Chaban-Delmas en 1969 |
C'est dimanche. Et oui, mes chers auditeurs, avec les mêmes exigences que la presse papier (et web) qui doit être en kiosque le lundi matin, je m'attelle à la rédaction de ce billet. C'est dimanche, le temps est plus long et la concentration sans doute plus aiguë, propice à l'écriture. J'ai donc remis à plus tard d'aller courir les grèves ou le guilledou... Si le dimanche est propice à la concentration, il l'est aussi à l'écoute de la radio. Une écoute plaisir, une écoute sans parasites, sans les interférences intempestives de la vie moderne connectée. Amen.
Il y a lurette que je n'ai pas tendu l'oreille vers les joutes oratoires que Jean Lebrun n'a de cesse de ponctuer dans sa grande "Marche de l'histoire" sur France Inter (1). Ponctuer avec ce qu'il faut d'inattendu et de saveur, comme si "son" théâtre de l'histoire donnait un coup de frais au genre et, surtout s'inscrivait comme la petite madeleine d'une narration réinventée. Lebrun aime emprunter les chemins de traverse, chercher les cachés derrière, scruter les profondeurs de champ. Cela pour travailler ses sujets et affronter, à fleuret moucheté, ses interlocuteurs. Comme un genre de chat prêt à bondir et rebondir là où on ne l'attend pas.
Lundi dernier, 9 janvier, Lebrun faisait "rejouer" la séance du 4 octobre 1962 à l'Assemblée nationale où, ce jour-là, la colère des députés est vive de voir un Président de la République, Charles de Gaulle, proposer aux Français, par référendum, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Je le dis d'emblée, ce moment de radio est réjouissant. Ces presque 30' de "théâtre" sont passionnantes et éclairent d'une autre façon la dureté des débats qui ont opposé les "notoires" (2) et les partisans du Général pour faire évoluer la Vème République vers plus de démocratie.
Il est succulent d'entendre les acteurs (politiques) de l'époque qui, après avoir tressé des lauriers mérités au héros de 1945, ne manquent pas de le vouer aux gémonies, pas loin de rêver d'un coup d'État qui renverrait le Général à sa retraite définitive. D'entendre les débats, quand on connaît l'histoire, la précise au point d'en découvrir les détails qui auraient pu en changer radicalement la face. C'est sans doute là la force de l'audio sur le récit. La personnalisation orale de chaque acteur captive l'esprit et donne à l'histoire ses reliefs : accent, ton, dramaturgie que le seul récit ne peut évoquer.
Lebrun, avec ses "relectures" de l'histoire, on est très loin du jeu "plan-plan" de l'histoire-événement que les historiens Castelot, Chiappe et Decaux mettaient en scène pour "La tribune de l'histoire" à la RTF puis sur France Inter (3). Pour être dans l'histoire et, dans le jeu même que Lebrun fait jouer aux acteurs de la Comédie française, le producteur s'est donné le rôle du Président de l'Assemblée nationale, ici Jacques Chaban-Delmas. Cette figure du résistant gaulliste, pugnace et pressé, lui va bien à Lebrun. Chaban, le futur inventeur de "La nouvelle société" (4) aurait sûrement aimé ferrailler avec Lebrun l'inventeur de "La nouvelle histoire"... à la radio.
(1) Depuis février 2011, du lundi au vendredi, 13:30/14:00,
(2) L'écoute de l'émission vous donnera l'explication de ce mot,
(3) Depuis 1951 à là Ratio Télévision Française (RTF) et de 1963 à 1997 à France Inter, à différents horaires et différents jours,
(4) Projet politique élaboré entre autres, par Jacques Delors et Simon Nora en 1969, et soumis à l'Assemblee nationale le 16 septembre de la même année par Chaban, premier ministre de Georges Pompidou.
Bonjour Fanch,
RépondreSupprimerLe genre du théâtre radiophonique est très ancien mais, comme tu le dis dans l’article, il est renouvelé par les restitutions de séances de Jean Lebrun, qui propose au public de vrais débats, avec de vrais questions, et dont les enjeux sont toujours compréhensibles de nos jours.
Je suis allée plusieurs fois à ces séances, qui font presque toujours salle comble. On y voit même parfois de jeunes collégiens qui accompagnent leurs parents et qui se retrouvent pris au jeu. Car, en début de séance, Jean Lebrun divise le public en deux, pour restituer les affrontements à la Chambre : à droite les "pour", à gauche les "contre", ou autre division en fonction du sujet traité. Je me souviens très bien d'un enfant d'une dizaine d'années qui se trouvait dans la partie "pro-Napoléon" de la salle lors du débat sur le retour des cendres : en début de séance, il soutenait "ses" députés avec vigueur (il les acclamait, levait les mains, se levait de son siège !), et, peu à peu, en écoutant les arguments "contre", il avait plus de mal à le défendre, et n’acclamait plus trop les « pro-Napoléon ». Cet enfant avait fait de l'histoire : il avait réfléchi sur le portrait qu’on lui dressait d’une grande figure historique pour se forger une opinion, et tout ça en une quarantaine de minutes…
Avec ces restitutions de séances, et donc de débats parlementaires, il n’y a pas de meilleur moyen pour prendre conscience de la difficulté à voter certaines lois qui nous paraissent aujourd’hui tout à fait normales (comme ici l’élection du président au suffrage universel direct) et pour comprendre, comme tu le dis, que les choses auraient pu tourner autrement… Avec les comédiens, qui semblent prendre beaucoup de plaisir à jouer sans décor, sans costumes, mais avec un public qui réagit à leurs interventions, on replonge dans les mentalités de l’époque…
Bonne journée,
Céline
Bien dit Céline, alors que l'on déserterait les séances de questions au gouvernement pour le degré zéro qu'elles donnent aujourd'hui de la politique. Merci pour ce commentaire affûté.
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