vendredi 10 mars 2017

… en vaut mille (Averty, 2/2)

Averty/Senaux, 5 janvier 2004, 23:03:05, en régie
après l'enregistrement des "Cinglés…"
Le 115, studio fétiche de JCA. Photo @Anne Sécheret






















"La télévision c'est une radio qu'on regarde de temps en temps"
J.C.A.


Suite de : Un homme Averty

Radio Fañch : Guy Senaux, vous avez eu l'occasion, au cours de votre carrière d'ingénieur du son à Radio France, de travailler avec Jean Christophe Averty, pour quelles émissions ?
Guy Senaux : Pour de nombreuses émissions : 
Les Cinglés du Music Hall (1) pour lesquelles la réalisatrice, Anne Sécheret, écrivait des scripts remplis comme des partitions et activait sans relâche ses ciseaux d'or (montage). Tant que Jean-Christophe n'était pas satisfait de sa prononciation, il recommençait des dizaines de fois jusqu'à ce que cela lui convienne,  
Le Roi Bombance, un feuilleton théâtral satirique, une farce bouffonne, en 5 épisodes de 30' chacun pour France Culture. Pièce écrite directement en français par le poète italien futuriste, Filippo Tommaso Marinetti. 
Music Maestro Please, une émission de variétés avec orchestre, en public et en direct au studio 106 à 17h sur France Inter, les auditeurs demandant au téléphone, le morceau souhaité,  
Le Bon Plaisir de… où l'invité principal choisit ses amis à interviewer, une émission de trois heures sur France Culture, qui m'a permis de connaître plus intimement Jean-Christophe.

R.F. : Comment définiriez-vous le personnage ?
G.S. : Un génie, chef d'orchestre de la vie. Très cultivé et très intelligent, avec une mémoire auditive et une mémoire visuelle phénoménales. Une très forte personnalité au caractère bien trempé, attirant par la voix et la gestuelle l'attention des gens. Je pense qu'il aurait aimé être comédien. Comme il était musicien, tout avait un rapport au son, au rythme, à la tessiture. Il préparait tellement ses émissions en amont, qu'il demandait à tout le monde de donner le maximum à chaque enregistrement. Pour lutter contre le temps qui passait trop vite à son goût, il voulait toujours créer, créer, créer. Tout comme il pouvait être très dur avec les comédiennes, les mettant au bord des larmes, il était très sensible devant la maladie et savait se montrer doux et sentimental.

Dans "Le Bon Plaisir", Jean Sablon, mais aussi son coiffeur, son petit restaurateur, et tous ses amis. Il avait besoin d'être entouré par des gens qui l'aimaient. Souvent il travaillait avec les mêmes équipes. Je crois qu'il a gardé 18 ans son assistant à la télévision. Ses colères passaient comme des jingles, et comme tout le monde y avait droit à tour de rôle, on relativisait .

Dessin du monogramme de Toulouse-Lautrec,
couverture du story-board dessiné par JCA et dédicacé à Guy Senaux (3)






















R.F. : Est ce que sa création radio était aussi débordante que sa création TV ?
G.S. : Il ne pouvait créer que dans la fiction. C'est ce qu'il a fait avec l'enregistrement avant-gardiste "Le  Roi Bombance" (1989). Il a fait jouer les rôles d'hommes par des femmes et les rôles de femmes par des hommes. On avait huit harmoniseurs pour monter ou descendre en direct les fréquences des voix de chaque réplique. Chaque séquence était une concoction sonore de bruitages, de voix, de mandibules, de bruits de bouche, de cris. 




R.F. : N'a-t-on pas, à la radio, "enfermé" Averty dans le M. Encyclopédie du music- hall ?
Non. Il a enregistré, comme je vous l'ai dit auparavant, des fictions, des documentaires, (Dali), des émissions en public avec orchestre. Bien que ne prenant jamais de vacances, ses émissions de télévision, de festivals de jazz, ses collections de disques, ses recherches, lui prenaient beaucoup de temps. Il tapait tous ses nombreux textes à la machine à écrire. C'était un bourreau de travail, toujours ponctuel.

Il était tellement calé dans le music hall que toutes ses recherches musicales étaient pointilleuses que personne ne pouvait faire mieux. Il pouvait écrire à la maison de disque pour connaître avec exactitude : le n°de la matrice, le jour d'enregistrement, le nombre de prises d'un 78 tours, les micros. Pour l'enregistrement des Cinglés, quand les morceaux n'existaient pas en 78t, Averty recherchait les partitions pour les enregistrer en studio avec l'orchestre de Bolling. L'arrivée du CD et les premières DAT numériques ont fait vieillir l'expression si chère à Jean-Christophe "A vos cassettes". Un slogan qu'il prononçait à plusieurs reprises pour inciter ses auditeurs à conserver le morceau qu'il diffusait à l'antenne. Question d'époque !

R.F. : Donnez-nous quelques anecdotes de votre collaboration !
J'en ai des dizaines. Pendant l'enregistrement du "Roi Bombance" lors de l'enregistrement de la musique des génériques, le compositeur Marc-Hugo Finali, de grande taille, tout en lisant sa partition, jouait au piano avec les deux mains mais aussi avec le pied de sa jambe droite sur le clavier, et Jean-Christophe l'accompagnait sur un autre piano, en jouant avec des cuillères à soupe sur les cordes. Il était très attaché à la bonne éducation et je me souviens que lors d'un enregistrement en public et en direct au studio 106 à 18h, voyant un spectateur qui lisait Le Monde trois minutes avant l'antenne, il a envoyé son assistante pour lui demander de fermer son journal.

À la fin des enregistrements des morceaux pour Les Cinglés du music hall, vers 23 h, au 119, Jean-Christophe le musicien faisait chaque fois un boeuf avec Claude Bolling ou Georges Rabol. Chacun sur un piano Steinway. Moments inoubliables mais que volontairement nous n'enregistrions pas. Pendant les enregistrements des textes du "Roi Bombance", les quinze acteurs étaient dirigés de main de maître par Jean-Christophe. Après chaque colère, je me souviens qu'il prenait un calmant avec des lardons crus, puis c'était reparti jusqu'à la prochaine. Même dans ses colères il gardait son léger zozotement.


Il avait toujours l'esprit collectionneur. Un soir travaillant avec lui, il me dit  : "Demain si tu veux faire un placement, envoie toi un pneumatique (2), car c'est le dernier jour de ce service postal, il n'y en aura plus après 18h00".  À 17h30, je me suis rendu à la poste de la Maison de la radio pour m'envoyer, par pneumatique, une lettre relatant les nouvelles du jour. Les tampons avec les heures de passages m'ont indiqué le circuit : Maison de la Radio/Levallois/Boulogne et un facteur me l'a livré à 18h30. Je n'ai jamais ouvert cette lettre que je garde précieusement et qui a conservé sa forme roulée. C'est un souvenir du Maître.

Ci -dessous, un extrait sonore de "Bande à part" de François Jouffa et Simon Monceau, 1970 (un samedi), programme "TSF 70" (futur "L'Oreille en coin") de Jean Garretto et Pierre Codou. Attention ceci est une "pâle copie" de l'inventivité créatrice de Jouffa/Monceau. Ici, pour des questions de droit, les chansons ne dépassent pas 3", alors que le mixage initial était féérique.




R.F. : Un mot pour le définir ?

G.S. : Un arc-en-ciel de notes et de sons sous le ciel du service public.

Enregistré par téléphone le 8 mars 2017.

(1) France Inter, 1978-1981 (d'autres époques à confirmer). France Culture, 1999-2006, le lundi à 14h,
(2) "Pneumatique" système de transmission, de bureau de poste, en bureau de poste à Paris, pour être transmis au destinataire sous forme de "télégramme" qu'on appelait ici un "pneu". La feuille de papier était mis dans un cylindre métallique propulsé par l'air dans le réseau des tuyaux.
(3) Guy Senaux a enregistré les textes du film "Toulouse Lautrec" que JCA a réalisé pour la télévision.

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