lundi 16 mai 2016

Un parfum de bonheur… le Front populaire


















Le 7 mai sur Radio Libertaire, Didier Daeninckx, écrivain, a évoqué son nouveau livre "Un parfum de bonheur" (Gallimard, 2016). Une histoire écrite à partir d'une sélection de 80 photos (sur un total de 1500) prises par France Demay, un ouvrier qualifié dans la mécanique de précision, qui de 1934 à 1939 a suivi un groupe de copains-copines. Ceux-là qui, fini le boulot, se réalisaient dans la découverte du sport. Sport mis en valeur, entre autres, par la Fédération Sportive et Gymnique du travail (FSGT), née de la toute jeune fusion entre les associations sportives communiste et socialiste.

Et d'accrocher cette histoire à Ginette Tiercelin renforce l'émotion. Ginette va pouvoir témoigner (en 1986) et raconter son Front Populaire à Daenincks. Faire revivre ce passé qui a ébloui la vie, à défaut de la changer sur la longue durée. Ginette a le sens de la formule "D'abord il faut que je vous dise que l'Histoire, selon moi, elle se sent à l'étroit avec les dates et les parenthèses qui les enferment. Les grands événements ils éclatent comme des orages."

Et Ginette qui raconte. C''est tellement vécu, c'est tellement sensible qu'on est avec elle dans ce Paris d'avant, du temps des fortifs que chantait Damia, et de la banlieue du Pré-Saint-Gervais qu'on appelait sûrement pas banlieue à ce moment-là ! Il fallait avoir un sens aigu de la langue chez les prolos pour appeler un pastis un "prolétaire". 

Daeninckx a trouvé avec Ginette, une perle de conteuse, qui raconte avec toute sa mémoire l'histoire vécue et vibrante. Elle enfile les perles et on l'imagine dans sa cuisine, trop heureuse de revivre ça ! Et de rappeler celle, magique, de Marie Marving, sportive de talent, refusée par les organisateurs du Tour de France. Machisme et virilité obligent.



Ce livre de Daeninckx se lit d'un trait. On a la chair de poule quand on pense que des choses pouvaient se faire sur la simple bonne volonté, l'envie, l'allant et l'enthousiasme. Se faire sans protocole, sans dossier, sans autorisations multiples et variées. Daeninckx
fait (re)vivre une autre image du sport et l'aspiration très forte à l'unité du Front populaire. L'écrivain montre à l'appui du témoignage de Ginette le plaisir du "faire ensemble", du militantisme. Et cette totale aspiration au bonheur… quotidien.

France Demay a suivi de 34 à 39 le même groupe de copains-copines. Ses photos montrent la libération des corps, l'irruption de la liberté et de la mixité. Corps mélangés dans un jeu de sport prétexte aussi au jeu de l'amour. À l'époque on passe de l'idéologie sportive du baron Coubertin qui promeut l'individuel et le masculin, au collectif, au jeu pour le jeu, femmes et hommes ensemble ou en équipes adverses. Sans qu'il y ait besoin, portées comme une fin en soi, de compétitions prestigieuses.

On lira avec un bon sourire l'anecdote d'un Prévert en soutane et de la pièce "Suivez le druide" du groupe… Octobre. La joie est palpable comme l'a chantée Trenet. Tout est prétexte à mettre en œuvre le slogan "À nous la vie !". Et Ginette de dire à Daeninckx "Partout où on allait courir on respirait comme un parfum de fraternité !" Et en ces temps de "Loi Travail" de la honte, "La semaine des deux dimanches", rappelée par Ginette, donne bien l'idée de la libération du servage au travail et d'une nouvelle liberté chèrement acquise.

Je rêve de rencontrer Daeninckx pour entendre la voix de Ginette, pour prolonger le voyage avec elle, pour revoir sa maison. La petite histoire qu'il nous conte sublime la grande. Forge un duo humble et franc. Fixe la valeur du mot populaire au plus haut de son sens et de son histoire. Bouleverse l'humanisme et l'humanité qui ont donné ce "Parfum de bonheur" qu'on ne demande qu'à respirer demain matin ou demain soir, sur la place. Debout !

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