jeudi 31 mars 2016

C'est un joli nom ouvrier…

Une des ouvrières du film… ©13Productions
















Une fois n'est pas coutume, mes chers auditeurs, vous serez peut-être surpris, je n'avais pas depuis "Silence radio", sur ce blog, présenté de documentaire… TV. Le sujet m'intéresse et j'ai commencé par me demander si "Nous, ouvriers" aurait pu aujourd'hui être produit à la radio. C'est d'ailleurs ce que j'ai immédiatement demandé à Gilles Perez, l'un des réalisateurs de cette série de trois documentaires (1). Le sujet des ouvriers a été abordé dans "La fabrique de l'histoire", "Les nuits magnétiques" (2) et sans doute dans d'autres émissions de France Culture. Aussi sur France Inter dans "Là-bas si j'y suis" de Daniel Mermet.

La série de Feinstein (Claire) et Perez (Gilles) est brute d'humanité et de dignité. Et d'une certaine façon on ne peut pas se passer des images. Celles des usines mais aussi celles des visages. Si les "critères" du documentaire TV veulent qu'il y ait un maximum de 5 témoins, ici les réalisateurs ont réussi à en imposer 50. Tant pour montrer la diversité territoriale de ce monde-là que pour démultiplier la parole ouvrière riche, singulière et vivante.

Mais ça fait très mal de voir comment, sur la longue durée, les politiques et le patronat ont laminé ceux-là mêmes qui étaient les forces vives du travail et de la production, ceux-là même qui ont "reconstruit la France" (épisode 1), et dont "les rêves ont façonné la société" (épisode 2), dont "les cœurs battent encore" (épisode 3). Les réalisateurs voulaient une polyphonie, ils l'ont réussi avec tact et pudeur. Ça chante sur tous les tons, même quand ça déchante. Les mémoires s'entremêlent pour ne pas dire s'entrechoquent. Les mots se calquent et se décalquent sur le vécu, la peine, la souffrance, les désillusions. 

Un fantôme d'usine… ©13Productions

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La disparition de la classe ouvrière est ici criante, au point même d'avoir jeté le mot ouvrier au banissement définitif du langage commun. Dé-nommer, nier pour mieux réduire si ce n'est au silence, à l'appartenance à une classe fière de ses mains, de ses bras, de ses corps. Fière d'être ensemble quand tout pousse à désolidariser, au point d'une singularisation ultime, où l'on ne pourrait même plus se reconnaître ouvrier.

Ces trois documentaires vibrants, auxquels Philippe Torreton a prêté sa voix, laissent un goût amer, même si on n'appartient pas à la classe ouvrière. Le goût amer d'avoir été floué, trompé, moqué. Les ouvriers, les étudiants, les salariés seront aujourd'hui dans la rue pour manifester contre une loi qui ferait table rase d'un passé qui n'en finit pas de se déliter, insidieusement, avec toute la morgue des dominants, qui eux, n'en finissent plus d'écraser l'humanité.

 "Nous, ouvriers" c'est la réplique cinglante à l'harangue d'un François Hollande, candidat à la trahison et au renoncement.

Le titre de ce billet est le très bon mot d'Achille Blondeau, mineur, qui conclue magistralement la série documentaire. 

(1) Diffusés sur France3 les 14, 21 et 28 mars 2016. Gilles Perez a travaillé auparavant 15 ans à RFI. 13 Productions a édité ce documentaire en DVD, avec les sons des usines en 5.1 !
(2) Je vous parle d'un temps où les soirées de France Culture n'étaient pas une ode permanente à la parlotte en circuit "entre soi" fermé. "La cité interdite, les usines de Boulogne-Billancourt", Nuits magnétiques, du 24 au 27 octobre 1995, 


"Ouvriers, le mot gueule…"


"Cette histoire s'écrit au pluriel…"


"Film polyphonique, film manifeste…"

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