mardi 26 mars 2019

L'hypothèse du baobab et de… Thomas Baumgartner

Thomas Baumgartner autrefois producteur à France Culture et à France Inter, puis rédacteur en chef à Nova n'en est pas à son premier essai pour "écrire la radio". Du magistral "L'oreille en coin…" à "Longtemps je me suis couché de bonne heure…" en passant par "Le goût de la radio…" (1), cet amoureux du média radiophonique n'en finit jamais d'aller soulever les plis des ondes pour "voir", non seulement ce qui s'y cache mais tenter de prolonger l'écoute en des descriptions qui le mènent beaucoup plus loin que le carrefour Mabillon (2).




En ce début d'année jaune, Baumgartner nous propose un petit livre vert au titre charmant et énigmatique "L'hypothèse du baobab". Pour avoir beaucoup écouté les archives de l'Institut National de l'Audiovisuel (Ina) il aime les titres des émissions comme "Prenez garde à la poésie" (3). Il devait être tentant de titrer son essai "Prenez garde au baobab" mais reconnaissons-le d'emblée le producteur joueur n'aime rien tant que les hypothèses, toutes les hypothèses. Son ouvrage en recèle quelques-unes. 

Mais aussi quelques certitudes d'expérience : "Quiconque veut maintenir la fragilité de l'éphémère [des ondes radio, ndlr] doit varier les écritures et les rythmes, les focales et les notes, pour produire du sensoriel et multiplier les chances d'état de grâce. La beauté éphémère de la radio, en flux démultiplié, passe par un retour du croche pied dans le fil du micro." Cette conviction, cette pratique devraient s'imprimer dans les manuels des écoles qui forment aux métiers de la radio comme dans les écoles de journalisme où tout le monde aimerait croire qu'il suffit de savoir écrire pour prendre le micro et pire pour diriger des programmes.

Baumgartner vit, décrit, analyse toutes les formes de radio et d'écoute "Tous les modes d'écoute (direct, replay, podcast, streaming…) se complèteront et ajouteront une troisième dimension à la question de la programmation et de l'échange avec l'auditeur. Tout sera possible tout le temps, top/down et bottom/up, loin des caricatures d'interactivité, mais simplement par le partage de certaines vibrations." (4) Bien d'accord mais faudrait-il encore que les "manipulateurs" de la radio d'aujourd'hui vibrent avec le son, le montage, la voix quand ils vibrent surtout avec les chiffres des audiences ?

Voilà maintenant une hypothèse doublée de bon sens et d'une vision originale de l'avenir de la radio. "La radio dans ce bain [numérique, ndlr] est flux et fragment en même temps. C'est la quadrature du cercle de la composition d'une grille des programmes. trouver une cohérence globale, un équilibre, un rythme, des variations, un lien de chaque émission avec l'horaire de diffusion, c'est le premier objectif… Le défi est de maintenir cette cohérence dans l'écoute à l'unité, délinéariser, "hors contexte", forcément encouragée, de plus en plus pratiquée". Baumgartner échappe aux poncifs qui hantent les couloirs de la maison de la radio, psalmodiés à longueurs de journées : "média global", "radio filmée", et autres "média social culturel" rien moins (5) et donne envie de s'atteler à cette tâche-là.

Baumgartner écrit sans incantation, sans prétention. Il pense, a pensé et pensera la radio dans ses moindres plis je vous le disais. Concluons par un peu de poésie ou de prophétie si l'on veut. Dans le paragraphe qu'il consacre à Jacques Chancel il cite un propos du producteur suite à une imitation par Topor du ton chancelien "Voilà ce qu'on devrait faire : ouvrir les micros une fois l'entretien terminé. Pour se dire ce qu'on ne s'est pas dit. Ça c'est une idée d'émission"… C'est en effet une idée un peu plus osée que celle qui consiste à poster une vedette de la TV dans un studio radio sans jamais lui demander d'être créatif, juste présent pour… l'image qu'il représente. Quant à sa voix…

"L'hypothèse du baobab", Hippocampe éditions, 2018,

(1) Respectivement : Nouveau monde, 2007/Le Monte-en-l'air, 2015/Mercure de France, 2013,
(2) Le 19 mai 1978, installé dans un car-studio, Georges Perec décrit le spectacle de la rue, 
(3) Sur la chaîne nationale était diffusée l'émission "Prenez garde à la poésie". Voilà comment la présente Jean-François Remonté et Simone Depoux (1) : "Une grande première et sans doute une grande dernière, cette émission de variétés en public dont la vedette est la poésie. C'est Paul Gilson, directeur de la radio et poète lui-même, qui offre à Philippe Soupault et Jean Chouquet [producteur et réalisateur à la radio publique, ndlr] cette occasion de produire un vrai show poétique. Le titre est déjà un clin d'œil : … on va rire, on va être surpris et on découvrira que la poésie n'est pas nécessairement affaire de componction et de gravité."

(4) En prenant soin de mettre en italique les mots streaming, replay, top/down et bottom/up. Pour ces deux derniers mon reverso traduit par "haut en bas" et "de bas en haut", comprendre sans doute par "du producteur à l'auditeur" et "de l'auditeur au producteur" !
(5) "Culture Prime, c’est un média social culturel 100% vidéo créé par les 6 entreprises de l’audiovisuel public français (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte, l’INA et TV5MONDE). Parce que la culture, ça se partage", source le site de France Culture.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire