mercredi 25 mai 2016

François Hollande à France Culture : la parole désenchantée…

©Olivier Helle - Radio France

















Évacué le très affligeant passage d'antenne du matinalier de France Culture à Emmanuel Laurentin (1), hier matin à 8h59, nous nous apprêtions à écouter "La voix de la France", à défaut sûrement d'avoir depuis quatre ans suivi "La voie de la France". Pour parler de cet entretien du Président de la République avec Laurentin, je croiserai deux écoutes, celle de la radio et celle de l'histoire, au filtre de la politique menée depuis 2012 par François Hollande.

Alors qu'autrefois les programmes de France Culture se terminaient quotidiennement par "La Marseillaise", La Fabrique de l'Histoire n'a pas dérogé à son indicatif en fanfare. Et Laurentin à son "chapeau", bien troussé. L'heure est solennelle, on pourrait même dire grave. Grave parce que la gravité même de l'État de la France nous incite à une écoute aiguë de la parole présidentielle pour ne pas nous faire rouler dans la farine de la com' politique, pour ne pas dire de la com' de campagne.



(Clin d'œil au jingle de France Inter de "La Marche de L'histoire", Jean Lebrun)

Sûr de sa stature, Hollande n'aura pas l'ombre d'un doute pour affirmer dès le début de l'émission "Président, nous ne faisons pas que rappeler l'histoire, nous la faisons". C'est "bien dit" ! Ça manque juste, dans la voix et dans le geste, de grandeur ou de charisme. C'est une phrase. Sa résonance avec l'action est beaucoup trop plate, trop lisse, trop convenue. Désincarnée (2).



Et sur ce registre des phrases prononcées reprenons celle-ci "Je m'attends à l'inattendu". Ça on peut juste en douter, ne serait-ce qu'au vu des événements qui bouleversent la France de façon "visible et audible", depuis le mois de mars. Faire l'histoire et la commenter en même temps comporte des risques. Hollande n'échappe pas à ce paradoxe et fait passer son assertion pour une posture. La même que celle de Gaulle qui avec "gouverner c'est prévoir" n'avait rien prévu de mai 68, ni de son effet de traîne au-delà de la contestation estudiantine qu'il croyait juste être une circonstance générationnelle.

"Ma connaissance historique m'a permis de bien analyser ce qui se passait"
Si les travaux de recherche servent l'action politique comme le soutient François Hollande (18'20"), comment se fait-il que toutes les analyses des chercheurs, sociologues, philosophes, économistes, déployées, depuis deux mois, sur les Places de Nuit Debout n'ont eu aucun effet sur la politique d'un gouvernement qui s'enferme et s'enferre avec la "Loi travail" ? 

Il y aurait donc deux "histoires" ? Celle du monde et celle de la France ? La grande et la petite ? Celle intemporelle et celle du quotidien ? Ce quotidien-là, dont Hollande fait fi, et de l'histoire et de la recherche. Cette histoire immédiate méprisée au titre de l'aveuglement et de la surdité. Le Président est malade et refuse de se soigner. Sa contagion a fini par gagner la France. 


Mai 68, ©Claude Dityvon



















Réenchanter la France !
Quand Laurentin demande au Président comment la France pourrait être réenchantée, Hollande joue l'esquive. "L'idée de la France" lui donne l'occasion d'une figure de rhétorique, de parler des "autres" à l'étranger, du monde alentour mais pas des Français… désenchantés. On n'est plus dans l'histoire, on est dans la politique politicienne exacerbée par une campagne présidentielle à venir. La France enchanterait tellement le monde que les Français ne sauraient même pas à quel point ils devraient l'être… enchantés. Rhétorique, méthode Coué, enfilage de perles et, voilà que l'"historien" s'efface devant le politicard cynique et calculateur.

"Une stratégie portée par une minorité"
Pour s'en convaincre, écoutons bien Hollande qui refuse absolument de comparer "des conflits, des occupations, des blocages" avec mai 68 : "nous ne sommes pas du tout dans cette circonstance". Et Hollande de re-fabriquer l'histoire, d'en re-faire une tambouille même et, aussitôt, d'en vanter sa nouvelle recette : "Mai 68 est beaucoup plus en lien avec Juin 36". Tiens donc ! Voilà bien l'accommodement idéal ! Façon Hollande, sauce géométrie variable. Juin 36 merveilleux : ça m'enchante, c'est le Front Populaire. Mars 16, au titre de l'histoire immédiate, c'est pas grand chose… Ça me dessert : circulez y'a pas d'histoire !

Place de la République, Paris ©Gilles Davidas

















À convoquer Churchill, Clemenceau, De Gaulle, Hollande pense sans doute que l'histoire lui saura gré de ses atermoiements ou de ses renoncements. Les Français, ici et maintenant, sont dans le mur et, sa parole, même radiodiffusée est inaudible. C'est un exercice de style. Un gadget de communication. Hollande est depuis mai 2012 dans l'histoire. Il y est entré par la grande porte, il en ressortira par la petite, avant que ne soient jugés ses reniements au socialisme. Et ça, devant l'histoire, ça laissera beaucoup plus de trace qu'une heure de rhétorique à France Culture. 

L'entretien précédent de François Hollande avec Emmanuel Laurentin le 6 mars 2012.

(1) Producteur de "La Fabrique de l'histoire", France Culture, du lundi au vendredi, 9h05,
(2) Et je n'ai pas regardé l'émission en vidéo. Ça sert à ça l'écoute, bien mieux que toutes les mimiques d'un visage !
(3) Dans la droite ligne des De Gaulle, Pompidou, Peyrrefitte, Marcelin, Malraux qui nommaient mai 68 "les événements", mot fourre-tout qui permet de se défausser et de réfuter la réalité !




L'entretien d'Emmanuel Laurentin avec le médiateur de Radio France (2 juin 2016)

1 commentaire:

  1. Merci pour cette chronique, qui confirme mes craintes : j'aime beaucoup Emmanuel Laurentin mais quand j'ai entendu le sujet (si j'ose dire) du jour, j'ai changé de station...

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