La petite maison où fut écrit "Born to run", © Judith Perrignon |
Judith Perrignon : Pour la partie acoustique "Nebraska", "Born to run" parce que là il trouve un équilibre. J'adore les tous premiers, plus jazzy, qui montrent d'où vient Springsteen. Et puis "Greetings from Asbury Park, N.J." (1973), la soul music est là, il métisse vraiment tout et j'aime beaucoup.
R.F. : Et la chanson ?
J.P. : "The river" pour une phrase "Est-ce qu'un rêve est un mensonge s'il ne se réalise pas ou est-ce que c'est pire encore ?
R.F. : Pourquoi n'êtes-vous pas arrivée à l'interviewer ? Trop sollicité ?
J.P. : Oui, il y a ça et je pense qu'on n'était pas dans son calendrier d'un moment de promotion. Springsteen a besoin de travailler avec des gens qu'il connaît. Ici en France la seule personne c'est Antoine de Caunes dont on a pourtant eu la "bénédiction". Son groupe, son manager ce sont des gens avec qui il travaille depuis 40 ans. On a attendu longtemps puis la réponse a été non. Ce n'est pas lui directement qui doit dire non mais sûrement les gens chargés de choisir les interviewers.
R.F. : C'est pas perdu, vous essayerez encore, non ?
J.P. : C'est ça l'histoire (Rires) ! Peut-être oui ? Mais je crois que je n'aurai jamais eu une si belle occasion.
R.F. : Mais de la façon dont vous travaillez, en cercles concentriques, peut-être arrivera-t-il un jour, peu ou prou, à vous entendre ? Et pour vous ou pour une publication vous pourrez peut-être le rencontrer ?
J.P. : Je crois justement que si je pouvais bavarder avec lui sans l'interviewer j'adorerais ça.
R.F. : Je crois que votre détermination vous permettra d'y arriver un jour…
(Rires)
Judith Perrignon pour ce dernier épisode plonge dans la politique ou nous montre comment Bruce y a plongé. "Le rock est devenu depuis longtemps cette chose indéfinissable dont la date de naissance fait débat et dont la mort est sans cesse annoncée. Il est souvent l'accessoire d'une fausse rébellion. Est-il de gauche, est-il de droite ? Les Rolling Stones peuvent bien louer leur talent pour des soirées privées qu'organisent des fonds d'investissement et Springsteen continuer d'hurler contre la misère, tout est normal, chacun a sa place et tout le monde s'en fout. Depuis "Born in the USA" Springsteen est bien placé pour savoir qu'il y a ce qu'on écrit, ce que les autres entendent et ne veulent pas entendre."
Et si avec "The ghost of Tom Joad" (1995) Judith évoque "Les raisins de la colère" de Steinbeck, on se refait vite les images de John Ford et d'Henri Fonda auxquelles on ajoutera la réalité amère des années 90 (et des suivantes), d'une misère qui pousse toujours Springsteen à en témoigner car "ça ne s'arrange pas" !
Pour cette belle "Grande traversée", Judith a sans relâche, cherché, fouillé et découvert avec la foi du chercheur, la pugnacité du collectionneur et la méticulosité du fan. Et surtout, avec la grâce de l'écriture, elle a su raconter une histoire simple. Springsteen "connaît" ses fans, mais il ne sait pas qu'en France Judith Perrignon en sait long sur son histoire ordinaire et encore plus long sur son histoire extraordinaire. Si j'étais un peu moins nul en anglais je lui écrirais.
"Hey, Boss, tu as dû en voir des étoiles dans le ciel du New-Jersey et partout dans le monde où tu es allé chanter. Tu as vu et entendu tant de choses qui t'ont donné envie d'écrire. Des choses simples et des plus difficiles. Mais sais-tu que toi-même tu as donné envie à une Française d'écrire sur toi ? Non. Pourtant ce qu'elle a écrit n'en finirait pas de te surprendre. Alors voilà une chose simple, le jour où tu verras des étoiles dans les yeux de Judith, tu n'auras d'autre choix que de prendre ta Telecaster et de composer une chanson que tu intituleras tout simplement "Ballad for Judith". Ce sera une façon de reconnaître tous ceux que tu as bouleversés, juste parce que tu étais en phase avec eux et eux avec toi. Ne laisse pas passer cette chance, rencontre-là ! Voilà ce que j'avais à te dire Boss. So long."
(1) France Culture, du 24 au 28 juillet, 9h-11h, réalisateur Gaël Gillon,
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