vendredi 6 avril 2018

Jacques "Crabouif" Higelin… in memoriam

Le poète meurt. La chanson remonte aux lèvres. Le chanteur fou, fan du fou-chantant Trenet. Libre. Ivre de générosité, de tendresse, de swing, de poésie et de sincérité. Higelin immortel avant même d'être mort. Présent, for ever, "Dans la salle d'attente de la gare de Nantes, j'attends…". Higelin a magnifié la chanson française avec du rock, du jazz, du blues, des rimes, du swing à la Trenet, du tempo à la Fats Waller. Une inquiétude créatrice. Une générosité sans limite. Une énergie à déplacer les montagnes ou à faire tomber les frontières… Avec quelque chose de l'enfance, intact, radieux et précieux.

L'album Jacques "Crabouif" Higelin
paru chez Saravah, la compagnie de P. Barouh





















Revu et corrigé le 8 avril

J'ai commencé au début des années 70 par ne pas supporter la voix de ce Grand Jacques-là. Mais j'ai très vite fait marche-arrière. Et tout attrapé de ce Pierrot lunaire. Sur le qui-vive de ses chansons. Je me souviens des yeux d'Adèle, réalisatrice à France Inter, pour "Y'a d'la chanson dans l'air" avec Jean-Louis Foulquier, quand elle évoquait la Fête de la Musique (la première, 1981) et un Jacques Higelin flamboyant… 

Mais, vendredi dernier, Higelin à peine décédé, l'empressement des médias et de France Inter en particulier à vouloir témoigner dans l'urgence créait une certaine gêne même s'il était bon de se souvenir. Pourquoi cette débauche d'émissions si tôt ? Pourquoi déprogrammer "La marche de l'histoire" de Jean Lebrun après avoir consacré les vingt premières minutes du journal de 13h à l'événement ? Si Lebrun n'est pas spécialiste de chanson on peut imaginer qu'il aurait su faire témoigner les "spécialistes" ou les artistes voulant rendre hommage au poète-chanteur, avec un angle à la Lebrun !

Idem pour l'émission du soir consacrée tous les vendredis à la chanson (1). Les artistes invités étaient sensibles, émouvants, vrais et les auditrices à l'antenne sincères et émouvantes tout autant (l'ensemble écouté en différé le lendemain). Pour autant pourquoi si vite ? Quand une amie, un copain, un parent meurt n'y a-t-il pas besoin d'un peu de silence, d'une nécessité absolue d'appréhender la séparation avec calme et recueillement. Accepter la mort c'est justement se préparer intimement à faire avec l'absence. La débauche d'archives et de témoignages immédiats bloque l'impérieuse nécessité de faire silence et de laisser remonter à son rythme les souvenirs, sans se faire imposer ceux que les médias ont choisi.

Il en va tout autrement de la lecture de la presse. Libé samedi 6 avril a permis à la nuit de laisser remonter sa part de chagrin et d'émotions encore à fleur de peau. L'après-midi Le Monde, dans le bon tempo, accompagne la petite musique que l'on se joue depuis vendredi matin. Le long papier de Yann Plougastel m'a ému à plusieurs moments de la lecture. Je lis lentement, j'interromps quelques minutes pour penser ce que Plougastel réveille, pour ne pas aller trop vite à la fin, pour savourer encore un peu ces moments avec Jacques qui ont accompagné (ma) notre vie depuis l'adolescence.



Et puis ce dimanche matin Antoine Sire poste sur Twitter la photo du billet de Kuêlan N'Guyen-Higelin, muse, compagne puis épouse d'Higelin, publié dans le Journal du Dimanche. Ce sont ces mots-là, écrits, qui touchent, bouleversent et permettent d'accompagner le deuil qu'il va bien falloir faire même s'il chante encore, même s'il chantera toujours cet éternel Pierrot lunaire. Lire n'est pas écouter. Lire, c'est accompagner une pensée, partager l'intime de ce que l'autre révèle, aider à trouver ses propres mots quand on pourra enfin commencer soi-même à dire au-delà d'une tristesse immédiate. Dans ces moments-là la presse écrite est indispensable.

En douceur, depuis ce matin, j'ai commencé à écouter ses albums qui sont des marqueurs temporels d'un moment de vie "spécial" ou facilement identifiables. Pour chacun des albums d'Higelin je peux raconter l'histoire qui va avec. Ou comment bien plus qu'un chanteur et un poète il était un compagnon de route, de ma propre route musicale ou poétique, n'imaginant jamais que ce cheminent, si loin, si proche, puisse un jour s'arrêter.

So long, Jacques…

1 commentaire:

  1. tout est dit Fanch , bravo, et notamment le plus important qu'il résuma bien en quittant ceux venus assister à ses 50 ans (de carrière...) à la Philharmonie , "je suis fier d'être en vous" . Cela furent ses derniers mots devant SON public à NOTRE Jacques .

    RépondreSupprimer