Radio Fañch : France Culture a publié il y a quelques jours l'album de ses 50 ans, pourtant c'est assez rare que la radio se raconte, non ?
Emmanuel Laurentin : Sans doute parce que la télévision a pris l'habitude de se célébrer sans arrêt. Par pudeur aussi peut-être. La radio a mis longtemps à comprendre les trésors qu'elle possédait à travers ses archives. Discrète, elle ne "savait" pas parler d'elle. C'était "son" histoire de famille. Pour autant la radio est le reflet permanent de la société vers laquelle elle émet (cf la radio publique grecque, par exemple). Elle participe et dit quelque chose de l'histoire sociale, économique et culturelle d'un pays.
Anne-Marie Autissier : C'est peut-être parce que la radio c'est "Ici et maintenant", la parole immédiate, comme si cette parole ne s'archivait pas. C'est un média de l'instantanéité et les gens de radio ne se racontent pas. En même temps la radio va partout, elle est interstitielle, accompagnatrice de nos vies. Elle existe dans notre intimité propre avec sa part de secret. C'est un sujet qui ne s'impose pas. Quant aux archives, à l'origine, cela a été une bagarre pour que des moyens soient dégagés. Personne ne voulait d'une concurrence avec les "émissions" fraîches.
Radio Fañch : Comment vous-êtes-vous répartis la tâche avec Anne-Marie Autissier co-auteur de l'ouvrage ?
Emmanuel Laurentin : À partir de sa thèse des années 90, nous avons réactualisé ce savoir avec l'histoire plus récente de France Culture. Nous nous sommes partagé équitablement les seize thématiques et avons finalisé l'ensemble à deux mains. C'est un travail qui nous a pris plus d'un an.
Radio Fañch : Pourquoi avez-vous eu envie d'écrire sur France Culture ?
Anne-Marie Autissier : C'est une longue histoire qui a commencé dans les années 90. Sociologue, je m'intéressais aux politiques publiques de la culture et des arts. Je voulais appréhender, pour ces politiques publiques, quels en étaient les usages par les professionnels. En 1992, j'ai démarré ma thèse. Un sujet s'est imposé : France Culture. Pour moi France Culture concentrait :
• Le contexte des politiques publiques de la culture, l'État volontaire dans son engagement pour les arts et la culture,
• Un précipité insolite de facteurs exogènes (savoir-faire techniques)
• L'évolution de la programmation (sous la direction de Jean-Marie Borzeix, 1984-1997) comme outil de politique culturelle.
France Culture réalise la synthèse d'un médium intime. Sur l'instant, il accompagne nos états d'âme.
Affiche reproduite dans le livre |
Radio Fañch : Vous travaillez à France Culture depuis 27 ans, quels sont vos propres souvenirs de radio d'avant cette période ?
Emmanuel Laurentin : Enfant, c'était RTL la chaîne qu'on écoutait à la maison. Puis adolescent et étudiant j'écoutais France Inter. C'est en entrant à France Culture que j'y ai fait ma culture radiophonique, grâce aux techniciens, aux réalisateurs, aux archives j'ai "réappris", après-coup, l'histoire de cette radio de création.
Radio Fañch : Vos souvenirs de radio avant de commencer votre thèse ?
Anne-Marie Autissier : Pour les infos c'était France Inter. Le feuilleton c'était "La famille Duraton" (1). J'avais un total blocage pour les sports qui captaient des auditeurs fidèles. Mais ce sont les grands entretiens qui ont retenu mon attention, comme les Radioscopies de Jacques Chancel (2). Pour moi le studio est un écrin, et le pouvoir de l'intervieweur est immense qui peut ad libitum faire parler son invité. La voix, le temps qui passe nous incitent à rentrer sur la pointe des pieds dans un espace réservé.
Radio Fañch : Pour vous France Culture c'est quoi ?
Emmanuel Laurentin : C'est de dire le monde entier par le son et la parole. C'est une radio qui n'a jamais restreint son champ d'investigation au territoire national. C'est une radio qui donne le temps à l'expression qui laisse se développer les idées.
Anne-Marie Autissier : C'est une radio qui incite à la réflexion, à l'analyse et c'est très important à l'heure actuelle. Dans un souci de résistance à la mondialisation, France Culture permet de prendre du recul, de rendre aux personnes leur libre arbitre, par exemple dans l'Union Européenne "à marche forcée". L'auditeur réfléchit avec la radio. Mais France Culture c'est aussi la création radio, la recherche sur le son, une "pâte à modeler" dans la technicité. C'est aussi l'imaginaire en poésie, une échappée dans une autre dimension, le merveilleux. C'est un monument dans le sens d'une encyclopédie sonore, d'une maison de la culture. C'est un bel édifice auxquels les directeurs successifs de la chaîne refusent d'ébranler les fondations. Ils essayent de créer des passerelles. C'est un patrimoine de cinquante ans de vie littéraire, artistique, politique mais aussi intellectuelle et scientifique.
Radio Fañch : Pouvez-vous citer trois émissions mythiques de France Culture ?
Emmanuel Laurentin : Absolument pas, je ne peux pas faire de podium pour des émissions de radio. La radio ce sont surtout des moments et pas forcément des émissions. Ce n'est pas réductible à un type d'émission. les moments sont quelquefois plus forts que les émissions elles-mêmes et c'est ça qui nous attache à l'écoute. Quand il se passe quelque chose de frappant, quand surtout celui qui écoute arrête de faire ce qu'il fait pour ne plus rien faire d'autre que d'écouter. La radio c'est un son, une musique, une voix, qui nous accrochent et nous disent "il se passe quelque chose".
Anne-Marie Autissier : Les chemins de la connaissance, Les Nuits magnétiques, Une vie une œuvre, Le Panorama, Les Ateliers de Création Radiophonique, Sur les Docks. Mais aussi Le bon plaisir et les émissions d'histoire (Les lundis de l'Histoire, L'Histoire en direct, La fabrique de l'Histoire).
Demain à 18h, un premier avis sur le livre, qui pèse son poids d'histoire…
(1) Radio Luxembourg (future RTL) mardi, jeudi, samedi, 19h30. 1937-1966 (source "Les années radio", Jean-François Remonté, L'arpenteur, 1989,
(2) France Inter, 1968-1982 puis reprise en 1988 jusqu'en 1989,
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