Fut un temps minable et désespérant où, chaque matin vers 6h20, un sombre abruti hagard ébranlait la porte de notre chambr'(ée) "kaki vert sale" et éructait un slogan en wisigoth moderne censé nous faire décaniller fissa de notre pag' en ferraille. L'un d'entre nous, en pleine obscurité, allumait son premier clope, un autre allumait Europe n°1 et moi j'écoutais et ce "petit bruit du briquet dur posé sur le tabouret de bois" (1) et "Bonjour M. Le Maire" du matutinal Pierre Bonte (2). Quelques années auparavant c'était Georges Lourier ou Daniel Hamelin qui, sur France Inter, "réveillait" les boulangers (3). En ces temps de "glorieuse expansion", la radio valorisait les matins de labeur, les lève-tôt, les travailleurs et autres auditeurs populaires. Aujourd'hui les matinales sont des institutions policées, sérieuses qui pour nous faire accroire qu'on va s'en payer "une bonne tranche" ajoutent et saupoudrent de l'humour qui la plupart du temps ne fait pas rire. Inter, RTL et Europe 1 usent de la même recette en nous imposant de "rire ou de pleurer" au moment où elles l'ont décidé. Pas avant, pas après. Un point c'est tout.
Ce lundi matin 17 mars, il est 4h30 et j'ai décidé d'aller tendre l'oreille vers "Les petits matins" de RTL qui, ce matin, sont à Dieppe. Ce vadrouillage vers les Français au travail, RTL l'a mis en place depuis plus d'un an maintenant (4). Par cette façon d'être proche des gens qui travaillent tôt le matin RTL est fidèle à son histoire et à son souci de coller aux réalités de ses auditeurs. Plus au contact, plus en prise directe avec le monde du travail que sa consœur Inter qui reçoit en "studio de campagne". Et Stéphane Carpentier, l'anchorman de cette pré-matinale, nous met tout de suite "dedans" avec une très bonne accroche dynamique et vivante, on le sent présent à Dieppe, prêt à nous faire vivre les réalités de la ville.
6 heures : après 1h30 d'écoute, si j'ai entendu plusieurs témoignages de "travailleurs" (5), j'ai dû en passer par l'inévitable séquençage très cadencé de cette longue session d'information (4h30/7h). Les travailleurs (et deux travailleuses) font des constats. La pêche est sinistrée mais il n'y a aucune mise en perspective de la part des journalistes. Entendre la résignation, le désespoir de ces professionnels c'est important mais n'aurait-ce pas été l'occasion de nous proposer d'entendre ceux qui à différents échelons de décision et de pouvoir sont impliqués dans la filière "pêche" (6) ? À ce niveau de constats on reste "sur sa faim", le tableau est brossé du point de vue des acteurs directs mais quel effet cela peut-il avoir sur l'auditeur qui, très vite, sera dépité de (re)découvrir que la richesse de la mer ne profite pas/plus à ceux qui l'exploitent. Voilà sans doute une grosse différence avec Inter qui aurait proposé une indispensable contextualisation.
Stéphane Carpentier |
7 heures : il m'aura manqué, en amont de l'émission, une présentation géo-économique de Dieppe avec un peu d'histoire dedans. La tyrannie du "faire court" a encore frappé pour une opération spéciale de la chaîne qui doit laisser assez perplexes les auditeurs qui auraient un peu de mal à visualiser Dieppe en France, en Normandie, sur le littoral de la Manche. Malgré le point de vue de Stéphane Carpentier, la pêche n'est pas un enjeu municipal mais un enjeu européen et régional. C'est vrai les "travailleurs ont eu la parole" mais encore, mais après… ?
Et puis même constat, amer, que celui de vendredi dernier pour Inter, quel dommage que les radios ne sachent plus se débarrasser de "tout le fourbi" qui encombre les matinales et qui dilue d'autant les interventions, les témoignages "en direct de", perdus dans la masse d'un système beaucoup trop mécanique pour en faire surgir ne serait-ce qu'un soupçon d'humanité.
(1) À défaut du "petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain" cher à Prévert,
(2) Europe n°1,1959-1974, du lundi au vendredi,
(3) Là ma mémoire est un peu faillible, désolé d'être un peu imprécis,
(4) "Depuis plus d'un an, RTL PETIT MATIN, session d'information N°1 à cette heure écoutée par 1,5 millions d’auditeurs en moyenne, se délocalisent dans des lieux où les gens travaillent la nuit et très tôt le matin. L'équipe a déjà rencontrédes boulangers près de Metz, les marins-pêcheurs du port d'Oléron, des routiers dans un restau-routier des Yvelines, des producteurs sur le marché de Rungis ou encore ceux qui font "tourner" la Gare Montparnasse." (Extrait du Communiqué de presse de RTL, 13 mars 2414),
(5) Mot choisi sur la page web de l'émission "Retrouvez aussi des interviews vidéo des travailleurs, interrogés sur leur quotidien et leurs préoccupations" … Mais je n'ai pas trouvé les dites vidéos,
(6) Pas les politiques qui en campagne n'auraient fait que des promesses, mais des techniciens européens, les banquiers du Crédit maritime, les élus régionaux et l'administration en charge de la pêche…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire