !
Pour conclure Chancel et sa question rituelle à 2 balles "L'amour est-il plus important que la politique ?" (Vous avez toute la vie pour répondre).
Quarante ans plus tard, Adler n'a bien évidement pas ce surplomb ni ces a-priori. Baby évoque ses étapes au Monde. La signature de ses papiers avec ses initiales. Envoyée spéciale à Venise signant avec Nom et prénom. Et son recrutement par le fondateur Beuve-Mery. Elle décrit les conditions d'écriture de ses articles et du temps dont elle pouvait disposer. Et constate l'emballement et l'urgence qui s'imposent au métier. Quel bonheur de l'entendre évoquer son papier sur la mort de Marilyn. Passer la nuit entière au journal pour ce qui ferait la une le lendemain. Mon papier commençait plus comme un roman que comme un article classique.
"Inerte, la main crispée sur le téléphone, Marilyn Monroe semble avoir voulu, dans un sursaut dérisoire, échapper à cette solitude qui jusque dans !a mort a marqué sa vie. Lorsqu'elle disait, ces derniers jours, à un journaliste américain combien capricieuse et fragile était la gloire, elle se savait sans doute déjà la victime de ce "star System" qui allait entraîner en même temps que sa fortune et l'adoration des foules sa propre destruction." Yvonne Baby, 7 août 1962.
L'anecdote avec Giacometti est sublime. Et donne envie de lire Baby. En commençant par "À l'encre bleu nuit" (Baker street, 2014) qui évoque Giacometti, Aragon, Cartier-Bresson, G. Sadoul, M. Cournot, A. Fermigier, Paul Morand, Hervé Guibert, C. Guérard et P.-M. de la Gorce.
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